MU-QI 6 kakis |
« On
ne parle pas les choses mais autour ». Non cette phrase n’est pas
tout-droit tirée de Montaigne. Elle vient du dernier livre du poète
Alexander Dickow qui, sous le titre de Rhapsodie
curieuse, semble consacré à l’éloge du kaki, ce fruit mal connu chez nous du
plaqueminier dont nous
disent les encyclopédistes il existerait dans le monde plus de 600 espèces,
sous-espèces et variétés.
Écrivons-le d’emblée. De tous les livres que
j’ai reçus dernièrement, l’ouvrage de Dickow publié
par les intéressantes et exigeantes éditions louise bottu, est sans doute celui qui m’aura
fait la plus forte impression. Procuré le plus de plaisir vrai. Et le plus
convaincu de l’intérêt de ces oeuvres de parole, qui, conduites de l’intérieur,
nourries d’une véritable curiosité et science des choses, savent profiter de
toutes les libérations produites par plus d’un siècle de renouvellements et
d’expérimentations littéraires, d’interrogations aussi sur le dire, pour ouvrir
toujours davantage nos sensibilités et nous aider à comprendre, approcher, un
peu différemment et pour en mieux jouir, l'obscure évidence ou l'évidente
obscurité du monde...
Intitulée Rhapsodie
le petit grand livre d’Alexander Dickow coud effectivement ensemble des
formes et des registres dont le rapprochement peut sembler a priori curieux.
Hymne à la diversité – celle des choses et des langues – éloge du goût et de la
connaissance, satire en creux des
conformismes auxquels nous nous laissons paresseusement aller dans nos vies
quotidiennes, réflexion philosophique sur les complexes relations existant
entre le penser et le sentir, entre le corps et l’esprit, les choses et les
mots sensés les définir ... sans oublier contes rapportés, inventés, fantaisistes,
pastiches, et surtout maladresses syntaxiques voulues, comme d’un qui viendrait
d’une autre langue, tout concourt à produire un livre totalement d’aujourd’hui,
où le lecteur bien que confronté à tout un choix décalé et délicieusement
imparfait de matières, étrangement, ne se perd pas. Se trouve à chaque page
comblé. Assuré qu’il se trouve d’être en présence d’une oeuvre véritable. Visiblement
pensée. Sentie. Portée. Riche en saveurs diverses. Multiples. Contrariées.
Sengaï, l'Univers |
« Ce
que je ne connais pas, je le goûte. Je me gargarise et me régale tout le
catalogue ne fût-ce que dans les mots le monde ; une découverte mène à
l’autre ; avec chacune d’elles je me marie. » Et comment cette phrase ne se verrait-elle
pas accueillie, ici, dans ce blog que nous consacrons depuis plusieurs années
maintenant, à élargir le goût si tant étriqué, comme dirait Dickow, de nos
contemporains séduits par les fades et somnifères liqueurs que leur concoctent
les tristes fabricants promus par le grand bazar des publicités médiatiques.
Oui le lecteur retrouvera bien chez Alexander Dickow cet éloge de la
connaissance, cet avare appétit (au sens gionien du terme) que nous tentons depuis tant et tant de
promouvoir. Une connaissance qui n’abolit pas la relation désirante infinie et
sensible que nous entretenons avec les choses. Qui n’étiquette pas. N’interrompt
pas. Mais comme il dit « aiguise d’abord
la sensation ». N’hésitant pas à affirmer, dans le prolongement des touts
derniers vers magnifiques du recueil Alcools
d’Apollinaire et de son chant « d’universelle ivrognerie », « que
quiconque ne voudrait tout apprendre,
tout avaler, tout boire qui se rapporte à une sensation, ne saurait avoir connu
de cette sensation le désir, ne saurait en avoir connu le désir dans son intensité. »
Car aussi, sachons-le, « tout
s’emmêle ». Et rhizome. « On est, on est dedans un tel mélange de
fatras de merveilles qu’on se prive mal d’y oublier un peu son mal et ses
manques. » Ce mal et ces manques qui sont parties aussi du fruit qui nous
est donné à goûter de la vie. Fruit qui se goûte meilleur quand même, « par
deux bouches ». Ce qui fait du texte d’Alexander Dickow, un appel, pour
finir, au partage et pour ce qui le concerne au retour définitif et durable,
dirait l’autre, de l’être aimé. Car ce beau texte si merveilleusement inventif
et documenté, on le verra, on le lira entre les lignes, en attendant la
révélation finale, est de façon tout aussi extraordinaire, comme l’annonce
subtilement son épigraphe empruntée à ce poète trop oublié, Benjamin Fondane, un
chant, un bien émouvant et nombreux chant d’amour. Anguleux. Juste. Et cabossé.
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