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mercredi 13 mars 2024

POÈTE HALTÉROPHILE. PIERRE VINCLAIR, COMPLAINTES & Co AU CASTOR ASTRAL.

GROMAIRE,

 

« Ce n’est pas comme si Shakespeare avait peint fidèlement une galerie de types humains, et que par conséquent il fût vrai. Il n’est pas vrai selon la nature. Mais il a une main si déliée et un trait si particulier, que chacune de ses figures apparaît significative, digne d’intérêt ».

Il faut remercier Pierre Vinclair de faciliter comme il le fait le travail de critique par la précision et la diversité des éléments de commentaires et de compréhension dont il accompagne le plus souvent chacune des œuvres dont depuis quelque temps il enchaîne de façon sidérante la publication. Le propos rapporté ci-dessus de Ludwig Wittgenstein, qu’il place en exergue de la seconde partie de son dernier ouvrage, Complaintes & Co, paru dans la petite collection de poche du Castor astral, n’est en effet pas loin de dire l’essentiel, à savoir que la galerie de portraits[1] dont se compose le livre ne cherche pas à mettre en lumière une suite de personnes saisies dans la réalité – est-ce d’ailleurs possible – de leur individualité propre, mais dans l’abstraction d’une saisie plus générale qui les rend chacune porteuse d’une part singulière de sens. Un sens ouvert, comme il le dit ailleurs, moins sur elles-mêmes qui finalement ne sont que des images, des fictions, que sur le « tout du monde ».

dimanche 21 janvier 2024

POUR PIERRE VINCLAIR. LA POÉSIE FRANÇAISE DE SINGAPOUR VUE PAR CLAIRE TCHING.

On connaissait la jeune chercheuse singapourienne Claire Tching pour les notes précieuses dont elle a récemment enrichi l’ouvrage de Pierre Vinclair, Bumboat, publié au Castor Astral.  La voici qui donne aujourd’hui aux éditions Aethalidès, une courte présentation de la Poésie française de Singapour et l’on peut supposer sans grand risque que c’est à la fréquentation de ce brillant poète qu’elle doit de s’être intéressée à ce sujet qui pourra sembler singulièrement étroit si l’on songe à la nature de la population de ce bien jeune et minuscule état d’à peine plus de 700 kms2  dont plus de 70% des quelques 5 millions d’habitants qui y vivent sont d’origine chinoise et communiquent pour l’essentiel à travers un anglais simplifié, métissé de chinois et de malais, appelé le singlish.

Alors pas d’illusion : nul chef-d’œuvre inconnu n’attend le lecteur dans les onze courts chapitres que la patience et parfois l’opiniâtreté de notre chercheuse auront fini par proposer à notre curiosité. Car c’est bien de curiosités dont il est finalement question avec cette publication qui si elle est loin de venir enrichir le beau corpus d’œuvres de notre poésie de langue française, présente quand même aussi le mérite, car Claire Tching en esprit aiguisé sait accompagner les textes qu’elle mentionne de commentaires lumineux, de nous faire réfléchir à bien des questions qui demeurent pour nous essentielles.

mardi 27 avril 2021

CE BIEN JOUIR ET BIEN PENSER D’ÉCRIRE. ASSEMBLAGES ET RIPOPÉES DE JEAN-PASCAL DUBOST AUX ÉDITIONS TARABUSTE.

C’est une nouvelle fois à « débauche plumitive au long cours » que les éditions Tarabuste invitent le bénévole lecteur – il en reste – avec Assemblages et ripopées composés par cet opiniâtre Ouvrier Verbal Complexe Qualifié (O.V.C.Q.)[1] qu’est Jean-Pascal Dubost. Reprenant ici des textes pour la plupart déjà parus dans diverses maisons suite à ces Résidences d’écriture « par quoi l’écrivain revêt officiellement sa fonction essentielle d’écrivain en temps donné (rétribué) et lieu précis », l’auteur, appareillant comme toujours les « mille (et plus) subtilités des langages humains » s’adonne à cet art du mélange et de l’invention fait avant tout chez lui des rencontres fécondes que suscite la fréquentation minutieuse autant qu’aventurée des textes anciens comme bien sûr modernes et des milliasses de dictionnaires, glossaires, listes, répertoires, tables, index, lexiques dont on imagine ses bibliothèques pleines jusqu’à craquer. 

 

Écrit suite à un séjour d’auteur à proximité d’un vignoble, celui de Grignan-les-Adhémar, Assemblages, le premier ensemble du recueil, sensé évoquer les plaisirs du vin, célèbre pour commencer l’intense fermentation d’intelligence et de langue mêlées par quoi s’élabore « en fût céphalique » le poème qui comme un bon vin se fait « d’assemblages de différents terroirs lexicaux et champs sémantiques favorisés cependant par une bonne exposition aux dictionnaires, aux documents » et paroles entendues. La métaphore file alors malicieusement de l’une à l’autre de ces deux éjouissantes réalités dont le commun est de réchauffer tant les sens que l’esprit et de se prêter, par travail éclairé portant sur choix des meilleures matières, à l’élaboration de produits inédits et goûteux.

 

Ripopées, terme qui lui aussi appartient au lexique du vin,  quoique connoté cette fois de façon négative, encore qu’il est des ripopées – j’en ai l’expérience – proprement extraordinaires tel cet Edelzwicker un soir bu dans une winstub de la rue des Juifs à Riquewihr, Ripopées donc, ensemble de textes adressés au cher Ronsard, pour cause cette fois de résidence au prieuré de Saint-Cosme où vécut et mourut l’illustre Sonneur Vendomois, n’est qu’une autre façon de cogner de la langue contre celle du maître ancien, s’amusant aux formes par lui expertement pratiquées, Epître, Epigramme, Imitation, Folastrie, Épipalinodie, Hymne, Dithyrambe, Epitaphe… pour jouir encore et encore du plaisir de « débigoter la langue dans la démesure du possible » sans s’abstenir de moquer au passage, en toute impertinence, le peu d’effets de ses vers amoureux sur la gent féminine et son souci trop marqué de la postérité, dite « branlette pérenne ».

 

mercredi 4 novembre 2020

PETITS MAÎTRES NON DÉPOURVUS D’IMPORTANCE. PIERRE-HENRI VALENCIENNES PEINTRE DE PAYSAGE.

P.H. Valenciennes, Paysage classique avec figures et sculpture, 1788, Paul Getty Museum, Los Angeles

 

 

Sans doute ne suis-je plus assez moderne ou contemporain pour me montrer indifférent au beau travail ainsi qu’à la belle carrière de ce Pierre-Henri Valenciennes qui fut au tournant du XIXème siècle le peintre par lequel, semble-t-il, la peinture de paysage à laquelle nous sommes devenus si sensibles, commença d’acquérir pour elle-même ses lettres de noblesse. Pour le dire à grands traits, Valenciennes fut le lien qui par son exemple et son enseignement conduisit de Poussin à l’impressionnisme, ayant formé dans son atelier puis dans ses cours à Polytechnique comme à l’Ecole des Beaux Arts bien des peintres de talent qui apprirent grâce à lui à regarder vraiment les jardins et les paysages. En fonction des saisons comme des heures de la journée.

Grand voyageur au cours de sa jeunesse qui lui fit en particulier découvrir l’Italie, Valenciennes multipliait devant les mouvantes, émouvantes, architectures du monde les études selon nature, consignant formes, rapports de masses ou rendus de matière, s’intéressant tout particulièrement aux jeux de lumière, aux variations de couleurs issus tant de l’éclat contrasté d’un ciel d’orage que de l’étourdissant flamboiement d’un soleil couchant.

Etude de paysage, Rome

 

La bibliothèque en ligne Gallica offre aux curieux la possibilité de feuilleter virtuellement l’un de ses carnets ramenés de Rome qui lui fournirent par la suite matière à réaliser ces importants tableaux qui bien qu’animés toujours de figures mythologiques s’imposent d’abord à nos yeux comme paysages, paysages composés, où une nature initialement perçue comme vivante, ne joue jamais le rôle d’un décor insignifiant et inanimé mais possède comme il l’écrit « une expression déterminée », parle à l’âme, exerce sur le spectateur « une action sentimentale ».

 

 

P.H. Valenciennes Etude de nuages, 1782, National Gallery, Londres

Romantique donc et classique à la fois, la peinture de Pierre-Henri Valenciennes est portée par « l’ardente ambition de représenter avec justesse et vérité »  - ces derniers mots bien entendu devant être compris de la façon dont ils étaient entendus à l’époque – « le spectacle de la nature ». Un spectacle qui comme tout spectacle est perçu avant tout dans ses effets : imposants et terribles comme lorsqu’il peint la mort de Pline et l’éruption du Vésuve ou simplement inspirant des sensations douces et mélancoliques comme dans ce tableau du Getty Museum où tant de choses se lisent pour moi de la fugacité et du mouvement mystérieux de nos existences sous un ciel qui distribue ses ombres autant que ses clartés.

 

Professeur impliqué, solide et exigeant, Valenciennes soutenait que le simple talent qu’il nommait mécanique du peintre ne pouvait à lui seul suffire à faire de lui un artiste. Il pensait qu’il fallait avoir beaucoup regardé, beaucoup apprécié et pour cela avoir aussi beaucoup voyagé avant de pouvoir peindre un paysage. Il recommandait à ses élèves de lire, de méditer. Afin de développer le plus possible en eux ces parties qu’il appelait « sentimentale et philosophique ». Ce n’était pas encore l’époque où l’art se vit essentiellement dans les esprits en termes, comme diraient les économistes, de « destruction créatrice ». Il se vivait encore, du moins chez lui, sans impatience et par là sans angoisse. Raison pour laquelle comme le suggère Kafka dans ses Préparatifs de noce à la campagne (1), mélancoliquement, il pouvait figurer parfois sur la toile, quelque chose de l’ordre d’un retour au Paradis.

 Note : 

1. "Peut-être n'y -a-t-il qu'un péché capital : l'impatience. Les hommes ont été chassés du paradis à cause de leur impatience, à cause de l'impatience, ils ne rentrent pas". Kafka

 

vendredi 25 septembre 2020

RECOMMANDATION. TOUJOURS L’INCONNU DE YANNICK KUJAWA.

Belle époque que celle où les bibliothèques d’entreprise étaient encore fréquentés par un peuple divers de lecteurs et lectrices rattachées au monde pourtant pas si facile du travail salarié. C’est ce qu’on se dit à la lecture du très beau livre de Yannick Kujawa, Toujours l’inconnu, qui prenant le prétexte d’une lointaine émission diffusée en 1967 par France Culture mettant en scène une rencontre un peu artificielle entre l’écrivaine Marguerite Duras et un groupe de lecteurs de la bibliothèque des Mines d’Harnes dans le Pas-de-Calais, nous amène, entre bien d’autres choses, à réfléchir à la relation que nous avons, chacun personnellement, avec les livres.

 

En choisissant de faire entendre le monologue intérieur d’une poignée de participants à cette rencontre que l’on peut toujours écouter en cherchant un peu sur le net, Yannick Kujawa dont on sait l’attachement très personnel qui le lie au bassin minier dont il a fait le cadre non seulement historique et sociologique, mais aussi affectif de ses précédents romans, nous invite à comprendre qu’au-delà de leur signification, disons intrinsèque, à supposer d’ailleurs qu’il en existe une, les œuvres littéraires, romans ou poèmes, voire essais, ne sont surtout pour leurs lecteurs qu’une occasion de relancer en soi, et par un jeu constant d’associations, pas toujours prévisibles, toute une activité psychique. Singulière et débordante [1].

 

Et c’est la belle idée de Yannick Kujawa que d’avoir imaginé à partir de ce que nous révèle l’enregistrement radiophonique de la rencontre, cette riche vie intérieure dont s’accompagnent les interventions de ses personnages, épouses de mineur, mineurs eux-mêmes, étudiant qui a perdu son père à la mine, ingénieur, et entraîné par la fiction, d’avoir jeté la lumière sur l’humanité profonde, la dignité, de ces personnes que l’émission qui les donne à écouter, ne pouvait que voiler.

 

Car il y a quelque chose d’un peu pervers dans cette rencontre qui procède sûrement des meilleures intentions. Envoyer sans prévenir un écrivain de la stature de Marguerite Duras, faire parler ex abrupto les habitués d’une bibliothèque populaire perdue au fin fond d’un bassin minier, à partir de textes inconnus, de Michaux, de Melville ou d’Aimé Cesaire,  c’est les plaçant dans une double ou triple situation d’infériorité, rejouer en fait, sur le plan culturel, la vieille scène bien connue du gentil colonisateur sensé, même s’il s’en défend, se trouver du côté des Lumières. À cet égard, le redoutable magnétophone Nagra dont il est régulièrement fait mention dans le livre n’est pas sans me faire penser à ces appareils photos dont nos anciens explorateurs avaient soin de se munir pour ramener chez eux leurs fameux clichés ethnographiques.

 

De cela les personnages de Y. Kujawa sont bien conscients eux qui se trouvent bien entendu flattés de l’intérêt qu’exceptionnellement on leur porte, mais qui s’inquiètent des stéréotypes à travers lesquels ils risquent d’être largement perçus [2]. Alors si certains se laissent aller à leur habituelle propension au bavardage, d’autres préfèrent se réfugier dans un silence qui dissimule les réflexions les plus profondes. Ainsi Michel :

 

On peut tout de même se demander pourquoi les Parisiens sont venus précisément dans notre bibliothèque. J'imagine qu'ils ont des contacts syndicaux, politiques. À moins que ce soit France Culture qui se soit occupé de tout ça, qui ait passé un coup de fil. En tout cas ils auraient pu se rendre dans une autre ville, une autre cité, et c'est tombé sur nous. Je ne m'en plains pas, ils se montrent avenants, ils font en sorte que ça parle, que ça réfléchisse, mais on se retrouve à représenter une communauté entière sans avoir rien demandé. C'est une responsabilité. Je ne dis pas que les intentions étaient mauvaises, seulement les actes ont des conséquences. Si des gens des Mines écoutent l'émission ils auront forcément quelque chose à redire. Pas par jalousie, non, parce que nous ne représentons que nous-mêmes. On se retrouve à parler pour les autres, en quelque sorte, on parle à leur place, même moi qui ne parle pas [3]. Cette histoire risque de nous retomber dessus.

 

Et c’est cela peut-être la grande leçon qu’on peut tirer du livre de Yannick Kujawa. C’est que s’il n’y a pas comme l’écrit Marguerite Duras de « petites gens », il n’y a pas non plus de gens du Nord, de mineurs, de femmes de mineurs, d’ingénieurs, comme il n’y a pas non plus d’écrivains, de producteurs de radio, il n’y a que des individus, des personnes, dont chaque histoire est singulière, chaque sensibilité et chaque intelligence possède ses propres caractéristiques. Derrière ce qu’est venue chercher l’équipe de France Culture, l’image globalisante d’une « espèce » sociale étrangère à son propre « habitus » parisien, image que l’émission enregistrée est sensée figer et même un peu rectifier au montage, existent dans la réalité des êtres dont le secret ne peut si facilement se livrer. Que le romancier, lui, peut sans doute comme il le fait ici approcher davantage. À la condition de leur laisser toujours leur part irréductible d’inconnu. D’inconnu oui. L’inconnu. Toujours et toujours l’inconnu.



[1] Yannick Kujawa est aussi professeur de lettres en lycée. Tous les professeurs devraient lire ce livre qui leur fera sentir comment un texte découvert en classe par leurs élèves peut-être éprouvé de l’intérieur par chacun d’eux y compris par ceux qui restent toujours muets. Personnellement c’est toujours ce type d’appropriation qui en classe m’a paru le plus fécond du point de vue de l’enrichissement personnel des jeunes que j’ai eus devant moi. Plus que le fameux dressage herméneutique qui a bien sûr aussi son intérêt mais davantage d’un point de vue technique et intellectuel que d’un point de vue humain.

[2] Surtout à une époque où l’industrie touristique n’a pas encore suscité d’attrait envers les régions marquées par un fort capital industriel ou populaire.

[3] Remarque qui concerne aussi bien entendu l’écrivain. Là est l’aporie à quoi se heurte ce type d’ouvrage c’est que pour donner corps à la parole profonde, intime de l’autre, il se voit obligé de parler à sa place.