dimanche 3 décembre 2023

MALAISE DANS LE POETARIAT.

Carl Spitzweg, ébauche de son tableau intitulé Le Pauvre poète.

Je lis ce matin sur Facebook le texte d’Eric Pessan évoquant la triste condition des auteurs, principalement des poètes, qui voyant se réduire les espaces leur offrant jusqu’ici plus ou moins les conditions de leur survie financière, s’interrogent sur les conditions d’existence faite par notre société à ce que Jean-Claude Pinson appelle de façon lumineuse, le poétariat

Pour organiser à travers les actions de mon association, diverses rencontres avec des écrivains, je vois bien depuis ces deux ou trois dernières années que malgré la mise en place du Pass-Culture qui les rend beaucoup plus simples à organiser et moins coûteuses pour les établissements, ces rencontres deviennent plus rares. C’est que la disponibilité et l’enthousiasme des enseignants épuisés par des contraintes toujours plus étouffantes vont s’amenuisant. Si l’on ajoute à cela le fait que la proposition  poétique portée par des auteurs et des éditeurs de plus en plus nombreux et jeunes ne fait que s’élargir, le moindre petit auteur se trouvant légitime pour intervenir dans les classes, l’offre excède de plus en plus la demande, sans que rien ne nous assure que les choix qui sont ainsi faits soient toujours les meilleurs ou les plus défendables.

Il y a presque dix ans, j’ai rendu compte dans mon ancien blog, d’un livre de Joël Bastard qui n’est pas sans rapport avec les questions agitées par les réflexions d’Eric Pessan qui portent aussi sur d’autres aspects de la condition d’auteur obligé de courir le cachet pour assurer son existence matérielle. Il m’a semblé intéressant de reproduire ci-dessous cet article qui a encore et surtout le mérite d’inviter chacun, auteur, organisateur, médiateur, enseignant, bibliothécaire, libraire etc… à s’interroger sur ses pratiques sans se cacher comme c’est trop souvent le cas derrière l’imposture des discours embellis, mythifiés, auto-glorificateurs qu’on n’a que trop l’habitude de voir fleurir, notamment sur les réseaux sociaux.

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Je viens de recevoir du poète Joël Bastard un petit livre publié par La Passe du vent que je ne saurais trop conseiller à tous ceux qui, plus ou moins médiateurs culturels, organisateurs de résidences, d'ateliers d'écriture, de rencontres en librairies, médiathèques, centres culturels ou en milieu scolaire, attirent ou acceptent de recevoir des écrivains dans le cadre de politiques sur la pertinence  comme sur l'efficacité desquelles on devrait peut-être parfois davantage s'interroger.

Intitulé très éloquemment  Chasseur de primes, le livre de Joël Bastard attire l'attention avec une franchise fort peu courante dans le milieu, sur la réalité de certaines de ces opérations prétendument littéraires qui n'ont malheureusement pas toujours d'autre intérêt à ses yeux que de permettre à l'homme qu'il est de gagner, fort modestement, l'argent dont il a besoin pour vivre,  en privant cependant parfois l'écrivain qu'il est aussi, de la nécessité de disposer librement de son temps.

Certes, Josh R., pardon, Joël Bastard ne cache pas qu'il a été le plus souvent merveilleusement accueilli lors de ces diverses invitations auxquelles il a répondu au cours de ces dix dernières années. Et que ses nombreuses pérégrinations ne sont pas restées sans lui apporter bien des plaisirs multiples de découvertes. Mais dans cet ouvrage plutôt désabusé, frôlant même parfois le cynisme, il ne cache pas le revers comme on dit de la médaille: les ateliers d'écriture foireux et narcissiques, les  salons, foires ou festivals du livre qui pourraient bien n'exister que "pour nous débarrasser définitivement de la lecture". Les séances "d'abattage" avec ces enfants des écoles qu'on fait défiler "au pas cadencé au nom de la pédagogie universelle et d'un futur radieux dans le monde enchanté des livres".

Oui, le livre de Joël Bastard ne donne pas une image toute rose de la condition de l'écrivain parcourant, armé de son simple stylo, le far-west des divers dispositifs lui permettant aujourd'hui de se faire connaître et vivre.  Une image pas non plus toute rose de ce qu'est cette  population de médiateurs dont le travail devrait justement être de rendre la littérature attractive, vivante et d'en susciter réellement le développement en en accroissant authentiquement le désir et le goût. On n'épiloguera pas sur cette "librairie sèche, telle une serpillière cassante, une gangue sans graines" où l'auteur  dont les livres ne sont pas présents n'a pour seule compagnie que la libraire dépressive et "deux autres femmes venues là pour seulement boire un café". Ni sur cette bibliothécaire "plus que rétive, bénévole" qui "n'écrit pas, lit à peine, mais gère ce que le village désire lire". Affirmant que "ce n'est pas la peine de mettre de la poésie dans les rayons puisque les gens n'en lisent pas". Elle pas plus que les autres!  En revanche on aimerait davantage s'appesantir sur "ces gens, ces notables, toute cette société du spectacle" que dans son Journal Virginia Woolf nommait, si je me souviens bien, "l'épaisse bourgeoisie des lettres" pour qui la présence de l'écrivain ne sert  au fond que de prétexte à jouer les importants et se décorer des prestiges symboliques d'une culture purement extérieure.

Bien souvent dans ce texte, l'auteur s'interroge sur les diverses motivations qui poussent ceux qui l'invitent à faire appel aux écrivains. "L'écrivain est-il un plombier qui conduit l'eau sacrée? Est-il un fanfaron qui amuse la galerie? Est-il un infirmier qui soigne la plaie des hommes et fait passer la médication? Est-il un produit révélateur de l'instantané d'une situation ou d'un lieu? ".   Rien de très clair finalement.  D'où le sentiment d'imposture  de l'auteur qui répond favorablement pour des raisons, en apparence, bassement pécuniaires, à des demandes dont il ne comprend pas le sens.

 

J'aurais aimé évoquer d'autres passages de ce petit livre assez grinçant  où l'auteur revendique avant tout son droit d'être reconnu pour ce qu'il est: quelqu'un qui écrit comme d'autres pourquoi pas font des meubles. De la maçonnerie. De la médecine. Sans être tenus pour des mercenaires. J'aurais aimé ne pas oublier de dire que pour corrosifs qu'ils soient à certains égards les divers textes qui composent l'ouvrage dessinent clairement en creux la figure d'une personnalité attachante et sensible. Qui sait laisser deviner ses blessures  et témoigner de ses profonds attachements. Je laisse au lecteur bénévole (au sens cette fois de Rabelais) le soin de découvrir tout cela lui-même et de se régaler, sinon du tableau contrasté trop peu souvent analysé de la condition de base du poète-qui-ne-vit-que-de-ça, du moins de l'écriture traversante, ironique, inquiète et un peu douloureuse  qui est la marque de fabrique (je choisis à dessein cette expression) de Bastard Joël, profession : écrivain.



 

 

 

 

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