Les retours de voyage, ceux en tout cas de découverte, peuvent être éprouvants. Outre bien entendu la fatigue des longs déplacements et la nécessité de remettre en route les petites mécaniques nécessaires au bon fonctionnement de la vie quotidienne il y a cette exigence qu’on perçoit de ne pas se laisser perdre la multiplicité des chocs émotionnels, culturels ou simplement sensibles que l’espace de plusieurs semaines on se sera ingénié à multiplier. De retour de Sienne, où j’aurai vu et photographié non seulement nombre de paysages admirables mais surtout quantité d’œuvres réalisées entre le XIIIème et le XVIème siècles dans ce qui fut certainement à l’époque l’un des plus actifs centres artistiques d’Europe, j’éprouve ce besoin de garder quelque trace durable de ce qui m’aura sur le moment frappé, voire d’approfondir un peu la connaissance et la compréhension, le plaisir aussi, de certaines de ces mille et une merveilles que mon regard, parfois fatigué par ce trop plein de volupté auquel il s’est vu soumis, n'aura pu qu’enregistrer, sans pouvoir en tirer toujours les grands délices promis et recherchés. Oui Baudelaire a bien raison de continuer à nous en avertir. L’étude du beau n’est pas toujours simple affaire de plaisir*.
Depuis que je l’ai découvert, il y a une petite quinzaine d’années, à travers sa grande Crucifixion, à Assise, je me suis pris d’intérêt pour l’œuvre de Pietro Lorenzetti, ses ballets d’anges dans le ciel, son bleu, ses ors, l’échange de regards de ses personnages et jusqu’à sa façon d’humaniser comme personne ses couples de chevaux. Pietro qui fut l’un des quatre ou cinq grands réinventeurs de la peinture de son temps ne jouit cependant pas tout à fait du même prestige que son frère Ambrogio à qui l’on doit les célèbres fresques du Bon et du mauvais gouvernement, qui constituent l’une des principales attractions du Palazzo Pubblico de Sienne. Son œuvre n’en reste pas moins des plus remarquables et pas toujours simple à différencier d’ailleurs de celle de ce frère avec lequel, le plus souvent, il dut collaborer, comme pour les fresques aujourd’hui disparues de la façade de l’Ospedale di Santa Maria della Scala en face du Duomo, fresques consacrées à l’histoire de Marie avant la naissance du Christ qui inspirèrent, tant par leur thématique que par leur style et leur conception, pendant près de deux siècles, nombre de peintres d’Italie.