Un an après la sortie de ses premières Cavales, le poète lyonnais Hervé Micolet lance, toujours à la Rumeur libre, Les Cavales, 2, ouvrage encore une fois remarquable de liberté d’expression, se proposant ni plus ni moins que de nous entraîner à la rencontre du monde, à la traversée de temps, d’œuvres, de moments, créateurs ou corrupteurs de vie et de beauté, dans un galop étourdissant, car toujours inventif et rechargé d’énergie, de strophes donnant l’impression de ne s’essouffler jamais.
S’efforçant d’entrer dans ce livre, le lecteur comprend vite que ces Cavales n’ont rien de chevaux de manège et que s’il a bien l’intention de poursuivre avec elles l’équipée, il lui faudra renoncer à se laisser passivement porter. Le caractère relativement régulier qu’impriment à la page les courts ensembles de 1 à 3 vers, plus rarement 4, ne font que mimer une allure qui demeure avant tout sauvage, rythme strophique et rythme syntaxique, pour ne rien dire du métrique, s’appliquant à conserver chacun leur rude indépendance. Et si promenade il y a comme l’évoque d’ailleurs l’un des titres du recueil, c’est dans les paysages tellement changeants de la mémoire et tant chargée de mots, de langues, d’affects, de pensées, de signes et de cultures qu’il y faut soit constante héroïque attention, soit entraînement quasi professionnel et égotique au lâcher-prise. L’un ou l’autre n’allant pas sans plaisir. Ni récompense.
Autour d’amour cette fois, de deuil encore, comme de juvénile enthousiasme du parcours entrepris heurté quand même aux diverses formes inspirantes autant que désespérantes de vieillissement et de mélancolie, l’ouvrage qui à la manière de nos grands médiévaux ne rechigne pas à l’allégorie, dresse un tableau des plus composites de notre tiraillante et vulnérable condition prise dans ce que son auteur aime à nommer sa passagèreté. Rien de commun ici si ce n’est tout. C’est-à-dire cet humain monde qui nous est donné à chaque naissance à vivre. Cette langue que nous nous passons, repassons, d’époque en époque, d’auteur en auteur, de Villon à Apollinaire en passant par Rimbaud. Tout se retrouve ici rebrassé, confondu en de si singulières, labyrinthiques et débordantes avancées qu’on dirait bien aussi que ces cavalantes cavales n’auront de cesse d’avoir tout avalé.
EXTRAIT
La complexe notion de mélancolie occupe une place première dans la conception de l’ouvrage qui se termine d’ailleurs par un poème intitulé Réfutation de Robert Burton qui fut au XVII siècle, en Angleterre l’auteur de cette Anatomie de la Mélancolie, ouvrage monstre de quelque milliers de pages republié en 2000 chez Corti dans une traduction de Bernard Hoepffner. C’est avec plaisir que j’ai découvert qu’Hervé Micolet avait consacré le premier texte de ses Cavales, 2 à une sorte d’ekphrasis du mystérieux tableau de Cranach l’Ancien, Mélancolie, qu’on peut aller voir au beau musée Unterlinden à Colmar. Inspiré de la célèbre gravure de Dürer ce tableau allégorique dans lequel se retrouve plusieurs des motifs du maître de Nuremberg, et qui personnellement présente à mes yeux un faux air de Magritte, est de ces tableaux qui ne cesse d’exciter la curiosité et de relancer notre insatiable désir d’interprétation.
Ci-dessous alors les premières strophes du poème d’Hervé Micolet :
VIGNETTE DE NOTRE-DAME
On voit mieux chez le Maître ancien
comme aussi à la tête que fait notre Christ
ou Notre-Dame au front des églises
des croix, partout
où il faut chercher son chemin,
car rien n'est aussi circonvoluté
que les chemins de la terre,
et chacun s'y embrouille
comme il est, dans sa fichue tête
dès qu'il en parle, on croit voir mieux
devant l'image pieuse où se baigner l'âme
ce qu'on fait en somme de notre chose
dont tout un sabbat s'amuse,
ainsi que d'un gibier promis. Là,
sous un ciel noir rempli d'escadrons
qui voyagent aisément par le vague
et fondent sur des burgs saxons,
à Colmar dans une salle frugale
que baigne une clarté sans soleil,
voyez notre-Dame de Peine
à son ouvrage qui cependant
vous garde à l'œil, voyez donc voir,
hombres, ce que croyez avoir. Voici
qu'on l'entame, qu'on l'épluche
et l'épointe en le tournant contre vous,
ce truc, quoi, une baguette taillée
au couteau, et des copeaux au nombre
de douze, oui, 12, sont par terre épars
auprès d'un chien sur soi enroulé
dont un œil par en dessous espionne
quiconque regarde. Tout aussi espiègle
qu'eux tous, chiens, perdrix, putti
lamies sans doute, bêtes de fange,
sorcières et alii, cette Dame
ou bien c'est demoiselle à jamais,
en habit rubescent ennuyée,
donne de l'archet
de sa lame sur une verge.
Ayant belle robe où se clore,
ayant sur soi antique seigneurie,
et pareille à dame gentille
dans l'amoureux royaume,
[si belle dame que toute entière
à ses pieds court votre vaillancel,
dame comme ça moi
je la veux. [Je suis à cela
que cette dame me gouvernera.]
Elle taille. Dedans ce bois vert,
la Dame drapée de rouge
est la Tailleuse de baguette
sans merci qui tant nous blessa
et qui pourtant nous protège,
selon quoi le mal s'est tant accru,
étant du bois même, qu'il n'y a plus
de guérison possible. [L'amant
soupçonne des choses sinistres
de ce qu'il aime, pâlit à la vue de celle
qu'il aime) mais s'entête, s'est mis
en tête une folie d'amour. [Amour
si fort l'attaque qu'à si dur cœur
en si beau corps il se rend],
et de par ce regard de basilic
contre-raison appelé Dame, tant pis,
on veut celle-ci pour notre dame.
Et certes aussi dangereuse en amour
qu'en sortilèges, experte en artifices
en leurres, cruelle et déloyale
et sarcastique, moquant jusqu'à
l'Homme de douleur,
dans sa tunique écarlate
débordée de ronds seins blancs,
abrupte femme et vénérienne,
dura virago ell'è. Elle est
à la fleur de son âge aussi vieille
que le malheur du monde, et menace
de mort dans leur entêtement ceux-là
qui en sont, de l’héroïque amour,
qu’elle prend sous son aisselle
menés longtemps ou tués d’un coup
dans sa ruse inextricable. C’est elle,
oui, c’est bien elle dont on croit
qu’elle stationne dans sa place rhénane,
sans besoin de bouger avec son pied
infirme, oui c’est vous Madame,
ma dame et notre-Dame.
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