lundi 24 avril 2017

UNE BIEN GOÛTEUSE CHAIR DE PAROLES. RHAPSODIE CURIEUSE D’ALEXANDER DICKOW.

MU-QI 6 kakis 
« On ne parle pas les choses mais autour ». Non cette phrase n’est pas tout-droit tirée de Montaigne. Elle vient du dernier livre du poète Alexander Dickow qui, sous le titre de Rhapsodie curieuse, semble consacré à l’éloge du kaki, ce fruit mal connu chez nous du plaqueminier dont nous disent les encyclopédistes il existerait dans le monde plus de 600 espèces, sous-espèces et variétés. 

Écrivons-le d’emblée. De tous les livres que j’ai reçus dernièrement, l’ouvrage de Dickow publié par les intéressantes et exigeantes éditions louise bottuest sans doute celui qui m’aura fait la plus forte impression. Procuré le plus de plaisir vrai. Et le plus convaincu de l’intérêt de ces oeuvres de parole, qui, conduites de l’intérieur, nourries d’une véritable curiosité et science des choses, savent profiter de toutes les libérations produites par plus d’un siècle de renouvellements et d’expérimentations littéraires, d’interrogations aussi sur le dire, pour ouvrir toujours davantage nos sensibilités et nous aider à comprendre, approcher, un peu différemment et pour en mieux jouir, l'obscure évidence ou l'évidente obscurité du monde...

Intitulée Rhapsodie le petit grand livre d’Alexander Dickow coud effectivement ensemble des formes et des registres dont le rapprochement peut sembler a priori curieux. Hymne à la diversité – celle des choses et des langues – éloge du goût et de la connaissance,  satire en creux des conformismes auxquels nous nous laissons paresseusement aller dans nos vies quotidiennes, réflexion philosophique sur les complexes relations existant entre le penser et le sentir, entre le corps et l’esprit, les choses et les mots sensés les définir ... sans oublier contes rapportés, inventés, fantaisistes, pastiches, et surtout maladresses syntaxiques voulues, comme d’un qui viendrait d’une autre langue, tout concourt à produire un livre totalement d’aujourd’hui, où le lecteur bien que confronté à tout un choix décalé et délicieusement imparfait de matières, étrangement, ne se perd pas. Se trouve à chaque page comblé. Assuré qu’il se trouve d’être en présence d’une oeuvre véritable. Visiblement pensée. Sentie. Portée. Riche en saveurs diverses. Multiples. Contrariées.

Sengaï, l'Univers
« Ce que je ne connais pas, je le goûte. Je me gargarise et me régale tout le catalogue ne fût-ce que dans les mots le monde ; une découverte mène à l’autre ; avec chacune d’elles je me marie. »  Et comment cette phrase ne se verrait-elle pas accueillie, ici, dans ce blog que nous consacrons depuis plusieurs années maintenant, à élargir le goût si tant étriqué, comme dirait Dickow, de nos contemporains séduits par les fades et somnifères liqueurs que leur concoctent les tristes fabricants promus par le grand bazar des publicités médiatiques. Oui le lecteur retrouvera bien chez Alexander Dickow cet éloge de la connaissance, cet avare appétit (au sens gionien du terme) que nous tentons depuis tant et tant de promouvoir. Une connaissance qui n’abolit pas la relation désirante infinie et sensible que nous entretenons avec les choses. Qui n’étiquette pas. N’interrompt pas. Mais comme il dit « aiguise d’abord la sensation ». N’hésitant pas à affirmer, dans le prolongement des touts derniers vers magnifiques du recueil Alcools d’Apollinaire et de son chant « d’universelle ivrognerie », « que quiconque ne voudrait tout apprendre, tout avaler, tout boire qui se rapporte à une sensation, ne saurait avoir connu de cette sensation le désir, ne saurait en avoir connu le désir dans son intensité. »


Car aussi, sachons-le, « tout s’emmêle ». Et rhizome. « On est, on est dedans un tel mélange de fatras de merveilles qu’on se prive mal d’y oublier un peu son mal et ses manques. » Ce mal et ces manques qui sont parties aussi du fruit qui nous est donné à goûter de la vie. Fruit qui se goûte meilleur quand même, « par deux bouches ». Ce qui fait du texte d’Alexander Dickow, un appel, pour finir, au partage et pour ce qui le concerne au retour définitif et durable, dirait l’autre, de l’être aimé. Car ce beau texte si merveilleusement inventif et documenté, on le verra, on le lira entre les lignes, en attendant la révélation finale, est de façon tout aussi extraordinaire, comme l’annonce subtilement son épigraphe empruntée à ce poète trop oublié, Benjamin Fondane, un chant, un bien émouvant et nombreux chant d’amour. Anguleux. Juste. Et cabossé.

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