vendredi 20 décembre 2019

CE N’EST PLUS VOTRE MARI : C’EST UN RÉACTEUR. LIRE UN EXTRAIT DE LA SUPPLICATION DE S. ALEXIEVITCH.

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Suite à la récente lecture du livre de la poète et romancière norvégienne Ingrid Storholmen, consacré à la tragédie de Tchernobyl, il m’a semblé utile de proposer à ceux qui ne l’auraient pas encore lu, un extrait significatif de La Supplication, ce maître-livre de l’auteur biélorusse Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature 2015. 
Ce livre publié dans sa traduction française par les éditions Jean-Claude Lattés, est disponible au format poche dans la collection J’ai lu.

vendredi 6 décembre 2019

POÉSIE & ATTENTION !


BONNES FEUILLES. TCHERNOBYL, RÉCITS, D’INGRID STORHOLMEN AUX ÉDITIONS LANSKINE.

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Ainsi que je l’écris dans mon précédent article de blog, dans la ligne ouverte par l’auteur biélorusse Svetlana Alexievitch, le livre d’Ingrid Storholmen n’en finit pas d’énumérer les retombées effroyables de la catastrophe de Tchernobyl. Osant plus que son modèle d’ailleurs s’aventurer, appuyée qu’elle se veut sur une écriture plus ouvertement poétique, jusque dans l’intimité de ses personnages.

C’est ce que montrent les 2 longs extraits que nous vous proposons de découvrir dans notre nouveau PDF. Illustré de diverses photographies montrant le Tchernobyl d’aujourd’hui devenu une des grandes étapes du tourisme de la catastrophe qui se répand aujourd’hui à la surface de notre planète :  Voir   


lundi 2 décembre 2019

Á PROPOS DE TCHERNOBYL, RÉCITS, D’INGRID STORHOLMEN. CE PASSÉ TERRIFIANT QUI RESTE DEVANT NOUS.


« Un évènement raconté par une seule personne est son destin. Raconté par plusieurs, il devient l’Histoire. »
Svetlana Alexievitch
La Supplication, Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse, 1997

La mort le fait frémir, pâlir
Le nez courber, les veines tendre
Le col enfler, la chair mollir,
Jointes et nerfs croître et étendre
François Villon
Le Testament, 1461


Nous vivons dans un monde de solitude et d’abstraction. Où les chiffres masquent de plus en plus la matérialité des choses. Les transforment en idées dont le choc sur la conscience passe comme un éclair sans que nous entendions au plus profond de nous à quelles réalités permanentes, sensibles, ils correspondent. Plus de 9 millions de personnes meurent chaque année de faim dans le monde. Un enfant meurt tous les 5 jours, en France, tué par sa famille. Deux tiers des enfants entre 2 et 14 ans, ce qui fait plus d’un milliard, font l’objet dans le monde de violences physiques régulières. Chiffres, chiffres. Abstractions…

Heureusement, des livres, des films, prennent le temps de nous faire éprouver d’au plus près ce qui se cache de difficultés, de souffrances, de rêves avortés, d’aspirations sacrifiées, d’existences mutilées, derrière la connaissance désincarnée que nous avons des choses. Comme la Supplication qui lui a servi largement de modèle, Tchernobyl, Récits d’Ingrid Storholmen est de ceux-là. Certes, ces « hommes, femmes, enfants, babouchkas, adolescents fringants, futures épouses, chiens, esprits » qui prennent ici la parole le font à travers la voix de cette norvégienne d’une quarantaine d’années dont les deux sœurs ont dû se faire enlever la thyroïde pour avoir subi les effets des pluies chargées de césium 137 qui se sont abattues dans leur propre pays. Mais toute littérature est traduction. Le mot n’est jamais la chose. Heureusement qu’il est des mots parfois qui aident à mieux sentir et partager, pour les interroger vraiment, les choses.

Catastrophe, tragédie et certainement pas comme les dirigeants de l’époque s’essayèrent à en persuader le monde, simple « accident », ce qui se passa dans la nuit du 25 au 26 avril 1986 marque en profondeur notre histoire. Comme de façon plus terrifiante encore, brosse peut-être le tableau de ce que nous réserve l’avenir. Nous interdisant à tout jamais cette aveugle confiance qu’à certains moments nous aurons pu entretenir envers les technologies. Envers le témoignage de nos propres sens. Comme envers les gouvernements auxquels nous faisons naïvement crédit de vouloir avant tout assurer à leur peuple, attention et sécurité [i].

Car au-delà du caractère proprement incommensurable des victimes qu’elle aura entrainées et continue toujours aujourd’hui à produire, selon des modalités que personne ne peut se targuer de connaître vraiment, la catastrophe de Tchernobyl inaugure pour l’homme une relation au monde bien plus terrible que celle imposée par la guerre. Étant une guerre au-dessus de la guerre[ii] où l’homme aura porté la main sur tout, sur tout ce qui existe : air, eau, plantes, animaux, et bien entendu ses semblables, ses proches, faisant de tout un potentiel ennemi, abritant en son sein les radiations. Á la fois invisibles et mortelles.

Ils avaient cru se doucher de printemps ceux qui sous les pluies
brillantes d’une fin d’avril 1986 ont laissé la maladie rouler dans leurs oreilles, laissé les racines de leurs cheveux s’abreuver de césium. Il croyait vivre un grand instant[iii], prélude à toute une vie de bonheur, ce jeune couple faisant pour la première fois l’amour sous le ciel plein d’étoiles juste avant qu’au-dessus de la centrale ne s’élève un nuage rouge et gris en forme de champignon et que la vie, brutalement bascule. Comme dans la Supplication, le livre d’Ingrid Storholmen n’en finit pas d’énumérer les retombées effroyables de la catastrophe. Osant plus que son modèle d’ailleurs s’aventurer, appuyée qu’elle se veut sur une écriture plus ouvertement poétique, jusque dans l’intimité de ses personnages [iv]. Elle le fait en soulignant bien la dimension temporelle de l’évènement. Un évènement dont on connaît la date initiale mais dont nul ne peut prétendre indiquer la fin.

« Tchernobyl est un évènement encore en cours, les gens tombent malades non seulement en Ukraine et en Biélorussie, mais aussi en Norvège. La terre y est toujours condamnée, brebis et rennes doivent encore être nourris de la main de l’homme. Le temps de désintégration de certaines matières radioactives est extrêmement long. Tchernobyl est une catastrophe qui vient à peine de commencer » écrit-elle à la fin de son livre. Rejoignant la terrible conclusion de Svetlana Alexievitch déclarant à propos des différents témoignages récoltés par elle entre 1986 et 1996 : « plus d’une fois j’ai eu l’impression de noter le futur » [v].




[i] « Tous nos instruments intérieurs sont accordés pour voir, entendre ou toucher. Rien de cela n’est possible. Pour comprendre, l’homme doit dépasser ses propres limites. Une nouvelle histoire des sens vient de commencer… » écrit S. Alexievitch. Dans un monde où les menaces les plus graves sont devenues largement invisibles : une eau claire dissimulant des poisons toxiques, un fruit merveilleusement rouge et calibré enfermant les pesticides qui peu à peu altèreront notre santé, le beau nuage s’avançant dans le ciel bleu porteur de radiations, les images futiles que nous transférons sur les réseaux sociaux précipitant sans que nous puissions rien en voir la future catastrophe climatique… notre esprit rechigne toujours à douter des apparences. Comme il ne se montre pas toujours assez prompt ni suffisamment éclairé pour se défier vraiment des discours rassurants qui l’abreuvent. Ce n’est pas seulement du fait que de nouvelles catastrophes nucléaires sont possibles que des livres comme ceux de S. Alexievitch ou de I. Storholmen, comme j’y insiste en conclusion, ne nous parlent pas que d’un passé dont les conséquences ne sont toujours pas épuisées mais aussi d’un avenir qui nous laissera sans doute aussi désarmés que ceux et celles dont ils auront porté haut et fort la tragique parole.

[ii] Et pourtant la guerre, les guerres, qui sont aussi évoquées dans ce livre sont l’occasion de bien des horreurs. Telles celle que raconte Anna à une journaliste. L’histoire de son tout jeune enfant mangé par un voisin à l’occasion de la famine entraînée par le siège de Stalingrad.

[iii] C’est en hommage au beau livre d’Olivier Barbarant, Un grand instant que le hasard de mes lectures et de mes relectures a fait cotoyer sur mon bureau les ouvrages consacrés à Tchernobyl, que j’utilise cette expression. Qui m’a paru entrer en profonde résonance non seulement par l’esprit mais aussi à travers une partie de ses motifs déployés avec ce qui fait le fond pathétique du chœur des voix montant des victimes de la catastrophe nucléaire. Ces victimes avaient une vie. Des amours. Des habitudes, des rêves. Ils vivaient dans les saisons. Possédaient un jardin. Des animaux. Se baignaient dans le long courant des rivières. Si leur vie n’était pas destinée à être une vie tout-à-fait facile, ils pouvaient toutefois espérer au soir de leur existence, l’unifier autour de quelques heureux souvenirs : « des gouttes d’eau, un peu de perle ». C’est aussi cela qu’a détruit Tchernobyl. Tchernobyl qui au passage signifie « absinthe ». Qu’on retrouve – hasard objectif ? – dans le titre de la première section du livre de Barbarant.

[iv] Je remarque en outre que la Supplication qui insiste bien pourtant sur la déconstruction, chez la plupart des personnes interrogées par l’auteur, du système ancien de valeurs, est encadrée par 2 récits bouleversants témoignant de la toute puissance d’un amour absolu. Le livre de Storholmen n’hésite pas à montrer comment aux yeux d’une femme amoureuse la maladie de son époux a fini par le transformer à ses yeux en « une chose, rien qu’une chose. Pas son homme ». Rien qu’« un trou où déverser la soupe, un autre pour la recracher ». Les rayons ne font pas que dévorer des chairs. Ils finissent par détruire les plus beaux sentiments.

[v] Il faut opposer la tragique lucidité de nos deux auteurs à l’hallucinante superficialité de ces touristes de la catastrophe qui viennent aujourd’hui dans la zone d’exclusion, se faire photographier au pied du nouveau sarcophage, profitant ainsi des offres de peu scrupuleux opérateurs leur proposant de « vivre à leur tour et de partager l’expérience de Tchernobyl ». Etrangement, par ailleurs, la littérature autour de Tchernobyl, notent nos deux auteurs, est relativement pauvre. On ne peut que se réjouir donc de la sortie de ce nouveau livre de I. Storholsen comme du succès mérité de la très efficace et passionante série diffusée récemment sur NETFLIX, sobrement intitulée Tchernobyl.

mercredi 27 novembre 2019

DES EFFETS MONSTRUEUX DE LA GLOBISHISATION. POURQUOI IL NOUS FAUT IMPÉRATIVEMENT LIRE LE DERNIER LIVRE DE GÉRARD CARTIER !

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Poètes, écrivains, enseignants nous sommes attachés à cette langue que nous travaillons et tentons de transmettre. Car nous savons que la langue comme l’écrit Barbara Cassin, prolongeant une belle image du grand linguiste allemand Humboldt, « n'est pas seulement un instrument de communication, un service ; ce n'est pas non plus seulement un patrimoine, une identité à préserver. C’est un filet jeté sur le monde » qui ramène à notre conscience une part de réalité. Nous permettant de la penser. Plus une langue est forte, riche, plus la part de réalité qu’elle nous permet d’entrevoir est précise et profonde. Plus la langue s’appauvrit, plus le filet de son vocabulaire, les mailles de sa structure se distendent, plus large devient la part de monde qui fuit hors de notre conscience. Échappe à notre sensibilité.

« Quand on dit « bonjour » ou « good morning », on souhaite que la journée soit bonne. Quand les Grecs se saluaient, ils disaient « Khaire », « jouis », réjouis-toi de la beauté du monde dont tu fais partie. Les Latins disaient plutôt « vale », « sois en bonne santé ». En arabe, en hébreu, on fait שלום que « la paix soit avec toi ». En mandarin, paraît-il, on demande : « As-tu mangé ? » C'est toujours bonjour, mais on n'ouvre pas le monde de la même manière. » écrit Barbara Cassin dans une chronique de l’Humanité reprise en ligne par le collectif national l’Appel des appels, qui s’est donné pour mission de « résister à la destruction volontaire et systématique de tout ce qui tisse le lien social ». En l’occurrence ici notre heureuse et féconde diversité.

Dès lors comment ne pas réagir face à la mise en place de cette pseudo-langue universelle, le « globish » dont il faudrait être aveugle pour ne pas voir comment – sous des apparences légères et le plus souvent ludiques – le terrible travail d’uniformisation des sensibilités et des consciences qu’il entreprend, nous soumet chaque jour davantage au règne de l’argent et de la marchandise.  

Sous le régime nazi, un philologue allemand Viktor Klemperer a tenu un compte quasi journalier de la façon dont la langue du 3ème Reich, - c’est le titre de son ouvrage [1] – est, à force de simplisme et de matraquage, parvenu à faire nager "dans la même sauce brune " la plupart des esprits d’un des pays comptant pourtant parmi les plus cultivés d’Europe.[2]


Cette chose qui nous menace aujourd’hui, d’ailleurs amplifiée par l’extrême fascination qu’exerce sur chacun la toute puissance des nouvelles technologies, est peut-être plus grave car elle ne se limite plus aux frontières d’un pays. Elle ne vise rien moins qu’à s’imposer à l’ensemble des peuples de la terre.  C’est pourquoi nous pensons important d’offrir à la réflexion de ceux qui nous liront, ces pages essentielles du dernier livre de Gérard Cartier, Du franglais au volapük, dont nous avons précédemment rendu compte, en espérant en voir le plus possible partagés, l’inquiétude et le désir de résistance.



[1]  Victor KLEMPERER, LTI, la langue du 3e Reich. Carnets d'un philologue, Paris, Albin Michel (coll. Bibliothèque Idées), 1996, 375 p. Traduit de l'allemand et annoté par Elisabeth Guillot. Présenté par Sonia Combe et Alain Brossat.
 
[2] Qui fabrique la LTI ? V. Klemperer voit en Gœbbels son forgeron principal, et en Hitler, Göring et Rosenberg ses acolytes. Qui parle la LTI ? « Tous, littéralement tous, parlaient […] une seule et même LTI» (p. 330). Le nazisme a fait de la langue du parti la langue de tous. Il a fait d'un bien particulier un bien général. Il a accompli son dessein totalitaire. Partout, même « dans les maisons de Juifs, on avait adopté la langue du vainqueur » (p. 258). Les mots circulent, du parti à l'armée, du parti à l'économie, du parti au sport, du parti aux jardins d'enfants. Le mot Weltanschauung (vision du monde), à son départ « terme clanique », se met à circuler sur toutes les lèvres : « Chaque petit-bourgeois et chaque épicier des plus incultes parle à tout propos de sa Weltanschauung et de son attitude fondée sur sa Weltanschauung » (p. 191). Extrait du CR de l’ouvrage de V. Klemperer par Alice Krieg, dans la revue Mots, n°50, mars 1997. Israël - Palestine. Mots d'accord et de désaccord. Voir en ligne : https://www.persee.fr/issue/mots_0243-6450_1997_num_50_1?sectionId=mots_0243-6450_1997_num_50_1_2319


samedi 23 novembre 2019

FUREURS COMIQUES OU PERCEVAL CHEZ LE MARQUIS DE SADE. UNE ŒUVRE DU XIIIème SIÈCLE Á DÉCOUVRIR : TRUBERT, DE DOUIN DE LAVESNE AUX ÉDITIONS LURLURE.



Est-il sot, est-il fou, est-il diable ? Ce Trubert en tout cas est un sacré, satané, personnage. Issu de l’imagination d’un auteur, Douin de Lavesne, dont nous ne savons rien, sinon qu’il vécut au XIIIème siècle, il revit aujourd’hui grâce à la hardiesse des éditions Lurlure qui redonnent de ce texte - dont l’histoire n’aura conservé durant plus de cinq siècles qu’une unique copie - une version en français moderne, heureusement mise en regard de son singulier et bien troublant original.

Le lecteur à qui la matière de Bretagne n’est pas totalement étrangère et qui aura conservé souvenir de ses lectures de Chrétien de Troyes, en particulier de son Perceval, ne manquera pas de remarquer combien ce jeune « nice », sorti de sa forêt, qui n’a jamais vu un crucifix, confond sol et denier et se sentira condamné au plus grand inconfort quand on lui offrira de dormir sous les draps d’une couche moelleuse, s’affranchit du chemin suivi par  « li filz a la veve dame»[1] qui en constitue le modèle initial. Notre Trubert n’a rien de la pureté foncière d’un quêteur de Graal, ni de la délicatesse d’un amant, rêvant à sa bien-aimée devant trois simples gouttes de sang tombées au matin sur la neige. Tout au contraire. C’est un violent. Un qui frappe. Et qui cogne. Se moque. Et obstinément viole.

mardi 19 novembre 2019

NOTRE INVISIBLE CAGE D’ACIER. SUR UN PLACET DE GÉRARD CARTIER : DU FRANGLAIS AU VOLAPÜK, CHEZ OBSIDIANE.

« Jamais notre langue n’a été aussi malmenée et jamais à ce point mal aimée ». C’est vrai que de découvrir, par exemple, dans la bouche d’un Président de la République, se piquant d’avoir été proche d’un philosophe comme Paul Ricoeur, qu’il croit « dans l’autonomie et la souveraineté » car « la démocratie est le système le plus bottom up [sic] de la terre », a de quoi faire bouillir jusqu’aux natures les plus tièdes. Faire se cabrer jusqu’aux plus flegmatiques et accommodants esprits [1].


We are, us, moderns, the new France


mercredi 13 novembre 2019

LAURENT GRISEL. RÉVÉLER LA GRANDEUR DE TOUTE EXISTENCE HUMAINE.


Laurent Grisel est un homme d'attention. Aux êtres comme aux faits. Il l'a prouvé aussi bien par son ouvrage Climats que nous avons sélectionné dans le cadre du Prix des Découvreurs 2016-17 que dans les différents volumes de son Journal de la Crise. Il le prouve à travers son engagement quotidien pour dénoncer les ravages de tous ordres de notre capitalisme financier. Le dernier ouvrage auquel il a participé, suite à une louable initiative du Centre Social et Culturel de Puisaye-Forterre, témoigne de ce que nous perdons à ne plus considérer comme pourtant elle le mérite, la part pas nécessairement la moins féconde et belle de notre humanité.

vendredi 8 novembre 2019

PRÉVENIR L'AVÈNEMENT DE NOUVELLES BARBARIES.


Difficile de résister à l'appel d'un livre qui commencerait de la façon suivante :

PROLOGUE
Entendez-moi.
Nous sommes ici. Nous sommes vivants.
Mille et une choses nous attachent les uns aux autres : paroles, voix, caresses, sang, textes, chansons, lignes, routes, messages sans fil. Parfois ce lien s'exprime simplement parce que nous voyons le même soleil monter dans le ciel, parce que nous écoutons la même chanson à la radio, récitons le même texte en le murmurant, la tête ailleurs, tandis que nous faisons la vaisselle après le dîner.
C'est ce qui s'appelle faire partie d'une société. D'une nation, ou du genre humain. Tout dépend de l'endroit où on place la ligne de partage.

mercredi 6 novembre 2019

INDIFFÉRENCES CANNIBALES !


Si je n'ai toujours rien dit du livre d'Eric Pessan, Ce qui sauterait aux trois yeux du Martien fraîchement débarqué, que les éditions LansKine m'ont adressé il y a quelques mois déjà, ce n'est pas par indifférence. Ou parce que je trouverais que "ce livre n'est pas de la poésie [et qu'il] manque de spiritualité et de travail de la langue". Ceux qui comme moi reçoivent beaucoup des éditeurs et des auteurs qui, comme c'est bien normal, tentent d'assurer à leurs livres ce minimum de présence sociale qui légitime, dans le contexte déprimant qu'on sait, les efforts nécessités par leur publication, me comprendront. Impossible de répondre à tout. Impossible de se montrer à la hauteur de tout. Impossible. Même en acceptant de faire fi de tout ce qui ne paraît pas nécessaire. Sans compter bien sûr, le factice ou le dérisoire.

mardi 5 novembre 2019

BEAU LIVRE. OURSON LES NEIGES D’ANTAN ? DE LUCIEN SUEL & WILLIAM BROWN. AUX EDITIONS PIERRE MAINARD.

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Un bien beau livre du toujours intéressant Lucien Suel qui bénéficie ici des pittoresques images issues des oeuvres graphiques diverses de l’artiste canadien William Brown, récemment disparu et à qui est dédié cet ouvrage.

En vers pour la plupart justifiés - sa marque de fabrique - Lucien Suel nous accueille à nouveau dans l’univers richement matériel et intérieurement habité qui est le sien. Où j’ai plaisir à retrouver ce rude, rêche et vigoureux monde du Nord que comme lui je hante avec, comme dans ces scènes de marché de nos anciens maîtres flamands, Aertsen ou Joachim Beuckelaer, abondance de victuailles. Riches et pauvres. Aux présences puissantes : porcs cuits, boudin noir, andouilles ... sans oublier le kipper et le pain perdu  de nos communes enfances.

À cela s’ajoutent les brises et les braises, les vents et les saisons qui ravivent, secouent les paysages de blé en herbe, de perches dans les houblonnières ; tout un bestiaire aussi où le chat de Guarbecque - le village de Lucien - fait ménage avec le castor,  l’orignal  et le macareux des terres cousines du Canada.

On trouvera aussi dans les quatre langues française, anglaise, galloise et pour finir dans une version d’Ivar Ch’Vavar, en picard, une évocation des quatre évangélistes. 

On aurait tort de se priver des plaisirs et des célébrations d’un tel livre !

POUR DÉCOUVRIR CONRAD AIKEN ! UN ARTICLE APPROFONDI DE CÉCILE VIBAREL.

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Heureux de pouvoir aujourd'hui publier sur ce blog la bien nourrissante étude de Cécile Vibarel sur cet auteur américain que je ne connaissais pas. Et qui mérite notre attention. Il fut proche de William Carlos Williams et joua un rôle déterminant dans la reconnaissance d'Emily Dickinson dont il publia en 1924 les Selected Poems.

lundi 4 novembre 2019

POÉSIE PRISE DE TÊTE. COMPRENDRE POURQUOI IL FAUT ACCEPTER QUE CERTAINES FORMES DE LA POÉSIE CONTEMPORAINE SOIENT PAR NATURE ILLISIBLES !

Prise de vers que les éditions la rumeur libre viennent de publier est un livre qui intéressera principalement les poètes. Du moins ceux qui, comme je le pense depuis longtemps moi-même,  considèrent que le poème, reconfigurant par ses rythmes, ses modulations, ses figures, notre "pays de langue", remet à sa place centrale le lecteur, l'obligeant à l'investir en "paysage", c'est-à-dire en Sujet.

Nulle ambition ici de rendre compte de la totalité de ce livre sérieux, documenté, fruit nous dit l'éditeur "d'une dizaine d'années de pratique du poème et de réflexion sur la poésie depuis Mallarmé". Le projet de Vinclair est ambitieux mais clair. Il s'agit d'interroger et de comprendre l'illisibilité de toute une partie de notre poésie contemporaine qui fait qu'elle s'est coupée de la quasi-totalité de ses lecteurs potentiels et ne survit plus, globalement, qu'au sein d'une sorte de secte ou de confrérie, celle des "poètes s'entrelisant". Et encore !

Pour Pierre Vinclair, cette situation ne présente rien d'étonnant. Elle est constitutive de la nature même de l'expérience poétique qu'il décrit. Qui n'est pas celle de toute la poésie ou des poésies qui existent de nos jours et que nous connaissons. Mais celle de la poésie fondée sur des pratiques de langage qui la différencient totalement des œuvres qu'il appelle classiques et qu'il dit rassemblées, ordonnées, construites, autour d'un sens qui leur serait extérieur et préalable.  Emportant sans s'en laisser conter toutes les résistances que lui opposent les forces et formes propres des codes esthétiques, grammaticaux et sémantiques dans lesquels il lui faut se couler. La poésie dont nous parle Vinclair est en effet celle qui travaille la matière de la langue non pas à partir d'une pensée première dont elle opérerait pour se communiquer, la traduction, mais d'une pensée non encore vraiment pensée. À venir. Et dont le propre serait de n'être jamais close. Se montrant in fine toujours merveilleusement ou redoutablement, ouverte.

Si, je le confesse,  j'éprouve toujours un peu de mal avec l'idée de souffrance, de corps souffrant de la langue que Pierre Vinclair privilégie dans ses analyses, préférant, de façon moins christique, ne parler à propos de la dite langue que de son irréductible et féconde résistance, je partage largement l'idée que l'auteur de Sans adresse, se fait de la relation que le poème contemporain dont il parle, entretient avec son lecteur. "Publier un poème, écrit-il, […] ce n'est plus écrire à quelqu'un de particulier. […] Les destinataires du poème (publié) ne sont pas (ou ne sont plus) ses lecteurs empiriques. Bien plutôt, ils doivent se rendre dignes de ce corps qui ne leur était pas destiné : c'est-à-dire qu'ils doivent faire l'effort (non pas d'interpréter mais) de se hisser jusqu'au "vrai lieu" (pour reprendre un terme cher à Yves Bonnefoy) où se donne le corps de la langue. Bref, tenter de recevoir le poème, c'est d'abord le chercher, et tâcher de se hisser jusqu'à lui. De l'étreindre dans un corps à corps (plutôt que dans une lecture). Recevoir le poème revient donc à […] faire l'épreuve de sa propre puissance, en s'élevant peu à peu, à la dignité du corps de la langue."

C'est en cela, nous dit Vinclair, que le poème - du moins le poème qui n'aura pas renoncé à son intransitivité qu'elle soit radicale ou partielle, c'est-à-dire à son refus premier de s'abolir dans un  discours préalable - fabrique plus qu'aucune autre forme de parole, ce qu'il appelle un "cercle des égaux". Tout lecteur devant se montrer à son tour poète pour faire l'expérience de sa propre puissance herméneutique. Qui consiste non pas à force d'intelligence et d'observations précises à reconstituer le sens caché, premier du texte. Qui n'a jamais existé. Mais à tenter de traduire, pour lui, l'énergie, la forme particulière de vitalité que la nature particulière de de ses opérations de langage est venue exposer devant lui. En paysage. Qu'il lui appartient à son tour d'écrire.


Rien d'étonnant dès lors à ce que le plus grand nombre préfère, comme le dirait Bonnefoy, « la séduction des structures closes » dans laquelle notre société et la plus grande part de notre éducation malheureusement nous enferment, à cette prise de tête ; l'auteur qui aime les jeux de mots, renvoyant dans son titre à cette expression, en  référence bien sûr à la fameuse Crise de vers de Mallarmé qui par ailleurs lui fournit de solides bases théoriques.

On ajoutera qu'en conclusion Pierre Vinclair reconnaît et c'est une évidence que le champ poétique actuel se positionne de plus en plus aujourd'hui sur des conceptions bien différentes. Revendiquant de nouvelles formes de lisibilité donnant toutes leur chance aux discours théoriquement libérateurs. Qu'ils soient identitaires, centrés sur la question des minorités, ou écologiques. Toute une jeune poésie française, on le voit, largement inspirée par la lecture des américains, s'est engouffrée dans cette voie qui bien sûr reçoit un accueil bien plus favorable des publics comme des institutions culturelles préoccupées trop souvent de suivre la plupart des postures, ou des impostures, à la mode.

J'hésite, pensant à tous ceux qui aujourd'hui proclament à longueur de livres et d'articles que la poésie est la clé de notre survie, à reproduire pour finir les dernières paroles de ce livre stimulant : "On ne sauve pas le monde avec un livre de poèmes, et les ambitions du poète trop hautes, se fracasseront au contact de la dure réalité.
Mais dans ce fracas lui-même, réside la beauté."

dimanche 3 novembre 2019

PARTAGE. JEAN BRUSSELMANS PEINTRE BELGE, 1884 - 1953.

On connaît mal en France l'œuvre du peintre belge Brusselmans, né au sein d'une famille du quartier populaire des Marolles à Bruxelles ! Et mort à Dilbeek, petite commune du Brabant situé à quelques dizaines de kilomètres de la capitale.

 D'une grande pauvreté lui-même, toute sa vie, il partagea l'existence difficile des pauvres. Sans faire de concessions à l'air du temps. Ni au goût désastreux du public. Tout au plus accepta-t-il de peindre pour trouver de quoi vivre, quelques panneaux publicitaires.


vendredi 18 octobre 2019

RECOMMANDATION. HABITER. UN LIVRE DE SEREINE BERLOTTIER ET JÉRÉMY LIRON AUX ÉDITIONS LES INAPERÇUS.

Comme on aimerait pouvoir rassembler en une seule et belle phrase, voire en un seul et beau livre profond, brillant, définitif, cette indécidable part d’intime réalité autour de laquelle de textes en textes, de tableaux en tableaux, de tentatives en tentatives, nous tournons en fragments, en images. Dans la sourde mélancolie de ne jamais pouvoir pleinement l’habiter.

Habiter. Oui c’est cela : habiter. Mais que faut-il encore entendre par ce mot ? Tant nos formes et

mardi 8 octobre 2019

RECOMMANDATION. LA POÉSIE INTIME ET POLITIQUE DE CHRISTINE CHIA. SINGAPOUR.

Nous n’avons pas besoin de vérité, mais de parole. C’est, à mes yeux, la suprême raison de l’existence de la poésie. Répondre, à travers le système commun d’une langue que nous partageons avec l’ensemble de nos semblables, aux diverses pressions que nous éprouvons de la vie, est en soi, comme un moyen d’échapper à l’angoisse de notre condition séparée. Tout en affirmant, par le travail d’art plus ou moins important que cela suppose, sa propre singularité.



Du commun et du singulier, la jeune poète singapourienne de langue anglaise, Christine Chia, dont Le corridor bleu propose aujourd’hui, réunis dans le même volume, la traduction par l’excellent Pierre Vinclair, des deux premiers recueils, La Loi des remariages et Séparation : une histoire, s’en réclame quant à elle de bien intéressante manière. En faisant, dans ce livre, se correspondre, en miroir, sa douloureuse histoire familiale et celle de la République de Singapour en la personne principalement de son ancien leader, Lee Kuan Yew, l’homme qui aura présidé à son rattachement à la Malaisie en 1963, avant d’être contraint, en 1965, de s’en séparer.


mardi 1 octobre 2019

FRUSTRATION DU POÈTE MODERNE. CE QUE GAGNERAIENT CERTAINS TALENTS À FUIR LES PASSIONS TRISTES.

« J’hésite toujours à applaudir les artistes et les poètes car ce n’est pas les aider que de les conforter dans leurs mauvais penchants hystériques et narcissiques »

Julien BOUTREUX


Le métier de poète engendre bien des frustrations. Aspirant comme chacun et peut-être un peu plus que les autres, à la reconnaissance, le poète, qu’il soit non édité, mal édité, bien édité mais toujours trop peu lu, jamais invité, ou si peu, sur les grands tréteaux culturels du temps – c’est son lot – ne s’estime jamais à la place, éminente, centrale, à laquelle en son for intérieur, il aspire. C’est que, même si ce qu’il lui arrive de produire se révèle au regard objectif d’un intérêt modeste, il est de ceux qui éprouvent au-dedans d’eux cette fameuse « puissance d’art » dont parle Nietzsche, qui l’amène à se persuader, peut-être pas d’ailleurs totalement à tort, qu’il est plus amplement ou profondément vivant que l’immense majorité de ses pauvres semblables.

mercredi 25 septembre 2019

VIVRE DE SA PASSION ? OUI. MAIS À QUEL PRIX. À PROPOS DE FAUT BIEN MANGER D’EMANUEL CAMPO.

Les ouvrages nous permettant de nous faire une idée de la façon dont, au jour le jour, je veux dire dans sa réalité triviale et quotidienne, est vécu le métier de poète, sont à mon avis trop rares pour ne pas devoir être signalés. Entre idéalisation romantique et caricature pseudo-naturaliste, il n’est pas toujours facile de se représenter l’existence par exemple d’un jeune homme d’aujourd’hui entré dans les arts, comme aurait dit Murger « sans autre moyen d’existence que l’art lui-même » et « sans autre fortune […] que le courage qui est la vertu des jeunes, et que l’espérance qui est le million des pauvres ».

C’est pourquoi le petit livre d’Emanuel Campo, Faut bien manger, publié l’an dernier par La Boucherie littéraire, ne doit pas être négligé. Certes, on ne saurait affirmer sans se montrer un brin complaisant, qu’au strict plan littéraire, l’ouvrage apporte quoi que ce soit à l’histoire de la poésie. Écrit avec une certaine désinvolture, recourant à bien des facilités du moment, peu ambitieux donc sur la forme, le travail d’Emmanuel Campo intéresse par autre chose. Une sorte de sincérité ou d’honnêteté retorses par lesquelles il parvient, nous dévoilant l’envers du décor, à faire de ses propres faiblesses, une force et à nous sensibiliser de cette manière aux principales contradictions que la condition d’artiste qui est la sienne, oblige à affronter.

lundi 23 septembre 2019

SUR UN GRAND TABLEAU DE FERNAND PELEZ. MISÈRE DES CRITIQUES BOURGEOIS !

Grimaces et misère, Fernand Pelez, 1888, Petit Palais
Il y a dans le monde de l’art, disons plutôt dans le petit monde de la culture qui affecte de s’intéresser à l’art et aux artistes, des attitudes que je ne comprendrai jamais. Ainsi celle qui consiste à refuser de prendre en compte le sujet pour ne s’intéresser qu’à la forme. Déjà dans la Chartreuse de Parme, Stendhal remarquait que « la politique dans une œuvre littéraire » était vue comme « un coup de pistolet au milieu d’un concert, quelque chose de grossier», comme si ce qui déterminait avant tout la vie réelle et souvent malheureuse et souffrante de la plupart des hommes devait se trouver exclu des préoccupations de l’écrivain comme de l’artiste véritable.

mardi 17 septembre 2019

RECOMMANDATION. LE LIVRE JAUNE DE L’AUTRICHIEN ANDREAS UNTERWEGER CHEZ LANSKINE.


C’est un livre vraiment qui m’aura enchanté, en cette période où, plongé dans la lecture de divers essais qui je l'espère me feront mieux comprendre certains des grands problèmes que soulèvent la marche et l’organisation du monde, j’ai laissé s’accumuler sans trouver le temps d’en parler et parfois même de les lire – et je m’en excuse bien sincèrement -  la plupart des ouvrages de poésie que leurs auteurs m’ont adressés.
Ouvrage inaugural d’une nouvelle collection dirigée chez LansKine par Paul de Brancion, Le Livre jaune d’Andréas Unterweger est un livre dont j’aimerais pouvoir rendre compte de façon attentive et détaillée. Tant chez lui intelligence et sensibilité, simplicité et profondeur, imaginaire et réalité, rigueur et émotion s’y retrouvent intimement liés. Dans une évocation du bonheur et de l’enfance qui sous ses dehors de conte poétique, ne se montre jamais niaise et touche même aux plus philosophiques questions. Qu’on en juge à travers l’un de ses chapitres qui nous montre les 7 jeunes garçons de la maison jaune, tout au milieu des champs jaunes, éprouver la pluie qui tombe sur leur territoire d’été.
On appréciera tout particulièrement, outre la belle traduction à laquelle est parvenue Laurent Cassagnau, le jeu singulier et particulièrement subtil des italiques et du passage à la ligne.


jeudi 12 septembre 2019

FAUVELLE, MICHON, COETZEE, LA VENUS HOTTENTOTE ET L’ÉCRITURE BONNE.

Pour Jean-Marie Perret

Gravure de Hans Burgkmair, vers 1508 représentant les khoekhoes
Sensible à certaines remarques qu’on aura pu me faire, je reviens, fidèle à ma manière à la fois concentrique, allusive et indirecte d’envisager, comme je peux, les choses, au livre de François-Xavier Fauvelle, A la recherche du sauvage idéal, qui m’a fourni le point de départ de ma récente réflexion sur quelques impostures courantes de notre poésie. Oui, on ne saurait trop insister sur l’originalité et l’intérêt de la démarche par laquelle cet ouvrage tente de rendre compte de la réalité d’un très ancien groupe humain que les aléas de l’histoire auront amené à disparaître non sans nous avoir laissés construire d’eux une image désolante qui en dit long sur les carences de notre propre équipement moral.

mardi 10 septembre 2019

POÈTES EN PEAU DE LÉOPARD !


Je m’agace souvent de mon incapacité à expliquer clairement les raisons qui me font  détester certains des livres ou des poèmes que la curiosité qui m’anime me pousse par ailleurs à découvrir. Rares sont en effet les œuvres qu’au final j’admire sans réserve. Ou que simplement j’aime. Plus nombreuses celles dont il me faut avouer qu’elles m’irritent. Moins d’ailleurs contre leur nature propre que contre l’auteur qu’elles visent en premier lieu, je crois, à mettre en scène.


Pour éviter de me faire ici-bas des ennemis inutiles, je partirai d’un poème que la récente lecture d’un livre original et passionnant de l’historien et archéologue François-Xavier Fauvelle, intitulé À la recherche du sauvage idéal, m’a conduit à rechercher sur le net pour vérifier mes intuitions concernant l’utilisation faîte un peu partout de la poésie dans le domaine politique et social. Dans un des chapitres de son livre, consacré à l’évocation de la figure de Sarah Baartman, la célèbre Vénus hottentote, entraînée hors de son afrique natale pour être exhibée, à Londres puis Paris, tel un animal de foire, Fauvelle raconte l’édifiante cérémonie organisée par les autorités du Cap à l’occasion du retour en Afrique du sud de ses pauvres restes et de leur inhumation dans la petite localité de Hankey proche du lieu sensé avoir été celui de sa naissance.


Le public enfin rassemblé, « officiels en costume-cravate, personnages en habits traditionnels, policiers blancs en uniforme, ouvriers agricoles venus des environs », et la cérémonie officiellement ouverte, voici que «vêtue d'un chemisier à imprimés d'éléphants », une femme monte à la tribune. C’est « une poète », qui dans « les bourrasques de vent [ nous dit Fauvelle ] qui font claquer les calicots et emportent les voix », vient déclamer le poème qu’elle a composé pour celle qu’elle s’autorise, se réclamant des mêmes ancêtres, à nommer allégoriquement, sa « grand-mère » !