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mardi 27 avril 2021

CE BIEN JOUIR ET BIEN PENSER D’ÉCRIRE. ASSEMBLAGES ET RIPOPÉES DE JEAN-PASCAL DUBOST AUX ÉDITIONS TARABUSTE.

C’est une nouvelle fois à « débauche plumitive au long cours » que les éditions Tarabuste invitent le bénévole lecteur – il en reste – avec Assemblages et ripopées composés par cet opiniâtre Ouvrier Verbal Complexe Qualifié (O.V.C.Q.)[1] qu’est Jean-Pascal Dubost. Reprenant ici des textes pour la plupart déjà parus dans diverses maisons suite à ces Résidences d’écriture « par quoi l’écrivain revêt officiellement sa fonction essentielle d’écrivain en temps donné (rétribué) et lieu précis », l’auteur, appareillant comme toujours les « mille (et plus) subtilités des langages humains » s’adonne à cet art du mélange et de l’invention fait avant tout chez lui des rencontres fécondes que suscite la fréquentation minutieuse autant qu’aventurée des textes anciens comme bien sûr modernes et des milliasses de dictionnaires, glossaires, listes, répertoires, tables, index, lexiques dont on imagine ses bibliothèques pleines jusqu’à craquer. 

 

Écrit suite à un séjour d’auteur à proximité d’un vignoble, celui de Grignan-les-Adhémar, Assemblages, le premier ensemble du recueil, sensé évoquer les plaisirs du vin, célèbre pour commencer l’intense fermentation d’intelligence et de langue mêlées par quoi s’élabore « en fût céphalique » le poème qui comme un bon vin se fait « d’assemblages de différents terroirs lexicaux et champs sémantiques favorisés cependant par une bonne exposition aux dictionnaires, aux documents » et paroles entendues. La métaphore file alors malicieusement de l’une à l’autre de ces deux éjouissantes réalités dont le commun est de réchauffer tant les sens que l’esprit et de se prêter, par travail éclairé portant sur choix des meilleures matières, à l’élaboration de produits inédits et goûteux.

 

Ripopées, terme qui lui aussi appartient au lexique du vin,  quoique connoté cette fois de façon négative, encore qu’il est des ripopées – j’en ai l’expérience – proprement extraordinaires tel cet Edelzwicker un soir bu dans une winstub de la rue des Juifs à Riquewihr, Ripopées donc, ensemble de textes adressés au cher Ronsard, pour cause cette fois de résidence au prieuré de Saint-Cosme où vécut et mourut l’illustre Sonneur Vendomois, n’est qu’une autre façon de cogner de la langue contre celle du maître ancien, s’amusant aux formes par lui expertement pratiquées, Epître, Epigramme, Imitation, Folastrie, Épipalinodie, Hymne, Dithyrambe, Epitaphe… pour jouir encore et encore du plaisir de « débigoter la langue dans la démesure du possible » sans s’abstenir de moquer au passage, en toute impertinence, le peu d’effets de ses vers amoureux sur la gent féminine et son souci trop marqué de la postérité, dite « branlette pérenne ».

 

vendredi 28 août 2020

POÉSIES SOURDES.

 

« Les paroles elles-mêmes et les langues, indépendamment de l’écriture, ne définissent pas des groupes fermés qui se comprennent entre eux, mais déterminent d’abord des rapports entre groupes qui ne se comprennent pas :

S’il y a langage, c’est d’abord entre ceux qui ne parlent pas la même langue.

Le langage est fait pour cela, pour la traduction, non pour la communication. »

Deleuze et Guattari, Mille Plateaux [1]

 Je dois à mon ami Laurent Grisel qui y a collaboré, d’avoir reçu l’imposant numéro de la revue GPS (gazette poétique et sociale) consacré aux enjeux de la traduction des poésies en langue des signes. Comme la plupart des gens j’ignore tout de ce langage des signes que je ne connais finalement que par la gestuelle accompagnant les discours qu’il m’arrive d’écouter à la télévision. Quant à une poésie propre à la langue des signes l’idée qu’il s’en trouvât une, ne m’avait à vrai dire jamais, mais jamais, effleuré.

 C’est le mérite premier donc pour moi de cette publication dont les éléments ont été collectés par la musicienne Brigitte Baumier, créatrice de l’association Arts Résonnances, que de restituer à des réalités qui jusqu’ici m’échappaient, un peu de leur épaisseur et de leur singulière complexité. Et de vérifier au passage que l’essentiel besoin d’expression de chacun trouve toujours à s’illustrer quels que soient les matériaux particuliers dont il dispose.

 Reconnues maintenant dans le monde comme des langues à part entière et non plus seulement comme simple reproduction d’une langue orale première qu’elles visualisent et gestualisent, les langues des signes ont ceci de particulier qu’à la différence de celles qu’utilisent les entendants, elles se déploient dans le visible et engagent pour cela tout le corps. Ce qui lorsqu’elles se veulent poésie les rapproche de la performance et en rend comme cette dernière la trace, l’archivage plus difficiles. Car même s’il en existe des transcriptions graphiques, les créations d’un poète signeur (c’est ainsi qu’on l’appelle) ne peuvent être conservées dans leur réalité propre que par la vidéo. 

Le lecteur curieux de ces créations découvrira ainsi, grâce à un site internet dédié, accessible dans la revue par un QR code, un monde animé d’une belle vitalité qu’il serait dommage d’ignorer. Mais l’intérêt me semble-t-il de ce onzième numéro de GPS réside davantage encore, comme l’indique d’ailleurs clairement son titre secondaire, dans les réflexions auxquelles conduisent la plupart des articles qui s’y trouvent rassemblés. Comment en effet fabriquer du commun, échanger quand même à travers du langage, quand ceux-ci, celui de l’émetteur et celui du récepteur, présentent des différences aussi radicales de formes. La question comme on le voit déborde largement celle des « poésies sourdes ». 

« S’engager dans cette aventure, écrit Marie Lamothe, dans une contribution justement intitulée L’Intraduisible et l’on ne peut s’empêcher d’évoquer ici le fameux Dictionnaire des intraduisibles publié en 2004 sous la direction de Barbara Cassin, est un challenge pour braver des limites et révéler les capacités insoupçonnées de chaque langue. » Car entre langues des signes et langues des sons la traduction devient un acte poétique à part entière. L’interprète s’y fait « l’interpoète », ce mot-valise résumant à lui seul le champ de tension dans lequel se voit jeté le traducteur qui comprend que la seule façon possible de servir la volonté d’expression de l’autre est de trouver en lui-même de manière intelligente et inventive des ressources on ne dira pas parallèles, ce qui est dans les faits impossible mais le plus possible accordées. Équivalentes. Dans l’ordre de l’idée. Du rythme. De l’intensité. De l’émotion encore qu’elles font advenir. 

On se reportera à la précise synthèse que dressent Marion Blondel et Laurent Grisel des formes de correspondances pouvant être ou pas trouvées entre ces 2 systèmes de langue, au niveau par exemple de la syllabe, des rythmes, du silence pour se faire une idée des défis particuliers que doit affronter qui veut passer entre ces langues et de l’intelligence créative que cette opération réclame. 

Et c’est cela que pour moi je voudrais retenir. C’est que s’il n’existe pas, et c'est heureux, de langage universel capable d’exprimer l’ensemble des expériences partagées par tous les groupes ou peuples de la Terre, cela ne signifie pas pour autant bien au contraire que la traduction soit une œuvre impossible. Aucune langue en fait, comme on le voit bien dans la réalité, n’est incommensurable à l’autre. Ce qui sûrement est vrai, c’est qu’en matière d’échange entre les hommes, entre les êtres, il y a toujours de la perte. Ou de l’excès. En tous cas de l’approximation. Une approximation réellement créatrice qui n’est d’ailleurs pas que le fait de la différence des langues. Tout geste, toute parole, contient de l’indéterminé, du flou, produit comme un remous de connotations dont il est impossible de faire jamais le tour. Ce qui produit le malentendu. La confusion. Certes. Parfois l’enfermement. Mais oblige à penser le geste, la parole échangés toujours comme une approche. Un risque. Un inlassable et généreux cheminement. Que vient récompenser la découverte, à chaque fois, oui, de nouveaux possibles. 

C’est à cela que ce courageux numéro édité par les très contemporaines éditions Plaine page invite chacun d’entre nous.



[1] Cette citation a été placée par les responsables de la revue à la fin de leur ouvrage en guise d’exergue inversé.


 

mercredi 27 novembre 2019

DES EFFETS MONSTRUEUX DE LA GLOBISHISATION. POURQUOI IL NOUS FAUT IMPÉRATIVEMENT LIRE LE DERNIER LIVRE DE GÉRARD CARTIER !

CLIQUER POUR LIRE L'EXTRAIT

Poètes, écrivains, enseignants nous sommes attachés à cette langue que nous travaillons et tentons de transmettre. Car nous savons que la langue comme l’écrit Barbara Cassin, prolongeant une belle image du grand linguiste allemand Humboldt, « n'est pas seulement un instrument de communication, un service ; ce n'est pas non plus seulement un patrimoine, une identité à préserver. C’est un filet jeté sur le monde » qui ramène à notre conscience une part de réalité. Nous permettant de la penser. Plus une langue est forte, riche, plus la part de réalité qu’elle nous permet d’entrevoir est précise et profonde. Plus la langue s’appauvrit, plus le filet de son vocabulaire, les mailles de sa structure se distendent, plus large devient la part de monde qui fuit hors de notre conscience. Échappe à notre sensibilité.

« Quand on dit « bonjour » ou « good morning », on souhaite que la journée soit bonne. Quand les Grecs se saluaient, ils disaient « Khaire », « jouis », réjouis-toi de la beauté du monde dont tu fais partie. Les Latins disaient plutôt « vale », « sois en bonne santé ». En arabe, en hébreu, on fait שלום que « la paix soit avec toi ». En mandarin, paraît-il, on demande : « As-tu mangé ? » C'est toujours bonjour, mais on n'ouvre pas le monde de la même manière. » écrit Barbara Cassin dans une chronique de l’Humanité reprise en ligne par le collectif national l’Appel des appels, qui s’est donné pour mission de « résister à la destruction volontaire et systématique de tout ce qui tisse le lien social ». En l’occurrence ici notre heureuse et féconde diversité.

Dès lors comment ne pas réagir face à la mise en place de cette pseudo-langue universelle, le « globish » dont il faudrait être aveugle pour ne pas voir comment – sous des apparences légères et le plus souvent ludiques – le terrible travail d’uniformisation des sensibilités et des consciences qu’il entreprend, nous soumet chaque jour davantage au règne de l’argent et de la marchandise.  

Sous le régime nazi, un philologue allemand Viktor Klemperer a tenu un compte quasi journalier de la façon dont la langue du 3ème Reich, - c’est le titre de son ouvrage [1] – est, à force de simplisme et de matraquage, parvenu à faire nager "dans la même sauce brune " la plupart des esprits d’un des pays comptant pourtant parmi les plus cultivés d’Europe.[2]


Cette chose qui nous menace aujourd’hui, d’ailleurs amplifiée par l’extrême fascination qu’exerce sur chacun la toute puissance des nouvelles technologies, est peut-être plus grave car elle ne se limite plus aux frontières d’un pays. Elle ne vise rien moins qu’à s’imposer à l’ensemble des peuples de la terre.  C’est pourquoi nous pensons important d’offrir à la réflexion de ceux qui nous liront, ces pages essentielles du dernier livre de Gérard Cartier, Du franglais au volapük, dont nous avons précédemment rendu compte, en espérant en voir le plus possible partagés, l’inquiétude et le désir de résistance.



[1]  Victor KLEMPERER, LTI, la langue du 3e Reich. Carnets d'un philologue, Paris, Albin Michel (coll. Bibliothèque Idées), 1996, 375 p. Traduit de l'allemand et annoté par Elisabeth Guillot. Présenté par Sonia Combe et Alain Brossat.
 
[2] Qui fabrique la LTI ? V. Klemperer voit en Gœbbels son forgeron principal, et en Hitler, Göring et Rosenberg ses acolytes. Qui parle la LTI ? « Tous, littéralement tous, parlaient […] une seule et même LTI» (p. 330). Le nazisme a fait de la langue du parti la langue de tous. Il a fait d'un bien particulier un bien général. Il a accompli son dessein totalitaire. Partout, même « dans les maisons de Juifs, on avait adopté la langue du vainqueur » (p. 258). Les mots circulent, du parti à l'armée, du parti à l'économie, du parti au sport, du parti aux jardins d'enfants. Le mot Weltanschauung (vision du monde), à son départ « terme clanique », se met à circuler sur toutes les lèvres : « Chaque petit-bourgeois et chaque épicier des plus incultes parle à tout propos de sa Weltanschauung et de son attitude fondée sur sa Weltanschauung » (p. 191). Extrait du CR de l’ouvrage de V. Klemperer par Alice Krieg, dans la revue Mots, n°50, mars 1997. Israël - Palestine. Mots d'accord et de désaccord. Voir en ligne : https://www.persee.fr/issue/mots_0243-6450_1997_num_50_1?sectionId=mots_0243-6450_1997_num_50_1_2319


mardi 19 novembre 2019

NOTRE INVISIBLE CAGE D’ACIER. SUR UN PLACET DE GÉRARD CARTIER : DU FRANGLAIS AU VOLAPÜK, CHEZ OBSIDIANE.

« Jamais notre langue n’a été aussi malmenée et jamais à ce point mal aimée ». C’est vrai que de découvrir, par exemple, dans la bouche d’un Président de la République, se piquant d’avoir été proche d’un philosophe comme Paul Ricoeur, qu’il croit « dans l’autonomie et la souveraineté » car « la démocratie est le système le plus bottom up [sic] de la terre », a de quoi faire bouillir jusqu’aux natures les plus tièdes. Faire se cabrer jusqu’aux plus flegmatiques et accommodants esprits [1].


We are, us, moderns, the new France


jeudi 15 février 2018

DÉCHIRER NOTRE FILET MENTAL. GALERIE MONTAGNAISE DE DIDIER BOURDA.



À quoi se mesure l’importance ou la nécessité d’une œuvre ? Et d’ailleurs à quoi bon mesurer ? Étalonner. Classer. Toujours hiérarchiser. Difficile quand même de négliger le fait qu’il existe des œuvres qui par l’ouverture de l’intelligence sensible qui préside à leur écriture, excèdent, par la profondeur des questions et l’importance des éléments qu’elles convoquent, l’attention  toute relative que méritent la plupart des petites combinaisons poético-narcissiques par lesquelles certains parviennent à faire malgré tout illusion.


Galerie montagnaise, du béarnais Didier Bourda, est justement de ces livres majeurs qui, sans renoncer en rien à la nécessité de dire ses quatre vérités à notre triste époque, présente aussi la féroce ambition de redonner à la poésie quelque chose de la magie profonde, de la nécessité vitale, du lien originel aussi, qu’au sein de sociétés depuis longtemps disparues, elle entretenait avec le monde.  

mardi 30 mai 2017

HOMMAGE AUX TRADUCTEURS. 4 POÈMES DE SUSAN WICKS.

Les Ménines Picasso-Velasquez
Le hasard a voulu que je découvre il y a quelques mois le travail de la poète et traductrice anglaise Susan Wicks. Cette dernière qui, après avoir introduit dans sa langue un certain nombre d’ouvrages de Valérie Rouzeau, travaille actuellement sur l’œuvre d’Ariane Dreyfus, m’est encore mal connue mais je souhaiterais lui rendre aujourd’hui un rapide hommage. En proposant de découvrir sur ce blog 4 de ses poèmes où les choses du quotidien forment la matière émouvante d’une poésie toute d’ouverture et de pénétrante sensibilité.
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Nous ne rendons jamais assez hommage aux traducteurs. Et comme elle nous apparaît stupide cette idée que la poésie est intraduisible et qu’une œuvre traduite ne saurait tenir lieu de l’original. De fait, lecteurs, nous ne faisons que traduire. Tant il est évident que le texte source que nous lisons, même s’il se trouve écrit dans la langue que nous considérons nôtre, ne prend corps en nous, couleur et sens qu’en se voyant reconfigurer par la mystérieuse et complexe machinerie de notre intelligence mémorielle propre et se trouve forcé d’entrer en résonance et dialogue avec l’ensemble des réseaux singuliers de connotations et de significations que notre histoire, notre sensibilité et notre éducation ont plus ou moins profondément tissés à l’intérieur de nous.

Est-ce à dire alors, comme le fait le célèbre narrateur du Temps retrouvé, que chaque lecteur n’est jamais que le lecteur en miroir de lui-même ? Et qu’ainsi nous tournerions en rond dans notre cercle particulier de représentations ou de préoccupations ? Sans doute. Mais on aurait tort d’en oublier que de l’un à l’autre, du texte de l’auteur à l’image qu’en produit le traducteur/lecteur, tout un travail d’accommodation en direction des choses, d’ouverture et de stimulation de nos propres puissances de création, s’effectue. Par quoi nous éprouvons la réelle fraternité qui nous attache aux autres et élargissons, approfondissons cet espace de particularités qu’est, c’est vrai, notre monde. Tant heureusement nous sommes, à travers la parole, des êtres étirables, modulables. Plastiques.

Oui. Si le texte est un peu miroir,  c’est un miroir aimanté. Qui m’affecte et m’oblige en partie à sortir de moi-même. Mieux : à redéfinir et reconstruire, à chaque fois les limites et les conditions de ma propre altérité.

Alors, d’évidence, nous ne pouvons que nous réjouir que l’inlassable travail des traducteurs ait fait paraître devant nous ces d’œuvres dont le manque rendrait notre paysage intérieur autrement plus étriqué et misérable qu’il n’est. Oui, et ce n’est pas un cliché de le dire et le redire, que serais-je sans les traductions d’Homère et de la Bible ? Et tout le travail de pensée et de sensibilité que ces grandes œuvres traduites ont généré au cours des siècles dans toutes les langues de la terre.

Hommage donc aujourd’hui aux traducteurs, compatriotes de l’ailleurs, qui augmentent le monde. Font de l’altérité leur propre et nous offrent la possibilité de nous inventer et de nous réinventer sans cesse au contact de toutes les œuvres, les grandes comme les plus modestes, qui composent le chant multiple, toujours recommencé, de la plus belle part, vraiment, de notre humanité.

mercredi 3 mai 2017

LIRE ALEXANDER DICKOW !

Cliquer dans l'image pour ouvrir le document
Pour prolonger l’éloge que j’ai récemment publié du livre de Dickow, j’invite le lecteur curieux à en lire un extrait accompagné d’un commentaire lumineux de François Huglo sur le sens des  « incorrections » dont l’auteur – qui est totalement bilingue -  joue de manière si singulière dans son texte. François Huglo se référant lui aussi dans son billet à l’oeuvre de François Jullien, j’en profite pour recommander ici  la lecture de Vivre de paysage ou l’impensé de la raison, paru chez Gallimard en 2014. Et en citer l’une des lumineuses approches qu’il fait de cette notion de paysage que pour ma part j’élargis depuis longtemps à la relation existant entre langue et poésie.


« Il y a paysage non seulement quand s'efface la frontière du perceptif et de l'affectif ou que du perceptif se révèle en même temps, indissociablement, affectif: mais aussi quand s'abolit la coupure du tangible, physique et du spirituel et que du spirituel se dégage à partir du physique. Le propre du paysage, autrement dit, ce qui le promeut de pays en paysage, ce qui fait qu'il y a « paysage », est qu'il nous hisse — nous hausse — à cette transition et la fait apparaître. Il nous élève à du spirituel, mais dans la nature, au sein du monde et de sa perception : de ce monde de montagnes et d'eaux que j'habite et dans lequel je me promène, à travers ses alternances du massif et du fluide, du visible et de l'audible, de l'opaque et du transparent. Il y a paysage quand le monde, du fait de l'activité de ses corrélations, ouvre du dégagement en lui et nous le fait éprouver — «dégagement» sera le terme clé. Car il y a de nos jours (c'est là notre nouvelle tâche de pensée), non pas à renoncer à la transcendance (toute pensée qui s'enfonce dans son déni y meurt), mais à ne plus la concevoir comme une fuite (dans quelque autre monde) : à concevoir le « spirituel », non plus comme de l’« Être » (s'opposant à l'écoulement du devenir), mais comme du processuel. En quoi le paysage alors est révélation. »

lundi 24 avril 2017

UNE BIEN GOÛTEUSE CHAIR DE PAROLES. RHAPSODIE CURIEUSE D’ALEXANDER DICKOW.

MU-QI 6 kakis 
« On ne parle pas les choses mais autour ». Non cette phrase n’est pas tout-droit tirée de Montaigne. Elle vient du dernier livre du poète Alexander Dickow qui, sous le titre de Rhapsodie curieuse, semble consacré à l’éloge du kaki, ce fruit mal connu chez nous du plaqueminier dont nous disent les encyclopédistes il existerait dans le monde plus de 600 espèces, sous-espèces et variétés. 

Écrivons-le d’emblée. De tous les livres que j’ai reçus dernièrement, l’ouvrage de Dickow publié par les intéressantes et exigeantes éditions louise bottuest sans doute celui qui m’aura fait la plus forte impression. Procuré le plus de plaisir vrai. Et le plus convaincu de l’intérêt de ces oeuvres de parole, qui, conduites de l’intérieur, nourries d’une véritable curiosité et science des choses, savent profiter de toutes les libérations produites par plus d’un siècle de renouvellements et d’expérimentations littéraires, d’interrogations aussi sur le dire, pour ouvrir toujours davantage nos sensibilités et nous aider à comprendre, approcher, un peu différemment et pour en mieux jouir, l'obscure évidence ou l'évidente obscurité du monde...

Intitulée Rhapsodie le petit grand livre d’Alexander Dickow coud effectivement ensemble des formes et des registres dont le rapprochement peut sembler a priori curieux. Hymne à la diversité – celle des choses et des langues – éloge du goût et de la connaissance,  satire en creux des conformismes auxquels nous nous laissons paresseusement aller dans nos vies quotidiennes, réflexion philosophique sur les complexes relations existant entre le penser et le sentir, entre le corps et l’esprit, les choses et les mots sensés les définir ... sans oublier contes rapportés, inventés, fantaisistes, pastiches, et surtout maladresses syntaxiques voulues, comme d’un qui viendrait d’une autre langue, tout concourt à produire un livre totalement d’aujourd’hui, où le lecteur bien que confronté à tout un choix décalé et délicieusement imparfait de matières, étrangement, ne se perd pas. Se trouve à chaque page comblé. Assuré qu’il se trouve d’être en présence d’une oeuvre véritable. Visiblement pensée. Sentie. Portée. Riche en saveurs diverses. Multiples. Contrariées.

dimanche 8 mai 2016

ENCORE UNE BABEL PARFAITEMENT RÉUSSIE, AU CHANNEL, AVEC LES ÉLÈVES DU LYCÉE BERTHELOT DE CALAIS !

BABEL BERTHELOT AVEC RYOKO SEKIGUCHI


Une superbe Babel encore cette année avec les élèves du lycée Berthelot ! Construite grâce à l’aide financière votée par l’ancien Conseil Régional du Nord-Pas-de-Calais, autour de la présence lumineuse de la grande poétesse et traductrice japonaise Ryoko Sekiguchi, dans la magnifique salle du Passager, comble pour l’occasion, c’est près d’une centaine d’élèves qu‘elle a rassemblée sur le plateau pour y lire et interpréter des poèmes écrits par les plus grands auteurs de l’Antiquité à nos jours.

Si bien entendu certains se sont montrés encore intimidés par le fait de venir ainsi se présenter sur scène, beaucoup, en revanche ont manifesté de belles qualités comme en aura tout particulièrement témoigné, je pense, aux yeux de tous, la remarquable mise en musique et en voix du célèbre texte de Baudelaire Anywhere out of the world, totalement élaborée par un groupe d’élèves de l’option musique.


De telles manifestations dont on aimerait qu’elles soient plus largement répandues dans tous les établissements de France sont de celles qui nous paraissent les plus à même de redonner vraiment le goût de la poésie à cette jeunesse qui place – c’est son âge -  l’émotion et le partage loin devant les nécessités de l’analyse et du commentaire. Ce qui ne l’empêche pas de réussir dans ses études. Les excellents résultats des élèves du lycée Berthelot de Calais qui mène depuis longtemps une politique d’ouverture culturelle et de rencontres parmi les plus dynamiques à coup sûr de l’Académie en sont la preuve. 


mercredi 4 mai 2016

POUR BABEL ! DU PAIN DES LANGUES ET DES OISEAUX. PARTAGER NOS DIFFÉRENCES !

FRANZ SNYDERS CONCERT D'OISEAUX vers 1635
   
Ce texte est dédié aux élèves du lycée Henri Wallon de Valenciennes que j’ai pu rencontrer à l’occasion de la mise en place de leur première Babel Heureuse !

Babel. Babylone. Babil. Il existerait dans le monde 9000 espèces d’oiseaux. Sans doute aussi, nous dit-on, un nombre presque aussi important de langues. On sait ce qui attend l’ensemble des espèces animales  du fait de ce que les scientifiques n’hésitent plus aujourd’hui à appeler la sixième extinction massive. En revanche sait-on que notre siècle risque également de voir à jamais disparaître des milliers de ces systèmes intelligents et chaque fois singuliers d’invention de la réalité qu’utilisent les hommes pour produire et communiquer leur pensée tout en marquant leur appartenance à une communauté déterminée. 


Si chacun parlait la même langue tout irait-il vraiment mieux dans le monde ?