Paru en 2010 chez Potentille,
un de ces éditeurs dont on ne dira jamais assez ce qu’on leur doit pour
continuer, envers et contre tout, à faire un peu reconnaître dans l’espace de
nos sociétés ces travaux singuliers de parole, appliqués non seulement à
élargir comme à approfondir les possibilités de la langue commune mais à
résister comme ils peuvent aux divers formatages dont notre existence fait aujourd’hui
de plus en plus l’objet, Compris dans le
paysage, ce long poème dont je dis volontiers que c’est avec lui que j’ai
enfin compris ce qu’était pour moi la poésie, reparaît sous une autre forme et
sans doute avec de nouvelles significations, aux éditions LD.
En 2010, j’avais placé Compris
dans le paysage sous le signe du bouleversement dont m’avait affecté, bien
des années plus tôt, la visite faite, un magnifique jour d’été, au camp
d’extermination du Struthof. Cette expérience, pour moi, décisive, n’a
cependant pris sens qu’à travers un sentiment beaucoup plus général : le
malaise que j’éprouve depuis longtemps à profiter d’une existence somme toute
plutôt confortable au cœur d’un monde et à l’intérieur d’une histoire dont je
connais sinon tous les drames – ils sont infinis – du moins un nombre bien
suffisant pour me trouver capable de demeurer insensible à ce qu’ils disent de
notre nature et de notre condition.
Aujourd’hui je peux le dire. Compris dans le paysage ne décrit ou ne raconte pas une visite au
Struthof. Pas plus qu’il ne décrit de paysage particulier. Sinon ce paysage
mental dont les éléments parfois simplement allusifs – Hiroshima, Khmers rouges, Struthof,
l’épisode beaucoup trop fameux du 11 septembre, les exécutions de masse, des
images retenues de mes promenades à travers la campagne ou des heures passées
au fond de mon ancien jardin … - sont déroulés à la manière d’une toile qu’on
pourrait dire expressionniste ou agencés les uns à la suite des autres à la
façon d’une rhapsodie. Raisons pour lesquelles j’en ai ici recousu un peu
autrement les pièces sans hésiter à leur en ajouter de nouvelles.
Il s’en suit de nouveaux effets de lecture. Qui conduiront à
d’autres commentaires. Dont j’espère que les meilleurs sauront interroger en
profondeur cette notion autour de laquelle, personnellement nourri des travaux
de bien des penseurs d’aujourd’hui, je tourne depuis un certain nombre d’années
pour l’adapter autant qu’il m’est possible au paysage toujours à faire advenir, à raviver, dans cet « influx-reflux » pour reprendre
l’expression de François Jullien, qu’est aussi le poème. Dressé, mais tout
aussi fluant, glissant.
Dans son pays de langue.
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