mercredi 11 juin 2025

TROIS RECOMMANDATIONS. POUR NOUS AIDER à EXISTER.

 

Tant de choses en nous qui, venues de l’infinité de mondes parmi lesquels nous nous mouvons, nous travaillent, façonnent, polissent. Perméables nous sommes. Qui ne finissons jamais d’accueillir, composer, recomposer, avec nos formes propres, ce plein partout de tout ce qui existe et bien entendu nous déborde. Nous déborde. Comme cette pile d’ouvrages dont je vois bien aujourd’hui que je n’aurai pas le temps de les lire. Encore moins celui d’en dire quelque chose. Vivre en fait ici c’est choisir.

Pour ne pas renoncer.

Les trois livres que je m’apprête donc ici à rapidement présenter, sont des livres que j’ai choisis. Pour la façon propre et remarquablement singulière dont leur auteur témoigne de ce lien profond entre sensibilité puissante et attention aux choses par quoi ne peut que s’élargir, s’approfondir, l’inépuisable conversation que nous entretenons avec les choses. Je ne suis pas de ceux qui pensent que ce qui finalement compte dans le poème est sa façon de fabriquer le sens[1]. M’importent avant tout les clartés, mêlées bien sûr de ténèbres, qu’il projette dans la forêt d’images qui composent nos mondes.

jeudi 5 juin 2025

RENCONTRE AVEC AURELIE FOGLIA ET GREGOIRE DAMON.


C’était hier à l’invitation du Channel de Calais et de la librairie Actes Sud. Dans le cadre des Périphéries du Marché de la Poésie.

Avec donc Grégoire Damon et Aurélie Foglia.

Un beau moment d’échanges où j’aurai aussi eu le plaisir de retrouver l’ami Vincent Gimeno-Pons.

LES NOUVEAUX PARTAGES. NAVIS ONERARIA, SUITE D'UNE VISITE A NARBO VIA.


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Intituler une courte suite de poèmes, inspirée par la visite du beau Musée archéologique ouvert en mai 2021 à Narbonne pour rappeler le prestigieux passé romain de la ville, du nom de ces navires marchands que les populations des bords de la Méditerranée désignaient à l’époque antique sous l’appellation de navis oneraria, du latin onus qui signifie fardeau, peut sans doute surprendre.

 
Le poème pourtant, à mes yeux est transport. Il est aussi échange. Embarquant à son bord toutes sortes de matières, qui parfois sans doute l’alourdissent, il se propose d’en faire à sa façon commerce, au sens littéraire et malheureusement aujourd’hui bien vieilli, du terme, avec tous ceux qui sauront lui offrir, un jour et quelque part, l’hospitalité d’un port. 

lundi 2 juin 2025

MIETTES À PROPOS DE M.E.R.E. RÊVERIE-AUSCHWITZ, DE JULIEN BOUTONNIER, AU DERNIER TÉLÉGRAMME.

Seules les pulsations du coeur retenaient ·Reitz désormais. Son organe battait encore bien qu’il n’y eût plus aucune nécessité d’alimenter un corps en oxygène. C’était une énigme. Pourquoi donc battait un coeur enseveli dans un corps de papier ? Quel était ce pouls qui demeurait maître du temps ? ·Reitz ne cherchait pas de réponse. Il se contentait de jouir de ce rythme. Ce battement était en lui-même la question, sa formulation et l’étendue considérable des réponses possibles. Alors ·Reitz comprit peut-être ceci. Un temps avait été provisoirement ouvert, comme on ouvre l’accès à un espace : son coeur battait pour la mer de cadavres nus. Nul retour à la vie, nulle descente des visages sur les corps anonymes, nul reflux du sang dans les membres durcis, nulle consolation, simplement une présence dans le meurtre, un don dérisoire sans doute, une venue : un coeur battait dans la mer de cadavres nus. Ainsi le meurtre souverain connaîtrait lui aussi, un instant, la mélodie territoriale du merle. ·Rêve l’avait dit : Le vif du rythme saisit le sang blanche.[1]

J’imagine assez bien la réaction perplexe du lecteur ignorant du travail de Julien Boutonnier, à la découverte de ce bref passage tiré de l’ouvrage que je viens de lui offrir à lire. M.E.R.E., sous titré Rêverie-Auschwitz, publié par les éditions du Dernier Télégramme est un livre monstre de près de 700 pages. Est-ce un récit ? Un traité ? Un composé de poésie visuelle ? Une histoire fantastique de métamorphose ? Un commentaire de rêve ? Un chant à la mémoire d’une mère. Et de tous les disparus ? Une réflexion sur les pouvoirs ou pas de la littérature ? Le statut particulier de celle qu’on appelle des camps ? Un tableau expressionniste de la dépression ? Une caricature des modes de pensée et d’organisation de nos sociétés d’imposition ? L’œuvre d’un fou littéraire qui, à la différence du personnage imaginé par Queneau dans La Petite gloire, se serait trouvé quand même des lecteurs ?

vendredi 30 mai 2025

DÉGONFLER NOS EGOS DE GRENOUILLE. À PROPOS DE GENS DE PEINE D’AURELIE FOGLIA AUX ÉDITIONS NOUS.

Me préparant à rencontrer Aurélie Foglia dans le cadre d’une Périphérie prochaine du Marché de la Poésie, que nous avons contribué à organiser avec la Librairie et l’équipe du Channel de Calais, je constate que la présentation que j’ai autrefois faite de son livre, Gens de peine, sélectionné dans le cadre du Prix des Découvreurs 2015-2016, n’apparaît plus sur mon blog. Dommage. J’ai plaisir donc à la reprendre aujourd’hui, accompagnée des différents extraits que nous avons en leur temps soumis à la découverte des jeunes et de leurs professeurs.

 

Drôle de mot que le mot gens. Nous nous en servons régulièrement pour désigner les autres.    Les anonymer en catégories comme nous aimons faire de tout. Paresseux que nous sommes à distinguer le singulier, l'unique, sous l'étiquette commode des termes génériques. J'ai quant à moi, de plus en plus de difficultés face aux généralisations hâtives. Je déteste entendre parler des hommes en général, des femmes, des jeunes ou bien des flics. Du peuple aussi, bien sûr, pour ne rien dire des français, des arabes et même encore des politiques. Là où d'autres pensent Poésie, j'essaie de penser poèmes. Alors quand on parle devant moi des gens, je me défie de cette apparence de compassion, de cette morgue plus ou moins bien dissimulée, par laquelle parlant des autres, les uniformisant, nous nous régalons de l'illusion de notre souveraine et distincte supériorité.

dimanche 25 mai 2025

AUTRE COMPATRIOTE DE L’AILLEURS : PAUL LOUIS ROSSI. EXTRAITS DE LES HORIZONS ÉGARÉS CHEZ OBSIDIANE.

 

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Parcourant d’abord, à la découverte, les pages de ces Horizons égarés du poète Paul Louis Rossi, que les éditions Obsidiane, nous redonnent aujourd’hui, sous une forme nouvelle, je m’étais dit que je partagerais volontiers sur ce blog, des extraits de sa première section, justement intitulée Les Horizons égarés, dans laquelle notre auteur comme on sait récemment disparu, évoque à sa façon, toujours des plus personnelles, l’expédition de mon lointain et pas assez bien connu compatriote, Alphonse Pinart, découvreur dans les années 1870, de ces masques Kodiak qui sont une des richesses absolues du Musée de Boulogne-sur-Mer.

mardi 20 mai 2025

JEAN-BAPTISTE PERRONNEAU. PEINDRE DES GENS QUI NE SONT RIEN !

 

Le Musée des Beaux Arts d’Orléans possède d’intéressants portraits de ce Jean-Baptiste Perronneau dont les critiques de l'époque, entraînés sans doute par la plus grande célébrité de Quentin de La Tour, eurent tendance à rabaisser le talent. C’est vrai qu’au moment où la bourgeoisie française commence à vouloir faire étalage de ses réussites, il n’hésitait pas à représenter des personnes de moins grande qualité que son rival. Il est intéressant de noter à ce propos, les réactions des milieux prétendûment éclairés du temps qui se désolaient de cette profusion de portraits consentis à des gens jugés sans importance. On ne disait pas à l’époque « qui ne sont rien ». Quel serait aujourd’hui leur effroi découvrant la course frénétique à l’image qui s’est emparée de chacun !

 

À titre de curiosité j’ai pensé que les lecteurs de ce blog auraient plaisir à découvrir, dans le texte, les considérations que, grâce à Gallica, j’ai pu retrouvées sur ce phénomène de démocratisation de l’art du portrait dont J.B. Perronneau fut dans la seconde moitié du XVIIIème siècle l’un des artisans.

dimanche 18 mai 2025

ENCORE UN OUVRAGE QUI NE MANQUE PAS D’INTÉRÊT. LES [NOTES FANTÔMES] DE SYLVAIN JAMET CHEZ LOUISE BOTTU.

  


Pris récemment plaisir à lire les [notes fantômes] de Sylvain Jamet que m’ont adressées les bonnes éditions louise bottu. J’aimerais en partager aujourd’hui quelques-unes, que ce que chacun sait de la nature singulièrement peu joviale des temps ne laissera pas sans résonance. Dans les notes d’accompagnement jointes par l’éditeur à l’ouvrage, Sylvain Jamet précise que les sortes de définitions qui composent son livre « méritent le nom de fantôme en ce qu’elles flottent hors de la personnalité de l’Auteur, tout en restant malgré tout reliées à elle, comme les fameux « membres fantômes » prolongent le corps des mutilés. Il n’y a rien à soi, ici, et pourtant il y a une douleur. Ou disons plutôt, dans le cas de ces notes, une nostalgie. » Il fournit aussi une autre indication fort parlante, évoquant les ghost notes qui en musique, intercalées entre les notes principales, dans les blancs du morceau, « sont marquées d’une croix sur la partition et sont produites par la technique de l’étouffement », ce qui les rend à peine audibles. Rapporté au texte cela signifierait qu’entre les mailles ou au revers de « tout ce que nous croyons devoir être dit […] quelque chose encore joue une toute autre musique. » Intéressant.

samedi 17 mai 2025

PAS ENCORE LASSE LA MAIN QUI ORDONNAIT LE MONDE. SUR LE NOUVEAU LIVRE DE GÉRARD CARTIER : LES BAINS-DOUCHES DE LA RUE PHILONARDE, CHEZ OBSIDIANE.

Bon. Les livres dont il me faudrait parler s’accumulent. Le temps dont je dispose pour le faire avec l’empathique patience qu’ils réclament, se réduit. Il me semble aussi qu’une certaine forme d’énergie, de cette joyeuse et optimiste créativité qui m’a longtemps porté, est en train de m’abandonner. Effet pas seulement de l’âge. De ce climat, je constate, de faux-semblant, d’effrontée publicité de soi-même qui, de concert avec le panurgisme culturel ambiant, me gâte chaque jour davantage ce beau commerce d’art et de pensée qui devrait pourtant permettre à chacun de se sentir moins écrasé par le cynique mercantilisme des temps. Oh ! Pouvoir d’un seul bond briser l’ombre. Courir comme autrefois en équilibre sur le tranchant de la lumière…

samedi 10 mai 2025

SUR LA FUREUR D’ÉCRIRE !


"Il est tout à fait vrai que nombreux sont ceux que tient la maladie incurable d’écrire et il n’y a point de fin à multiplier les livres, comme le disait déjà le vieux sage ; à notre époque écrivassière et tout particulièrement alors que le nombre de livres est innombrable, comme l’a dit un homme de valeur, et quand les presses sont oppressées, à une époque où il suffit que tout un chacun soit d’humeur à se gratter pour vouloir s’afficher et désirer célébrité et honneurs (nous écrivons tous, doctes et ignares), celui-là écrira quoi qu’il en soit et y parviendra, peu importent ses sources. Ensorcelés par le désir d’être célèbres, même au plus fort de la maladie, au risque de perdre la santé et d’être à peine capables de tenir une plume, ils doivent dire quelque chose, le sortir d’eux-mêmes, et se faire un nom, quitte à écraser et à ruiner beaucoup d’autres personnes. Ils veulent être comptés parmi les écrivains, être salués comme écrivains, être acceptés et tenus pour polymathes et polyhistors, se voir attribuer par la foule ignorante l’appellation vaine d’artiste, obtenir un royaume en papier ; sans espoir de gain mais désireux d’une grande célébrité, à notre époque d’érudition immature, de précipitation et d’ambition (voilà comment J. C. Scaliger la critique) et alors qu’ils ne sont encore que des disciples, voilà qu’ils veulent devenir des maîtres et des professeurs, avant même de savoir écouter correctement."

Robert Burton
in Anatomy of Mélancolie, 1621
 traduit par Gisèle Vernet, édition Folio, Gallimard