Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
samedi 20 février 2021
vendredi 19 février 2021
BEAUPRÉ. SUR LE DERNIER LIVRE D’ÉRIC SAUTOU CHEZ FLAMMARION.
Parus ces derniers jours chez Flammarion, les poèmes que rassemble Beaupré restent très proches de ceux que ses lecteurs auront trouvés en 2017 dans la Véranda. Où se disait, se vivait aussi, le deuil de Marcelle, sa mère, perdue en 2014. Mais le livre ici de par la perspective que lui donnent ces trois nouvelles longues années, les jours et les jours, donc qui depuis se sont accumulés, acquiert une charge émotionnelle plus forte. Une tonalité peut-être aussi plus sombre. Dépeuplée. Car si l’image de la véranda se voulait, somme toute, lumineuse, celle de l’étang de Beaupré, dans laquelle finalement se noie le souvenir de la disparue, ne reflétant plus rien pour l’auteur des nuages qui le survolent, témoignent que peut-être là, en vérité je ne sais, quelque chose s’est refermé. Qu’un impossible a pris fin. Que le travail orphique du poète qui, comme dans la Véranda, noue sa parole vivante à celle toujours vivante par lui, de sa mère morte, que ces mots/fleurs qu’ils échangent jusqu’à les voir tomber et retomber, incessamment sur le corps de page du poème, se voient opposer désormais la dure réalité de la tombe. Cette porte par où les vivants quoi qu’ils fassent, quoi qu’ils tentent, n’entrent pas.
Alors il n’y a pas d’analyse à faire des poèmes d’Eric Sautou. Juste à entendre jusqu’à son épuisement leur parole affectée. Qui revient inlassablement à tenter de construire et reconstruire l’utopique maison familière de langage qui l’espace d’un instant ou pour toujours enfin les réunirait. Et la mère. Et l’enfant. Et cet homme vieilli qu’il est en train de devenir. D’où ces reprises obsédantes comme dans certains airs déchirants de musique, des mêmes motifs, thèmes qui jamais n’entrent dans la description, restent toujours dans la totale ouverture des réalités génériques – fleurs, feuilles, arbres, nuages, vagues, jours, nuits, les plus à même bien entendu de faire espace pour le cœur. Et infuser en nous, l’insistant vibrato de leur note commune. Et désolée.
vendredi 20 novembre 2020
CAR TOUTE PEINE EST SUPPORTABLE DANS LA CLARTÉ. SUR LES ÉLÉGIES ÉTRANGLÉES D’OLIVIER BARBARANT.
MOTHERWELL, Spanish elegy with marine blue, 1977 |
Publié à l’origine le 17 janvier 2014 sur l’ancien blog des Découvreurs, suite à la rencontre que nous avions organisée au Channel de Calais pour des élèves du Lycée Berthelot, ce compte-rendu nous a paru intéressant à reproduire aujourd’hui sur notre nouveau blog. Dans la continuité de la toute dernière page de nos Fastes consacrée à la suite donnée par Olivier Barbarant à la revue Contre-Allée.
Pourquoi travailler à mettre ses émotions en mots? N'est-ce
pas suffisant de les vivre, tout simplement? Surtout si elles sont
douloureuses. Et qu'on sait l'écriture impuissante.
Un poème a t'il jamais ramené personne à la vie ?
Questions pertinentes auxquelles il est nécessaire
d'apporter des réponses à la fois claires et constructives. C'est à cela que
s'est employé le poète Olivier Barbarant face aux lycéens venus
l'interroger sur ses Élégies étranglées.
Oui, pour Olivier Barbarant le poème part toujours d'une émotion. D'une émotion qu'il éprouve, c'est vrai, le besoin, la nécessité, de mettre en mots. Non pour l'intellectualiser, l'analyser, en produire une explication. Mais pour, la "réinscrire" dans le fil de son existence, "rebrancher " le langage sur ce qui a été vécu. Manière de faire coïncider quelque chose de très général et du coup partageable ( les mots) avec quelque chose de très personnel. Et toujours singulier.
lundi 28 septembre 2020
RECOMMANDATION. L’AUTRE JOUR DE MILÈNE TOURNIER AUX ÉDITIONS LURLURE. FORCE ET FRAGILITÉ DES PAROLES VIVANTES.
Milène Tournier est une jeune femme de 32 ans, titulaire
d’un doctorat en études théâtrales. Ses figures de référence sont le Rimbaud
des fugues puis du grand rêve d’Afrique, l’Antigone antique aussi, qui creuse
avec ses ongles pour « déraciner les lumières ». L’autre
jour, que viennent de publier d’elle les éditions lurlure, est quasiment
son premier livre, le précédent, Poèmes d’époque, publié dans la riche collection
Polder de la revue Décharge qui l’aura fait découvrir, n’étant qu’un livret ne
présentant d’elle qu’une trentaine de pages.
Disons le, il y a quelque chose de l’adolescence éternelle
dans cette parole qui conjugue tout au long de ce livre, un désir infini
d’expansion [1], faisant
continuellement fi des limites couramment admises de notre condition, et un besoin
tout aussi dévorant d’amour, d’attachement, de repli et de protection. Tout ici
jusqu’à la façon qu’a son auteur de passer sans solution de continuité de la
prose au vers, d’émouvoir la syntaxe, d’en déplacer les plis, sans pour autant
chercher à trop s’en affranchir, témoigne de cette nécessité funambule d’accueillir
pour les porter en soi les contraires. Au risque bien sûr de se briser.
En fait, je connais peu, de textes aussi bouleversants que
ces Poèmes de famille, par quoi Milène Tournier nous fait entrer dans
son livre. Et ces quelques pages où se dit, dans l’angoisse profonde d’avoir à
les perdre un jour - source pour elle d’un sentiment de vulnérabilité extrême -
la puissance de son attachement au père comme à la mère, empoigneront, je pense, plus d’un lecteur lassé comme moi des développement convenus qui prolifèrent
sur le sujet.
On m’enterrera sous une autre époque que celle sur laquelle tout à l’heure je suis née. Mes mains ont cherché le visage de ma mère, le trou dans la vitre. Sur les tables à langer officielles ou de fortune, aire d’autoroute, lit d’invité, et pour que ne criât plus ma bouche qui criait, son nez a lu mon front de droite à gauche, de gauche à droite, comme une langue s’indécise. Trente ans durèrent trente ans. Mes bras prennent des bras dans leurs bras le soir, quand la lune prend le ciel. Il y a quelqu’un, précis comme un miracle, entre la lourde vitre du monde et le long trou du moi. Ma mort aura bientôt étalé et rapproché mes dizaines. Les mondes sont de très grands prématurés. J’attends ensemble la fin de la fin du monde.
Maman je sais, un jour tout
disparaît
Comme quand tu descends chercher
la voiture au parking
Et moi j’attends en haut.
[1] On en
prendra pour seul exemple la série des rêves de quarantaine confinée qu’elle
décline dans le dernier ensemble du livre…. Ainsi que la page que nous
proposons de découvrir en extrait.
vendredi 3 juillet 2020
jeudi 2 juillet 2020
DU POUVOIR ET DE L'IMPUISSANCE DES MOTS.
vendredi 3 avril 2020
DIT LA FEMME DIT L’ENFANT. CHRISTIANE VESCHAMBRE À LA RENCONTRE DE SON MOI PERDU.
Rudolf WACKER, Deux visages |