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mercredi 19 janvier 2022

ACCOMPAGNER VALERIE ! SUR LA SORTIE DE 4 ANCIENS OUVRAGES DE VALERIE ROUZEAU DANS LA PETITE VERMILLON.

C’est une bien bonne idée, que viennent d’avoir les éditions de la Table ronde : reprendre 4 des principaux titres de Valérie Rouzeau pour les proposer, sous de sympathiques couvertures réalisées par Jochem Bergen, dans leur collection de poche, la Petite vermillon.

De Pas revoir (1999) à Quand je me deux (2009) en passant par Neige rien (2000) et Va où (2002), cette publication en 3 volumes redonne ainsi à lire le meilleur des dix premières années de « la carrière » poétique de Valérie Rouzeau, celles qui l’auront je crois établie comme l’une des figures marquantes, les mieux reconnues et les plus attachantes de notre paysage poétique actuel.

Je ne reviendrai pas sur ces divers ouvrages que beaucoup ont déjà et souvent très bien présentés. Je profiterai simplement de cette sortie pour proposer tout particulièrement à celles et ceux qui voudraient partir à la rencontre de la poésie de Valérie, un petit choix de textes tirés de Quand je me deux, ouvrage que j’ai bien envie de proposer dans la future sélection du Prix des Découvreurs. Tant ce texte, il me semble, peut se prêter, en classe, à toutes sortes d’entrées libératrices et passionnantes, dans ce monde réputé austère et toujours trop intimidant qu’est demeuré, chez nous, la poésie.

jeudi 30 septembre 2021

RENCONTRE AVEC ADA MONDÈS.


 Mais pourquoi la littérature ? Quelle littérature aussi pour ces temps à venir qui risquent de chanter beaucoup moins qu’on ne l’espérait quand on n’avait pas encore pris conscience de l’insoutenabilité des modes de vie imposés à l’ensemble du monde par nos sociétés occidentales. Pourquoi faire rencontrer des écrivains vivants, des poètes, à des jeunes qui peinent à boucler leur programme, à maîtriser ce semblant de langue commune, de connaissances partagées dont on voudrait tant pouvoir dire que des années et des années d’école sont parvenues quand même à les équiper. Les questions souvent se bousculent en qui ne se contente pas d’une simple posture. A fini par comprendre l’urgence aujourd’hui qu’il y a de sortir des bons sentiments, des mirages, des lieux communs attrayants pour répondre collectivement, par un effort du plus grand nombre, aux défis que la vie, la survie, le vivant, lancent à nos consciences comme à nos volontés.

vendredi 20 novembre 2020

CAR TOUTE PEINE EST SUPPORTABLE DANS LA CLARTÉ. SUR LES ÉLÉGIES ÉTRANGLÉES D’OLIVIER BARBARANT.

MOTHERWELL, Spanish elegy with marine blue, 1977

Publié à l’origine le 17 janvier 2014 sur l’ancien blog des Découvreurs, suite à la rencontre que nous avions organisée au Channel de Calais pour des élèves du Lycée Berthelot, ce compte-rendu nous a paru intéressant à reproduire aujourd’hui sur notre nouveau blog. Dans la continuité de la toute dernière page de nos
Fastes consacrée à la suite donnée par Olivier Barbarant à la revue Contre-Allée.

 Pourquoi travailler à mettre ses émotions en mots? N'est-ce pas suffisant de les vivre, tout simplement? Surtout si elles sont douloureuses. Et qu'on sait l'écriture impuissante.
Un poème a t'il jamais ramené personne à la vie ?

Questions pertinentes auxquelles il est nécessaire d'apporter des réponses à la fois claires et constructives. C'est à cela que s'est employé le poète Olivier Barbarant face aux lycéens venus l'interroger sur ses Élégies étranglées.


Oui, pour Olivier Barbarant le poème part toujours d'une émotion. D'une émotion qu'il éprouve, c'est vrai, le besoin, la nécessité, de mettre en mots. Non pour l'intellectualiser, l'analyser, en produire une explication. Mais pour, la "réinscrire" dans le fil de son existence, "rebrancher " le langage sur ce qui a été vécu. Manière de faire coïncider quelque chose de très général et du coup partageable ( les mots) avec quelque chose de très personnel. Et toujours singulier.

lundi 22 juin 2020

POURQUOI NOUS DEVONS LIRE JACQUES PAUTARD.


Une photo que le papillonnage plus ou moins régulier que je pratique sur Facebook m’aura mis sous les yeux m’a récemment rappelé le livre de Jacques Pautard, Grand Chœur vide des miroirs, que je tiens pour une de ces œuvres rares qui en dépit de leur imperfection possède une force à laquelle atteignent malheureusement peu d’ouvrages. C’est notre fierté aux Découvreurs que d’avoir sélectionné il y a quelques années ce livre dont j’ai aussi pu éprouver, pour en avoir publiquement lu quelques extraits lors d’interventions diverses, la bouleversante puissance d’expression à laquelle il s’élève. L’existence de Jacques Pautard fils d’un soldat noir américain et d’une petite paysanne de l’est qui aura dû le placer comme on dit dans des « institutions » ne pourra, aujourd’hui que chacun se voit interpellé par media interposés sur la question du racisme, qu’être pour ses lecteurs l’occasion de creuser un peu plus cette question dont il donne des clés pour l’envisager de façon moins simpliste.
J'espère que la reprise sur mon blog actuel du long article que je lui ai consacré il y a plusieurs années, amènera quelques lecteurs à s'intéresser à ce livre qui vraiment le mérite. 

Ne cherchons pas à le nier: le livre de Jacques Pautard ''Grand chœur vide des miroirs'' (aux éditions Arfuyen), n'est pas un livre totalement abouti. Long, parfois difficile à suivre et inutilement abstrait dans certaines de ses formulations, cet ouvrage risque de rebuter nombre de lecteurs qui ne parviendront pas non plus peut-être à digérer les pourtant puissantes et singulières métaphores qui en soulèvent constamment la langue penchant, par ailleurs, assez peu vers le chant.

Si pourtant nous avons trouvé nécessaire d'inclure cet ouvrage dans notre sélection 2015-2016 du Prix des Découvreurs c'est qu'au-delà de ce que le lecteur pourra - à plus ou moins juste titre - lui reprocher, ce livre reste porté par une nécessité vitale, un questionnement intime de soi-même et du monde dont il existe, je crois, peu d'exemples aussi forts dans la production poétique actuelle. Le lecteur qui en aura le courage - car il faut du courage pour lire de vrais livres - se rendra aussi compte que l'ouvrage de Jacques Pautard, issu d'un douloureux combat pour se découvrir lui-même, aborde des questions qui pour n'être pas d'aujourd'hui, sont cependant devenues parmi les plus pressantes et oppressantes du jour.

Lucien Wasselin a rendu compte dans une note de lecture de la structure générale de Grand Chœur vide des miroirs. Il a bien rappelé l'importance pour la compréhension de ce livre de l'histoire particulière de son auteur. N'y revenons pas. Toutefois je crois que Lucien Wasselin se montre un peu rapide lorsqu'il tend à ramener la rage d'expression de J. Pautard à son caractère métis, au racisme qu'il a eu à affronter du fait de ses origines. Certes, comme l'écrit Wasselin, le poème intitulé Mélanine évoque bien l'importance qu'aura eu dans la destinée de l'auteur le fait d'avoir été, dès sa naissance, perçu différent des autres et de là nié en tant qu'égal et que personne. Ou plus terriblement encore en tant qu'être. Mais ce que ne voit pas Wasselin, c'est que le racisme qu'il incrimine n'en fournit pas l'explication finale. Il n'en est que le révélateur. L'un de ses plus visibles et plus écœurants symptômes.

En fait ce que nous dit et répète J. Pautard tout au long de son livre c'est que l'homme, tous les hommes, souffrent de cette caractéristique fondamentale de leur nature qui est d'être divisée, réfléchie. Et de ne percevoir leur être, qui est esprit mais aussi chair, qu'à travers l'artifice des représentations. Qui ne sont que mirages. Théâtre. Faussetés. Impostures. À cette condition originelle qui est de ne pouvoir s'être jamais qu'en conscience, en mots, en images et jamais en réalité, nul n'échappe. Du coup nul se sait jamais ni ne saura, qui il est, réellement. Son être lui restant toujours à construire à travers de nouvelles et fuyantes représentations. Qui lui compose ce grand chœur vide et fallacieux de miroirs qui donne son titre au livre.

Le raciste, dans cette optique, est justement celui qui replié sur son triste mais avantageux lot simplifié et caricatural d'images les confond avec la réalité et habitant, sans distance aucune, le sentiment d'existence pleine et entière qu'elles lui apportent, assigne l'autre à la prétendue infériorité que son esprit captif l'amène à voir en lui. Ce par quoi, pour sa part, il échappe à l'inquiétude fondamentale et permanente d'être.

Une fois cela posé qui fait je crois le fond structurant de la pensée à l'œuvre dans Grand chœur vide des miroirs dont le long texte intitulé Lanterne magique montre bien qu'il possède une visée tout autant anthropologique que biographique, on comprendra plus facilement les textes différents dont se compose l'ouvrage. Et tout particulièrement l'opposition qu'établit l'auteur entre ces deux centres urbains privilégiés de son histoire que sont la ville de Vesoul dont il brosse le portrait des pages 65 à 95 et celle de Paris sur laquelle se recentre sa réflexion, à la fin de son livre, sur près d'une soixantaine de pages ( p. 123 à 192 )

Vesoul, la petite ville où Jacques Pautard aura vécu - en maison de correction et en apprentissage - une bonne partie de son enfance et de son adolescence, est précisément pour lui le lieu où il aura principalement fait l'expérience de la volonté des autres de l'enfermer, de le nier, dans les images. Ville naine écrit-il petite ville qui ment ! si lamentablement, si désespérément qu'il en viendrait même à vouloir la consoler , n'était qu'à la différence de Paris, Vesoul, comme toutes les petites villes étriquées, bien pensantes, honnêtes, de la terre, enfermées dans leurs certitudes, leurs croyances arrêtées, n'a fait par sa sournoise charité que répondre à ses plus vertes espérances, en le clouant sur sa croix plus sûrement que la haine, en l'établissant inférieur mieux que le pire apartheid.

Ce qui sauve en revanche Paris, ville par excellence du théâtre, n'est évidemment pas son innocence. C'est l'énergie libératrice, qu'artiste en beaux mensonges et martyre en vérités nues, cette ville inconciliée met à jouer de la multiplicité de ses visages, sans jamais s'arrêter ni se figer, acceptant magnifiquement d'être, quant à elle, ce faux seul, par lequel, nous dit l'auteur, vivre s'habite.
C'est ainsi que Paris aura pu être pour Jacques Pautard une expérience majeure de conquête et de compréhension, d'affirmation de lui-même. Cette conquête dont Grand chœur vide des miroirs dessine en creux l'histoire, aura cependant commencé à l'intérieur même déjà de cette maison de correction que dénonce avec force l'un des plus beaux textes du livre intitulé Les Cœurs verts, qui rappellera peut-être à certains ce livre majeur écrit il y a une trentaine d'années par Marie Rouanet, intitulé Les enfants du bagne. Elle aura commencé par le simple éveil de l'intelligence nue prenant conscience de la perversité des éducateurs sadiques. Elle se sera prolongée dans l'amitié grave liant entre elles les victimes de leur cruauté. Se sera élargie en solidarité à tous les sangs humiliés répandus à travers le monde. Car c'est en bas, tout en bas du monde écrit Jacques Pautard que s'apprennent au réel les solidarités humaines (p. 40 ). Et qu'apparaissent parmi ces garçons de force et d'affection sans autres bornes que leur corps (…) ce qu'il est de plus redoutable et de plus précieux aux cités: des gens capables d'engager entièrement leur existence, de prendre vraiment à leur compte le défi d'être des hommes.

Ces tout jeunes êtres niés, que la société veut réduire à leur seul usage pratique ( p. 47 ), en faire les serfs, le bétail que le monde les désirait, ont aussi faim, nous affirme Pautard, de beauté et de pensée. Et c'est, à nos yeux, l'un des mérites fondamentaux de son livre que d'évoquer l'importance vitale que la découverte d'œuvres littéraires et artistiques insoumises comme celles de Rimbaud de Van Gogh mais aussi de Marx, de Gauguin, de Cézanne ou de Picasso eurent pour lui et certains de ses camarades. Cette capacité des grandes œuvres et du savoir à "désemmurer" les esprits, à leur ouvrir des routes, Jacques Pautard craint toutefois qu'elle ait disparu, tant nous dit-il nous avons tout sacrifié de nous aujourd'hui à l'Amérique. Tant aujourd'hui du ciment dont on ouvrait autrefois des fenêtres on dresse aujourd'hui des murs. De même que semble avoir disparu l'ouvrière amitié de la mécanique. La possibilité aussi d'une vie à la seule force de ses bras. Ou d'une vie comme il la célèbre dans le premier et le dernier des textes de son livre, vouée tout entière à l'invention de la route. À cette mise en chantier permanente de soi avec le monde dont elle est, merveilleuse, la chance.

Reste nous dit cependant Jacques Pautard, la poésie qui est une autre façon de prendre aujourd'hui la route. Peut-être. Mais quand on voit le peu d'influence qu'elle exerce, le peu de temps qu'on lui consacre, la superficialité des commentaires que les rares "spécialistes" ou amateurs lui accordent, on peut se montrer un peu moins optimiste. Surtout quand on voit comment aujourd'hui s'est renforcée me semble-t-il la capacité de l'époque à étiqueter chaque chose. S'enclore dans les bien-pensances. Développer ses techniques subtiles de manipulations. En faisant croire à chacun qu'il est. Qu'il existe. Et, unique, qu'il compte ! Quand il n'est que compté. L'ombre même d'un nombre.

On aurait bien des choses à dire sur le livre de Jacques Pautard dont la lourdeur parfois extrême n'empêche heureusement pas de laisser passer le souffle éprouvé et toujours urgent de la vie. Chose aujourd'hui qui n'a pas de prix. Aussi lui souhaitons-nous de trouver ses lecteurs. Qu'il ne devrait pas laisser indifférents. Car, non seulement ce livre est un réquisitoire terrible contre tout ce qui, depuis toujours, constitue le crime toujours insuffisamment pensé de l'homme contre l'homme, une recherche obstinée de compréhension et de construction de soi par delà l'impossibilité reconnue d'y parvenir jamais, mais c'est aussi le poignant et vibrant témoignage d'une vie qui ne se sera jamais résignée et à travers laquelle chacun, qu'il soit victime ou bourreau potentiel, aura sa part encore, noire ET blanche, à reconnaître. À surmonter.

mardi 31 mars 2020

POUR UNE CONNAISSANCE ÉMOTIVE DE LA VIE. QUATUOR D’EMMANUEL MOSES AU BRUIT DU TEMPS.




Ne nous laissons pas abuser par l’arlequinade finale. Le livre d’Emmanuel Moses Quatuor, récemment paru au Bruit du temps, est un livre grave. Qui nous apprend « qu’être c’est mourir » et « qu’il faut mourir d’être ».

Suscité par l’irrépressible besoin de donner sens à une expérience vécue tout à la fois dans l’exaltation et dans la douleur, le poème de Moses se fait puissamment réflexif en appelant constamment à l’interrogation philosophique pour creuser toujours davantage en profondeur le sentiment particulier de la vie dont depuis ses touts premiers livres, il tente de communiquer à son lecteur la couleur ou la note.

Rassemblant allusions éparses à l’histoire personnelle, références puisées aux sources multiples de sa large culture, nous entraînant de la sphère intime, personnelle, aux territoires les plus larges de notre histoire et de notre culture collectives, variant constamment les focales d’espace et de temps, nous amenant à déambuler dans la Jérusalem fantastique de son enfance comme dans le Paris d’aujourd’hui couvert toujours pour lui des signes terribles d’un passé qui ne veut pas s’éteindre, Emmanuel Moses fait s’imbriquer dans son poème les multiples strates d’une mémoire qui n’a jamais cessé d’alimenter son présent. De lui servir comme il l’écrit, de « combustible ».

S’ensuit un poème en quatre mouvements qui pour être pensif vise essentiellement, pour reprendre le mot de Pessoa, à une « connaissance émotive de la vie » et plus précisément, me semble-t-il, du mystère déchirant de l’amour, l’amour seul, aux dires de Moses, infusant la totalité.

S’achevant sur un vibrant carpe diem qui comme tout carpe diem ne prend sens qu’à la lumière du memento mori qui l’accompagne, Quatuor s’organise autour de ces quatre grands motifs qui structurent toute véritable relation amoureuse, celui d’abord de la rencontre, celui de la relation fondamentale entre différence et indifférence, celui du passage du temps, celui enfin de la souffrance et de la disparition qui, par effet de boucle, ramène par l’évocation d’un paysage de Beauce à la scène de deuil évoquée dans la toute première partie.

Rendre compte ici d’une telle richesse n’est pas moins impossible que pour l’auteur lui-même d’atteindre avec les mots l’insondable réalité qu’il poursuit dans ses vers. Partout, « Entre l’idée/ Et la réalité » […] « Entre l’émotion/ Et la réponse » le disait bien T.S. Eliot, l’auteur des Quatre Quatuors, « Tombe l’ombre ». Mais c’est en cela que réside le pouvoir particulier de la parole poétique qui dans l’incertaine relation qu’elle entretient entre sentir, dire et vivre, trouve chez les meilleurs, à charrier du vivant dans le mouvement singulier de ses phrases, parvient quand même à s’incorporer quelque chose de l’intensité de notre existence, par les images et la musique qu’elles déploient. Y trouvant à la fois le reflet où la vie se contemple. Et le gouffre où elle se noie.

Et puis c’est au lecteur aussi d’aller à la rencontre. Car la rencontre qu’elle soit amoureuse ou simplement « littéraire » comme on dit, est « une formidable création à deux », par quoi la vie se fait plus lyrique et s’emplit d’énergie. Alors peut se comprendre l’énigme de tout feu. Qui comme celui qui embrase la plaine de Beauce au-dessus de Pécreuse, au moment des adieux,  ne resplendit que de ce qu’il dévore et laisse d’autant plus de cendres que le bois dont il se sera nourri aura été plus généreux et plus tendre.

« Consume-toi en moi/ Afin que nous devenions une unique poignée de cendre à répandre dans le vent » implore Emmanuel Moses dans le dernier mouvement de son poème. « Soyons intimement lointains » ajoute-t-il peu après dans la pleine conscience de cette lèpre que constitue pour l’existence les désirs d’identité ou de similitude. C’est pour cela que l’ombre finale de la mort nous est si nécessaire. Pour cela aussi sans doute que la porte de la maison mortuaire s’ouvre pour finir sur une place vénitienne où se poursuivent Colombine, Arlequin mais aussi Pantalon. Car avant de prendre « éternellement congé de nous/ Sur les vertes collines des adieux », et de ne laisser au monde à la semblance des antiques portraits du Fayoum, qu’une image peinte à l’encaustique sur une tablette de bois, « il est nécessaire de demeurer debout/ De rire jusqu’au bout de l’amour fou/ De faire des cabrioles/ Et de trinquer au nez et à la (fausse) barbe du diable, s’il existe/ En s’éjouissant de vivre comme de devenir un jour une ombre bienheureuse/ Parmi les ombres bienheureuses. »

mardi 10 septembre 2019

POÈTES EN PEAU DE LÉOPARD !


Je m’agace souvent de mon incapacité à expliquer clairement les raisons qui me font  détester certains des livres ou des poèmes que la curiosité qui m’anime me pousse par ailleurs à découvrir. Rares sont en effet les œuvres qu’au final j’admire sans réserve. Ou que simplement j’aime. Plus nombreuses celles dont il me faut avouer qu’elles m’irritent. Moins d’ailleurs contre leur nature propre que contre l’auteur qu’elles visent en premier lieu, je crois, à mettre en scène.


Pour éviter de me faire ici-bas des ennemis inutiles, je partirai d’un poème que la récente lecture d’un livre original et passionnant de l’historien et archéologue François-Xavier Fauvelle, intitulé À la recherche du sauvage idéal, m’a conduit à rechercher sur le net pour vérifier mes intuitions concernant l’utilisation faîte un peu partout de la poésie dans le domaine politique et social. Dans un des chapitres de son livre, consacré à l’évocation de la figure de Sarah Baartman, la célèbre Vénus hottentote, entraînée hors de son afrique natale pour être exhibée, à Londres puis Paris, tel un animal de foire, Fauvelle raconte l’édifiante cérémonie organisée par les autorités du Cap à l’occasion du retour en Afrique du sud de ses pauvres restes et de leur inhumation dans la petite localité de Hankey proche du lieu sensé avoir été celui de sa naissance.


Le public enfin rassemblé, « officiels en costume-cravate, personnages en habits traditionnels, policiers blancs en uniforme, ouvriers agricoles venus des environs », et la cérémonie officiellement ouverte, voici que «vêtue d'un chemisier à imprimés d'éléphants », une femme monte à la tribune. C’est « une poète », qui dans « les bourrasques de vent [ nous dit Fauvelle ] qui font claquer les calicots et emportent les voix », vient déclamer le poème qu’elle a composé pour celle qu’elle s’autorise, se réclamant des mêmes ancêtres, à nommer allégoriquement, sa « grand-mère » !

jeudi 27 juin 2019

SUR LES RONCES DE CÉCILE COULON. AUX ÉDITIONS DU CASTOR ASTRAL.

Le succès de Cécile Coulon, je veux dire de la poésie de Cécile Coulon, tient un peu du phénomène. Que penser en effet de la fortune de l’unique recueil de cet auteur de 27 ans qui déjà peut se flatter de réunir des milliers de lecteurs puis de s’être vu décerner, quelques mois après sa parution, le-prestigieux-prix-Apollinaire, habituellement décerné à des auteurs confirmés, d’un autre âge ?

Sans doute que si, parallèlement, Cécile Coulon n’avait pas, depuis une dizaine d’années, donc à partir de 17 ans, déjà publié chez Viviane Hamy une bonne poignée de romans ayant assez largement rencontré leur public, elle serait toujours de ces poètes dont personne ne parle puisque personne ne les lit.



Ce qui ne signifie pas a priori qu’il ne faut pas la lire.


vendredi 14 juin 2019

MASSACRES DE TYPHAINE GARNIER. CHEZ LURLURE ! MAIS QUE SALUBRE EST CE CHANT !


Les éditions Lurlure dont j’ai eu l’occasion de dire tout le bien que je pensais proposent aujourd’hui un ouvrage qui ne manquera pas de réjouir ceux qui dans la poésie voient avant tout sa matière, ses matières, son infini travail de langue et abordent la littérature avec suffisamment d’irrévérencieuse générosité pour demeurer des esprits libres et des natures créatives.




mercredi 12 juin 2019

LA SECONDE AUGMENTÉE. LA POÉSIE FRICATIVE DE DENISE LE DANTEC. CHEZ TARABUSTE.


De ces égarements singuliers dont sont faits les poèmes, nous aimons les merveilles. Non celles qui mystifient. Explosant en plein ciel, pour disparaître aussitôt, loin de vous. Mais celles qui, avec notre vie font contact. Réaniment. Ne font pas que glisser. Laissent au contraire leur grain, rude parfois, sur notre peau.



Car il n’est pas vrai que la merveille soit contre toute réalité. Indifférente à elle. Ne relevant que de la pure fantaisie. D’un jeu gratuit de l’esprit déréglé s’abandonnant à ses chimères. Cette merveille, que l’auteur des Illuminations aura d’un geste souverain, me semble-t-il, imposé pour longtemps à nos imaginaires, procède de la plus essentielle réalité. De cette réalité incisive. Extensive. Que chacun peut reconnaître et sentir résonner. Quand il écoute. En soi.




jeudi 21 février 2019

À LIRE ! DESTINATION DE LA POÉSIE DE FRANÇOIS LEPERLIER AUX ÉDITIONS LURLURE.

François Leperlier nous livre dans cet ouvrage qui ne devrait pas manquer de faire réagir, les réflexions que lui inspire « la situation actuelle de la poésie ». Si la critique qu’il fait des multiples tentatives de médiatisation dont fait aujourd’hui l’objet la poésie et dont par ailleurs il affirme qu’elles restent pour l’essentiel sans effet réel, apparaîtra à certains excessivement radicale, il y aura profit, je pense, pour chacun, à profiter de la vision qu’il donne de la nécessité profonde de l’expérience poétique pour approfondir sa réflexion sur la « destination » de son propre engagement.

Oui. C’est aussi pour moi une évidence. Le poème, cet accompli dispositif de figures, cet assemblage singulier de rythmes et de mots par lesquels il se donne à lire ou entendre, ne peut être dissocié de ce qui vitalement l’anime, le traverse : élan, poussée ; de ce soulèvement profond et comme rassemblé de ce qu’on peut appeler l’être ou l’âme ou l’imagination, l’intelligence peut-être aussi… qu’importe. Et c’est pourquoi, je comprends que certains voient dans ce qu’on appelle poésie, une dimension, une aspiration fondamentales de l’humanité qui bien au-delà des mots s’expriment dans la totalité des activités créatrices par lesquelles, sans cesse, nous ajoutons concrètement comme idéalement, de la réalité à la réalité. De l’imaginaire aux imaginaires. Dont nous sommes tissés.

Sans doute y-a-t-il quelque risque à trop diluer les concepts et continuer à n’évoquer par le mot poésie que le genre littéraire qu’il désigne, tout en restant bien conscient du flou et de la grandissante perméabilité de ses limites, permettra peut-être de nous éviter bien des dialogues de sourds. Toujours est-il que je reconnais bien volontiers à l’ouvrage de François Leperlier, Destination de la poésie, qui y voit, lui, le principe générateur, non seulement de tout art mais de toute expérience de conscience sinon de présence véritables au monde, le mérite de mettre ainsi mieux en lumière le type d’exigence que sa pratique personnelle comme son mode d’existence à l’intérieur de la société, réclament.


dimanche 7 octobre 2018

JE NE SAIS HABITER MON SEUL VISAGE. TOUCHER TERRE DE CÉCILE A. HOLDBAN.


CLIQUER POUR LIRE UN EXTRAIT

Merci à Cécile A. Holdban de m’avoir adressé Toucher terre, qui vient de paraître chez Arfuyen. On se trouvera je pense touché, par cette façon qu’a l’auteur d’y faire apparaître pour les réunir ses visages dispersés. Et pour elle qui aime à poser souriante, épanouie, devant des buissons de fleurs ou des paysages idylliques, de nous montrer tout en sachant conserver comme une forme de grâce et de préciosité parfois quasi préraphaélite, une sensibilité tout autant mordue par le doute et les mélancolies qui sourdent de la vie qu’exaltée par les enchantements que le généreux élan qui la pousse malgré tout vers l’amour et le monde, imprime dans son imagination.

samedi 10 mars 2018

PRENDRE LE LARGE : CARNET SANS BORD DE LILI FRIKH À LA RUMEUR LIBRE.





«Il faudra que je parle d’écrire… Et que ce soit parler pas écrire… Que j’avoue… Et j’avoue… Être peu  sensible aux formes de l’écrit… Être prise sans filet dans le mouvement de l’écriture. Cette différence que je sens entre les deux… Elle m’écarte… Elle me sépare… Elle me fait mal au milieu… Mais les mots sont sans abri. Ils n’ont pas de domicile fixe. Je les couche sous la couverture comme des chiens affamés. « Couchez… Allez… Couchez là… Ici… Non là… Voilà… Pas bouger… »
Mais ils ne restent pas sur le papier. Ils prennent le large
Écrire est déployé sans forme attachée
Écrire est une langue de grand départ
Aucune ligne d’arrivée
Posted at sea
16 : 27 »

Posted at sea, à différentes heures du jour, la petite centaine de proses courtes qui composent le Carnet sans bord que Lili Frikh vient de donner à la rumeur libre, ne cherche pas à consigner l’éphémère et superficielle matérialité des évènements par lesquels se raconte l’anecdote plus ou moins pittoresque, plus ou moins idéalisée, bien choisie, de ce qui fait d’ordinaire à nos yeux l’existence : c’est en profondeur toujours qu’y creuse la parole, empruntant à la plasticité des vagues, à leur inlassable et puissant mouvement son exigeante tonicité. Car c’est bien à une intime nécessité que répond d’abord tout ce livre. Qui affirme et réaffirme la volonté de son auteur de ne pas se laisser enfermer dans les mots, dans les phrases. Non plus que dans les choses. Et s’emploie tout entière à s’offrir corps et âme à la vie qui déborde.


jeudi 9 novembre 2017

BONNES FEUILLES. ÉCRITURE ET PHOTOGRAPHIE. LA BAIE DES CENDRES DE STÉPHANE BOUQUET AUX ÉDITIONS WARM.

Les jeunes éditions Warm m’ont récemment adressé le bien intéressant petit livre qu’ils ont réalisé à partir de textes que Stéphane Bouquet a imaginés en tentant comme elles l’écrivent « d’habiter » des photos de Morgan Reitz. On rapprochera bien sûr cet ouvrage que nous nous empressons de recommander, de cet autre beau livre intitulé Les Oiseaux favorables que nous avons sélectionné pour l'édition en cours du Prix des Découvreurs, qui se présente, comme je l’indiquais dans ce blog, « sous la forme d’un monologue intérieur émanant d’une femme de 46 ans qui sent que pour elle « tout est peut-être fini, périmé, caduque, obsolète » et s’éprouve comme « une longue vibration de solitude qu’amplifient toutes les ondes de douleur environnantes ».
Ce pourrait également être l’occasion pour nos amis professeurs, comme on le leur recommande, de travailler sur l’image et d’étudier la façon dont elle peut venir déclencher des actes d’écriture singuliers mais aussi très fortement personnels.
Nous espérons que la lecture du tout premier texte de La Baie des cendres, accompagné de la photographie qui en a stimulé l’écriture, donnera envie à nos lecteurs de découvrir le reste de l’ouvrage.

Si seulement on pouvait m'indiquer la direction pense-t-elle alors qu'elle s'est égarée dans une ville sans signe distinctif. Nous sommes sur un pont au-dessus de l'eau et le ciel est aussi orange qu'un jus multifruits bio vitaminé et sûrement pour l'occasion enrichi en mangues ou bien sinon la publicité ment. Ce qu'elle voit d'ici, étonnant mais c'est directement le passé ou presque directement le passé. Le problème est qu'elle est fatiguée et qu'il est tellement difficile de tout faire tenir ensemble. Cela danse selon un certain rythme c'est certain mais est-ce le même ? Les arbres plient un peu dans le vent et des nuages défilent et tout ceci serait demeuré Inaperçu dans d'autres circonstances. Par exemple, moins fatiguée ou jeune encore, elle aurait pu éviter les répétitions et les phrases toutes faites et décrire simplement les barges en bois sur le fleuve et même inventer des scènes torrides pour derrière les stores de paille. Disons ces récits de jadis qui contiennent notamment des vêtements imbibés de l'odeur insistante des chevaux. Mais aujourd'hui quelqu'un a dû lui faire une injection de somnifère ou la peinturlurer d'une crème de jour à base de plomb, elle a juste le courage de reprendre des mots déjà entendus : par exemple on raconte qu'un homme voyage furieusement vers toi. Est-il raisonnable d'avoir encore cet espoir pantelant et au reste une bonne âme pourrait-elle lui chuchoter qui et quand et éventuellement où qu'elle ne rate pas derechef le rendez-vous ? Pas dans les environs en tout cas, à moins que le tramway ne consente à arriver et à s'inventer un arrêt que la photo a simplement oublié de figurer et les choses alors auraient enfin cet aspect concret et possible qui permettrait que tout et elle y compris perdure. D'accord, dit-elle, on verra plus tard si jamais elle atteint plus tard grâce à sa capacité sportive à outrepasser l'épuisement comme un coureur saute des haies à toute allure et sans s'affaler. Ce jour-là, les veines de ses paupières cesseraient de vibrionner. Mais en attendant le bateau postal vient d'apponter et c'est la solution miracle. II y avait cette lettre qu'elle n'attendait plus signée de ce prénom rougi comme un cœur qui s'agite. La lettre recommandait avec un flegme quasi bouddhiste : contemple assez longtemps l'agencement des lignes et des couleurs, tu devrais être capable de dénicher l'arrière-coin où se cache la patience récompensée. Un simple baiser d'accueil quand nous serons réunis. Mais où est-ce ? Peut-être devrait-elle finalement se résoudre à demander l'aide d'un tiers ? Auriez- vous l'amabilité etc.

Profitons de l’occasion pour renvoyer aux propos de Stéphane Bouquet dans le dernier numéro de la revue en ligne Secousse, en réponse à la question lancée par les responsables de la revue : La poésie est-elle réactionnaire ? En voici des extraits :

Il est possible donc qu’écrive des poèmes celle ou celui qui a perdu quelque chose, bien qu’elle ou il ignore quoi précisément – et que le poème soit son effort d’autoconsolation. En cela, il y a bien une pulsion réactionnaire qui travaille le fond de la poésie : l’appel d’un retour, quand on n’avait pas bêtement laissé tomber ses clés ou son os. Mais ce qui ne l’est pas, réactionnaire, c’est le chemin qu’il faut inventer pour satisfaire cette pulsion. […]

Le but des poèmes (soyons modestes, des poèmes tels que je les envisage et les écris) est de produire une vie suffisamment vivante pour donner l’illusion que la vie est actuelle, présente, ou quasiment. Que nous y sommes presque, dedans, et non pas exilés. Qu’en fait, il ne nous manque rien : ni un labrador, ni un chêne, ni un Victor. Si bien que pour ce faire il est indispensable de créer d’interminables effets de surprise dans la langue, si la vie est bien – comme je le crois – le sentiment d’inattendu, de décalage qui sort les jours de leurs rails et fait de chaque heure un matin. La langue du poème s’ingénie à produire de la surprise et en cela, qu’on le veuille ou non, elle est condamnée au neuf, non par goût un peu naïf du nouveau en tant qu’il est nouveau, avant-truc et cie, mais parce que le neuf (dans la langue) est la seule façon de réaliser un état (peut-être archaïque) où, pour nous (« nous » collectif, ou au moins duel), quelque chose est toujours intensément de ce monde.