jeudi 29 décembre 2022

WILLIAM S. MERWIN : L’ENTRAÎNANTE PROTESTATION DU DIRE

Je ne suis pas spécialement fier d’avoir en 2006 publié dans ce qui était encore la Quinzaine Littéraire cet article à propos de la sortie en France d’un livre du poète américain William S. Merwin. J’étais à l’époque totalement passé à côté de la publication en 2004 aux éditions FANLAC d’un ouvrage intitulé La Renarde dont Jacques Réda n’hésita pas à composer un éloge bien plus inspiré que ce que j’ai pu de mon côté écrire. Mais comme l’ami Christophe Manon qui, lui-même, je viens de le voir, reste attaché à ce poète disparu il y a quelques trois ans, je pense qu’il n’est pas inutile de reprendre ici cette présentation qui aura au moins le mérite de témoigner que les poètes ont souci de leurs morts et d’en maintenir autant qu’ils peuvent le vivant souvenir.

"On s’étonnera en découvrant le recueil du poète William S. Merwin, paru en 1973 aux Etats-Unis sous le titre Written to an unfinished accompaniment qu’il ait fallu attendre jusqu’à aujourd’hui pour qu’un éditeur français – en l’occurrence Cheyne - nous offre la première édition d’un des ouvrages les plus marquants de ce poète abondant et protéiforme qui depuis le milieu des années soixante collectionne dans son pays mais aussi à l’étranger les prix les plus prestigieux.

jeudi 8 décembre 2022

PHILOSOPHIE DE NOS VIES VULNÉRABLES. COMPTINES DE L’INEXISTENCE D’ALEXANDRE BILLON CHEZ GROS TEXTES.

Alexandre Billon est philosophe. C’est un fait. Il est aussi poète. On le sent. Attaché à sa famille, c’est encore un époux amoureux, un père qui reste aussi un fils. Le fils d’un père mort avec lequel il continue d’entretenir le dialogue. Sur leur façon d’aimer le monde. Et de le trouver beau.

N’étant pas philosophe, je me suis toujours un peu perdu dans les notions d’être, de non-être, de néant, d’existence, d’inexistence, ne retenant finalement vraiment des choses que les phénomènes par quoi elles se manifestent ou pas à ma sensibilité. Paradoxalement, c’est le cas aussi, je pense, d’Alexandre Billon, pour qui la lumière du soleil, le mouvement des vagues, le vol d’un cerf-volant, la couleur d’un vieux slip, les bouts d’écorce d’un marronnier ramassés dans une cour d’enfance, une gorge qui pique, l’absence même de l’être aimé s’écarquillant au bout des doigts, en disent bien plus long sur notre condition que toutes les métaphysiques.

Ce qui ne veut pas dire que la poésie d’Alexandre Billon soit du genre réaliste. Que non. Fantaisiste, humoristique, pourquoi pas fantastique, procédant au fond d’un esprit joueur à la fois curieux, farfelu et inquiet, qui n’aurait pas coupé ses liens avec l’enfance, elle se lance régulièrement dans de folles imaginations[1], s’ouvrant devant elle le champ finalement vaste pour la pensée de cette inexistence dont elle prétend ramener ses comptines surprenantes souvent, autant que douce-amères.

Comptines ? Il me faut quand même interroger ce mot qu’utilise Alexandre Billon pour titrer son recueil. Tantôt longs, tantôt courts, ses textes n’ont rien de particulièrement rythmés, se refusant généralement au mètre comme à la rime. Et si jeu bien sûr il y a ce sont jeux de pensée, non ces jeux bien connus de formules propres à la comptine, auxquels nous avons affaire. Quelques répétitions ponctuelles, « d’néant d’néant, d’néant » ou « groin groin groin » ne suffisent en effet pas à imposer à nos yeux l’idée que la fameuse souris verte de nos enfances, les pic et pic et colegram, sans compter les ratatam, nous ont laissée de ces populaires créations qui nous apprenaient à grandir. Le terme de comptine me semble donc là tout simplement pour conjurer l’esprit de sérieux qu’on pense trop souvent être le propre du philosophe. Plus profondément peut-être pour exprimer de la part de l’auteur l’idée certes un peu pathétique qu’il est toujours l’enfant attendant du jeu qu’enfin il le désigne. Ou le libère. Car on ne peut s’empêcher de penser, à la lecture de ce livre, qu’il tourne finalement tout autour d’une blessure. La perte de ce père qui reste au fil des pages le papa avec lequel on échange. Qu’on ne se résigne pas à voir retourner au néant, quoi qu’en puisse dire Parménide. Finalement, il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour me faire avancer ici que ce livre un peu foutraque et vivant qui ne roule pas des mécaniques et d’apparence souvent drôle, reste en fait dominé par un fort sentiment de vulnérabilité. Ce qui me va très bien. Tant je pense, que si comme le dit Aragon, « rien n’est jamais acquis à l’homme », c’est bien pour cela qu’il nous appartient de saisir chacun des instants héraclitéens qui passent. Et d’embrasser autant qu’on peut nos morts. Sans oublier les vivants.



[1] Comme quand par exemple elle imagine un monde se retournant sur lui-même où de « la bouillie marron rose » que nous mâchons savamment, sortirait une saussice Herta redevenant devant nos mains qui se desserrent, un beau cochon groin groin qui disparaît dans les champs.

 


 

mardi 6 décembre 2022

APRÈS-MIDI DÉCOUVERTES AU CHANNEL DE CALAIS AVEC CHRISTOPHE MANON, LAURENCE VIELLE ET LE MUSICIEN JERÔME PAQUE.

Des années que nous avons le plaisir d’accueillir pour leur faire découvrir un peu la poésie contemporaine les élèves du lycée Berthelot de Calais. Dans l’un des cadres aussi parmi les plus extraordinaires de notre région : la salle du Passager que l’équipe de la Scène nationale du Channel que l’on ne saurait trop remercier met à disposition.

mardi 29 novembre 2022

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. À LA RENCONTRE D’ALAIN LÉVÊQUE À L’ATELIER CONTEMPORAIN.


Je ne connais pas Alain Lévêque. Il me semble pourtant à le découvrir aujourd’hui dans ce livre de l’Atelier contemporain, intitulé À la rencontre, sous-titré, Carnets & essais sur des peintres, 2003-2020, que sa façon d’aborder la vie, la vie à travers la peinture, la poésie, les paysages, toute l’immensité des choses du monde, à partir de la reconnaissance largement consentie de notre finitude, qu’il est de ces esprits amis, de ces compagnies fraternelles que le temps, l’étude, les voyages, les rencontres, toute l’attention portée à ce qui nous entoure, m’auront heureusement permis de rassembler en moi.

vendredi 25 novembre 2022

ANTHOLOGIE DÉCOUVREURS. SHIFUMI DE LAURENT ALBARRACIN.

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Les amateurs de poèmes courts, j’imagine qu’il s’en trouve au moins autant sinon plus, que de poèmes longs, trouveront j’espère leur bonheur dans ces neuf shifumi – j’hésite à mettre ou pas un « s » - que j’ai retenus du dernier livre de Laurent Albarracin qui part donc de ce jeu bien connu emprunté au Japon qui lui a donné son nom. Chez nous le pierre, papier, ciseaux aura fini par supplanter la mourre, ce jeu du nombre illusoire des doigts qu’évoque dans L’Ermite, Guillaume Apollinaire. Oui, Guillaume, les humains savent tant de jeux ! Dont ceux qu’ils pratiquent avec les mots (nombre/nombril !), toutes les formes du langage, reportées sur la page, modulées par la voix, éclairées par l’esprit, sont loin d’être les moindres.

Au lecteur maintenant de jouer. Peut-être aussi d’arbitrer. S’il retrouve bien entendu la règle. Qui sans doute est extensive. Souple. L’art ayant quand même toujours besoin pour se parfaire, de liberté.