mercredi 7 mai 2025

PARUTION. LES CAVALES, 2, D’HERVÉ MICOLET À LA RUMEUR LIBRE.

 


Un an après la sortie de ses premières Cavales, le poète lyonnais Hervé Micolet lance, toujours à la Rumeur libre, Les Cavales, 2, ouvrage encore une fois remarquable de liberté d’expression, se proposant ni plus ni moins que de nous entraîner à la rencontre du monde, à la traversée de temps, d’œuvres, de moments, créateurs ou corrupteurs de vie et de beauté, dans un galop étourdissant, car toujours inventif et rechargé d’énergie, de strophes donnant l’impression de ne s’essouffler jamais.

S’efforçant d’entrer dans ce livre, le lecteur comprend vite que ces Cavales n’ont rien de chevaux de manège et que s’il a bien l’intention de poursuivre avec elles l’équipée, il lui faudra renoncer à se laisser passivement porter. Le caractère relativement régulier qu’impriment à la page les courts ensembles de 1 à 3 vers, plus rarement 4, ne font que mimer une allure qui demeure avant tout sauvage, rythme strophique et rythme syntaxique, pour ne rien dire du métrique, s’appliquant à conserver chacun leur rude indépendance. Et si promenade il y a comme l’évoque d’ailleurs l’un des titres du recueil, c’est  dans les paysages tellement changeants de la mémoire et tant chargée de mots, de langues, d’affects, de pensées, de signes et de cultures qu’il y faut soit constante héroïque attention, soit entraînement quasi professionnel et égotique au lâcher-prise. L’un ou l’autre n’allant pas sans plaisir. Ni récompense.

Autour d’amour cette fois, de deuil encore, comme de juvénile enthousiasme du parcours entrepris heurté quand même aux diverses formes inspirantes autant que désespérantes de vieillissement et de mélancolie, l’ouvrage qui à la manière de nos grands médiévaux ne rechigne pas à l’allégorie, dresse un tableau des plus composites de notre tiraillante et vulnérable condition prise dans ce que son auteur aime à nommer sa passagèreté. Rien de commun ici si ce n’est tout. C’est-à-dire cet humain monde qui nous est donné à chaque naissance à vivre. Cette langue que nous nous passons, repassons, d’époque en époque, d’auteur en auteur, de Villon à Apollinaire en passant par Rimbaud. Tout se retrouve ici rebrassé, confondu en de si singulières, labyrinthiques et débordantes avancées qu’on dirait bien aussi que ces cavalantes cavales n’auront de cesse d’avoir tout avalé.

EXTRAIT

La complexe notion de mélancolie occupe une place première dans la conception de l’ouvrage qui se termine d’ailleurs par un poème intitulé Réfutation de Robert Burton qui fut au XVII siècle, en Angleterre l’auteur de cette Anatomie de la Mélancolie, ouvrage monstre de quelque milliers de pages republié en 2000 chez Corti dans une traduction de Bernard Hoepffner. C’est avec plaisir que j’ai découvert qu’Hervé Micolet avait consacré le premier texte de ses Cavales, 2 à une sorte d’ekphrasis du mystérieux tableau de Cranach l’Ancien, Mélancolie, qu’on peut aller voir au beau musée Unterlinden à Colmar. Inspiré de la célèbre gravure de Dürer ce tableau allégorique dans lequel se retrouve plusieurs des motifs du maître de Nuremberg, et qui personnellement présente à mes yeux un faux air de Magritte, est de ces tableaux qui ne cesse d’exciter la curiosité et de relancer notre insatiable désir d’interprétation.

Ci-dessous alors les premières strophes du poème d’Hervé Micolet :

VIGNETTE DE NOTRE-DAME

 

On voit mieux chez le Maître ancien

 

comme aussi à la tête que fait notre Christ

ou Notre-Dame au front des églises

des croix, partout

où il faut chercher son chemin,

 

car rien n'est aussi circonvoluté

que les chemins de la terre,

et chacun s'y embrouille

comme il est, dans sa fichue tête

 

dès qu'il en parle, on croit voir mieux

devant l'image pieuse où se baigner l'âme

 

ce qu'on fait en somme de notre chose

dont tout un sabbat s'amuse,

ainsi que d'un gibier promis. Là,

 

sous un ciel noir rempli d'escadrons

qui voyagent aisément par le vague

et fondent sur des burgs saxons,

 

à Colmar dans une salle frugale

que baigne une clarté sans soleil,

 

voyez notre-Dame de Peine

à son ouvrage qui cependant

vous garde à l'œil, voyez donc voir,

 

hombres, ce que croyez avoir. Voici

qu'on l'entame, qu'on l'épluche

et l'épointe en le tournant contre vous,

 

ce truc, quoi, une baguette taillée

au couteau, et des copeaux au nombre

de douze, oui, 12, sont par terre épars

 

auprès d'un chien sur soi enroulé

dont un œil par en dessous espionne

 

quiconque regarde. Tout aussi espiègle

qu'eux tous, chiens, perdrix, putti

lamies sans doute, bêtes de fange,

 

sorcières et alii, cette Dame

ou bien c'est demoiselle à jamais,

 

en habit rubescent ennuyée,

donne de l'archet

de sa lame sur une verge.

 

Ayant belle robe où se clore,

ayant sur soi antique seigneurie,

 

et pareille à dame gentille

dans l'amoureux royaume,

 

[si belle dame que toute entière

à ses pieds court votre vaillancel,

dame comme ça moi

 

je la veux. [Je suis à cela

que cette dame me gouvernera.]

 

Elle taille. Dedans ce bois vert,

la Dame drapée de rouge

est la Tailleuse de baguette

 

sans merci qui tant nous blessa

et qui pourtant nous protège,

 

selon quoi le mal s'est tant accru,

étant du bois même, qu'il n'y a plus

de guérison possible. [L'amant

 

soupçonne des choses sinistres

de ce qu'il aime, pâlit à la vue de celle

qu'il aime) mais s'entête, s'est mis

 

en tête une folie d'amour. [Amour

si fort l'attaque qu'à si dur cœur

en si beau corps il se rend],

 

et de par ce regard de basilic

contre-raison appelé Dame, tant pis,

on veut celle-ci pour notre dame.

 

Et certes aussi dangereuse en amour

qu'en sortilèges, experte en artifices

en leurres, cruelle et déloyale

 

et sarcastique, moquant jusqu'à

l'Homme de douleur,

dans sa tunique écarlate

 

débordée de ronds seins blancs,

abrupte femme et vénérienne,

 

dura virago ell'è. Elle est

 

à la fleur de son âge aussi vieille

que le malheur du monde, et menace

de mort dans leur entêtement ceux-là

 

qui en sont, de l’héroïque amour,

 

qu’elle prend sous son aisselle

menés longtemps ou tués d’un coup

dans sa ruse inextricable. C’est elle,

 

oui, c’est bien elle dont on croit

qu’elle stationne dans sa place rhénane,

 

sans besoin de bouger avec son pied

infirme, oui c’est vous Madame,

 

ma dame et notre-Dame.

 

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