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vendredi 2 février 2024

POUR UN VÉRITABLE ÉCLECTISME : À PROPOS DES POÈMES FANTÔMES D’EMMANUEL MOSES ET DE CANADA DU POÈTE POLONAIS TOMASZ BĄK TOUS LES DEUX CHEZ LANSKINE.

Andrea Solari (1505) et Michelangelo Merisi (1598)

Poèmes fantômes,  tel est le titre donc du tout dernier livre d’Emmanuel Moses que publient cette fois les éditions LansKine dont on dirait bien que comme lui elles font flèche de tout bois. Fantômes les poèmes d’Emmanuel le sont d’abord en ce sens qu’ils se trouvent fictivement attribués à une réunion d’auteurs de diverses époques et nationalités allant d’un lettré chinois du VIIIème siècle à un « ivrogne à temps complet » tchèque né en 1984, en passant par un poète juif d’Espagne du XIème ou un slovène de langue allemande de la première grosse moitié du XXème. Toutefois ceux qui connaissent bien l’œuvre d’Emmanuel Moses retrouveront j’imagine sans difficulté derrière ces masques qui ne tromperont personne, la sensibilité d’un auteur qui aura fait de « la connaissance émotive de la vie », pour reprendre l’expression de Pessoa, son objectif premier.

mercredi 7 avril 2021

03 74 09 84 24. ENTENDRE NOTRE BESOIN DE POÉSIE ! SUR LE RETOUR DU SERVEUR VOCAL POÉTIQUE (SVP) DE LA COMPAGNIE HOME THÉÂTRE.

DALI 1938, MOUNTAIN LAKE

On connaît bien la difficulté pour la poésie, de sortir de l’indifférence active qu’ont en général pour elle, l’enseignement, les médias, de trop nombreux responsables culturels qui, tout en se servant régulièrement du mot pour apporter sa valeur ajoutée à leurs discours, se désintéressent en fait autant qu’ils peuvent de la chose, jugée par eux ringarde, élitiste et bien sûr illisible.

On apprécie alors d’autant plus ces initiatives qu’individus, associations, compagnies, prennent pour redonner à la parole poétique cette place qu’elle a dans l’histoire des peuples[1] mais qui lui est aujourd’hui, si chichement mesurée.

 Je ne reviendrai pas sur les raisons qui auront poussé Julien Bucci, de la Compagnie Home Théâtre à relancer tout récemment le Serveur Vocal Poétique (SVP) qu’il avait pris il y a quelques mois la décision d’interrompre. Un certain nombre de médias s’en sont depuis fait l’écho, préférant d’ailleurs insister sur les à-côtés bassement politiques de la chose que sur l’intérêt littéraire et artistique de la dite opération.

jeudi 11 mars 2021

POÉSIE/PARTAGES N°5. GRANDE LIBERTÉ DE L’AIR AU-DESSUS DU FLEUVE PAR JEAN-MARIE PERRET. ACOMMPAGNÉ DE TROIS PEINTURES DE L’AUTEUR.

CLIQUER POUR OUVRIR LE PDF

 J’ai rencontré la poésie de Jean-Marie Perret il y a près de 20 ans. Il venait de publier chez Obsidiane un ouvrage qui m’a immédiatement retenu par l’intensité avec laquelle il s’efforçait de rendre jusque dans ses évocations de la mort la puissante vitalité à l’œuvre dans le monde. Celui de la nature comme celui des hommes qui l’habitent, la parcourent et par leur industrie, leur art, la transforment. Et je me suis toujours étonné que ce poète habité par toute une bibliothèque dont il partage quotidiennement sur les réseaux sociaux l’infinie richesse, ne soit pas davantage considéré. Mais rien peut-être d’étonnant à cela : la poésie de Jean-Marie Perret ne cherche pas à faire mode. À se produire sur les tréteaux. Elle ne cherche qu’à être. À dire, rien que pour soi peut-être, ce qu’il y a d’unique, de rayonnant, de déchirant finalement, à se sentir au monde. Parmi tout ce qui traverse.

 

C’est pourquoi je suis heureux de l’avoir convaincu de nous livrer une sélection des poèmes publiés en 2002, chez Obsidiane, sous le beau titre de Grande liberté de l’air au-dessus du fleuve et d’avoir à cette occasion découvert qu’il était aussi peintre, graveur et je crois même musicien. Un artiste complet donc que le souci de l’art n’aura pas empêché d’exercer le métier de postier ce qui le rapproche à mes yeux d’un autre poète que tout particulièrement j’estime, Jacques Lèbre dont j’ai parlé à plusieurs reprises sur ce blog.

Ces Cahiers numériques de Poésie en Partages sont donc ici l’occasion de redonner une nouvelle vie, une nouvelle chance à des textes qu’on aurait tort d’avoir oubliés. Et de les mettre en relation avec un autre domaine artistique qui dans le cas présent, comme on le verra, témoigne à sa manière aussi du dynamisme, de la vitalité, du puissant élan vers la vie qui anime leur créateur. J’espère que ce numéro trouvera le même écho, large, que ceux que nous avons consacrés à Stéphane Bouquet, Milène Tournier, Mary Oliver et tout dernièrement à James Sacré. En attendant ceux que nous devons prochainement réaliser avec notre amie Lili Frikh, la jeune Marine Riguet et bien d’autres dont nous aurons à reparler.

 

Lire ce Cahier avec Calameo.

mardi 24 novembre 2020

HOMO BULLA ?


Dans un passage assez souvent cité de ses copieux et nourrissants adages1, Erasme évoque la figure de Varron qui, à l’aube de sa quatre-vingtième année, explique dans la préface de ses Res rusticae qu’il lui faut écrire à la hâte, ayant désormais à faire ses bagages pour quitter ce fragile séjour où nous ne faisons que passer. Car si l’homme est une bulle - quod si, ut dicitur, homo est bulla – combien plus encore doit l’être un vieillard comme lui. Ceux qui touchent au grand âge sont toujours les plus prompts à se désoler de la brièveté de la vie.

C’est toutefois le plus souvent en mettant en scène des enfants, comme le rappelle d’ailleurs le générique de la série Undoing actuellement diffusée sur OCS, que l’art a illustré ce motif de la bulle, qui va courant du Jan Steen de La Vie humaine exposé au Mauritshuis de La Haye au portrait relativement peu connu de Manet qu’on trouvera à la  fondation Calouste-Gulbenkian de Lisbonne, voire au bien mélancolique adolescent de Thomas Couture (MET de New-York), en passant bien entendu par les célèbres versions des Bulles de savon peintes par Chardin dont Michel Delon dans Le principe de délicatesse, Libertinage et mélancolie au XVIIIe siècle, prétend qu’elles ne sont plus des vanités mais « affirment la saveur de l’éphémère, la beauté de l’anonyme ».

 

La littérature n’est pas en reste, elle qui depuis toujours multiplie les figures de la vie transitoire. Erasme le remarquait déjà qui dans son adage 1248 que j’évoquais plus haut, remonte outre Varron, à Lucien, Hippocrate, Aristote, Eschyle, Sophocle, Pindare, qui sais-je encore, lesquels comparant l’existence humaine à une fumée quand ce n’est pas à l’ombre même d’une fumée, s’accordent à nous rappeler notre peu de consistance face à l’avidité du Temps. Mais le motif de la bulle a pour le peintre quelque chose d’excitant qui plutôt que de le conduire à nous suggérer de nous préparer d’urgence à comparaître devant quelque Juge éternel, le tourne davantage vers l’exaltation de notre puissance de vie. C’est que la bulle est souffle, pneuma générateur de monde et que, ronde aussi, sphérique, elle se présente comme le magique reflet de ce lieu du cosmos où nous habitons. Et qu’elle dit à l’évidence par là quelque chose non plus de la fragilité mais du pouvoir créateur de l’homme. Il y a d’ailleurs pour le peintre un véritable défi à donner sur la toile consistance et visibilité à tant d’infinie transparence.

 

Certes, une des premières apparitions que je connaisse de ce motif  en peinture, la bulle qui dans la nature morte de Jacques de Gheyn appartenant au Metropolitan de New-York surmonte un crâne encadré d’une tulipe dans un vase et d’un rameau de buis desséché, inspire bien évidemment de sombres et sévères pensées d’autant qu’elle reflète et la crécelle des lépreux et la roue des suppliciés ! Rien en somme qui la rapproche de cet autre tableau d’Annibale Carraci qui me paraît concentrer en lui et révéler toute la richesse entraînante de signification que ce motif est aussi susceptible de prendre.

Ceux qui, par la science, vont au plus haut du monde,

Qui, par l'intelligence, scrutent le fond des cieux,

Ceux-là, pareils à la coupe du ciel,

La tête renversée, vivent dans leur vertige. 

Omar Kayyâm

 

 

L’œuvre d’Annibale Carraci n’est pourtant pas très connue. Elle représente en fait un homme en train de boire. Ou plus exactement contemplant, la tête en arrière, le fond du verre dont il vient d’absorber le contenu. Le génie du peintre est ici de nous représenter le visage du personnage dans la bulle justement formée par l’ovale du verre formant goutte, qu’il tient à la renverse. Ce n’est pas d’expir qu’il s’agit ici mais d’inspir. Et quand on connaît bien sûr la riche symbolique du vin dont le personnage nous place l’image en premier plan à travers la carafe à demi-remplie ou à demi-vidée qu’il tient de la main droite, on comprend que c’est bien de vitalité, de chaleur, de désir, qu’il est question ici. D’absorber en fait jusqu’à la dernière larme ce monde qui à la fois absorbe et nourrit notre vie. Tout jusqu’à la chaleur du coloris accentuée au niveau de la poitrine, vient renforcer cette lecture qui fait de la bulle de verre soufflé dans laquelle le buveur se projette de tous ses sens – lèvres, narines, yeux, sont pris à l’intérieur de ce cercle – le lieu d’une relation dynamique et essentielle que toute l’œuvre nous invite à partager.

 

Alors oui, je veux bien que la vie soit éphémère et que toujours trop vite asséchée soit la coupe de notre existence, mais le tableau du Carrache, plutôt qu’à ressasser toutes les fragilités bien connues de notre condition d’homme et les rigueurs aujourd’hui de notre confinement, invite lucidement à boire cette vie jusqu’à la dernière goutte. Car me retient aussi dans cette image, qu’à la différence de bien des portraits de buveurs, ou buveuses, le visage qu’on découvre sur la toile n’est pas une de ces trognes rougeaudes – je pense à celles de Hals, de Jordaens – ou avachie – Manet - mais a le regard vif et net de qui ne regarde pas qu’en lui mais toujours vers l’avant et aussi vers le haut.

 

De fait ce n’est pas l’homme qui est une bulle mais chacun de ces innombrables moments par quoi sous la pression du désir, du sentiment, de la curiosité, de son appétit de vivre, tout au long de son existence tout son être s’accroît, s’avive, au point qu’il s’y trouve absorbé. Que ce soit la beauté d’un paysage que peut-être il ne reverra plus, le sourire d’un être qu’il aime, le caractère transperçant d’une phrase, d’un récit, d’un poème, un petit pan de mur jaune, un simple craquement de feuilles sèches sous son pied, voire, c’est égal, le pur sentiment d’exister le matin quand il ouvre sa porte pour promener son chien, chacun de ces instants qui étincellent, il le sait ne durera pas. Mais d’autres bulles se formeront tout au fond de son verre et de nouveau se libèrera en lui l’impression que quelque chose en lui se dilate aux dimensions du monde et que la vie l’attend. Comme elle attend l’enfant qui bien sûr mourra un jour. Riche toutefois de toutes les expériences2, la plénitude, les joies, la sagesse, que son existence, on l’espère, lui aura apportées. 

 

Alors oui, de la toute fraîche enfance à la vieillesse racornie, envolons-nous parmi les bulles dans le plaisir toujours renouvelé de l’ouverture et de la découverte. Et comme nous y invite le poète Jacques Darras dans son Ode au Champagne3, rendons grâce à ces bulles qui grimpent dans le verre « par toutes leurs échelles comme une population d’anges » et à jamais s’élevant gardent quelque chose à nous dire et à nous faire partager de l’ordre infini des temps, de la craie par exemple sur laquelle se sera formé le vignoble et des centaines de millions d’années qu’elle a mis pour s’accumuler.

NOTES

1. Voir : http://ihrim.huma-num.fr/nmh/Erasmus/Proverbia/Adagium_1248.html

2. Il faut lire sans doute à ce propos la Petite métaphysique des jouets, de Nicolas Witkowski qui prolongeant son Histoire sentimentale des sciences fait l’ éloge de l'intuition enfantine et montre que c’est toujours l’appréhension d'une loi naturelle, une certaine façon de s’initier au mystère du monde, ce qui explique son air de concentration, qui se joue dans ces moments où l’enfant par exemple après avoir trempé sa paille dans le verre s’ingénie à en faire s’envoler sa bulle de savon.

3. Qu’on peut lire dans l’anthologie parue chez Poésie/Gallimard sous le titre l’Indiscipline de l’eau, pages 155 à 159.

4. Sur le tableau du Carrache voir toutefois ce que j'en écris dans un article plus récent :  https://lesdecouvreurs2.blogspot.com/2020/11/en-nos-propres-poreuses-et-oscillantes.html#more