vendredi 29 décembre 2023

À PROPOS DE L’EXPOSITION ROTHKO. VERS UN TOTALITARISME MARCHAND.


 

« Quand j’étais jeune homme l’art se suffisait à lui-même : il n’y avait ni galeries ni collectionneurs, ni critiques, ni argent. Puisqu’il s’agissait d’un âge d’or, nous n’avions rien à perdre et une vision à élaborer. Aujourd’hui ce n’est plus pareil »[1]

 

Il y a quelque chose de l’imposture dans ces retentissants autant que terribles évènements muséaux où les publics sont invitées à « une relation de soi à soi, au plus intime [2] » devant une accumulation d’œuvres sensées les inciter à la contemplation, la méditation, voire à venir ressentir en foules une expérience unique à caractère mystique… Entraînés, poussés, pressés, par le devoir d’admirer, notre petite bourgeoisie touristique éprise comme toujours de distinction s’est mise à se précipiter aux grandes expositions, rendant de plus en plus insupportable ce qu’on appelait autrefois leur « visite », devenue aujourd’hui « parcours », sorte d’épreuve consistant davantage à tenter d’éviter de heurter ses voisins, de se rapprocher comme on peut des tableaux, de s’y placer à bonne distance sans que leur vue n’en soit dérangée par le passage de ces groupes se contentant de ne leur jeter sans s’arrêter qu’un regard fatigué ou de ces obsédés du cliché venus avant tout enrichir leur collection d’images numériques pour se prouver à eux-mêmes ainsi qu’à leurs proches, qu’ils y étaient ! Et qu’ils existent vraiment.

vendredi 22 décembre 2023

DES VÉNUS VÉNITIENNES JOUANT DE LA MUSIQUE.

 

Je ne suis pas un grand « fan » de ce que je connais de l’œuvre de Micheli Parrasio. Dont l’ouvrage que je préfère est cette allégorie de la musique, vue il y a une grosse dizaine d’années à Budapest et dont j’ai depuis remarqué qu’il en existait dispersées un peu partout de nombreuses versions. Ami du Titien, il serait peut-être l’auteur du martyre de Saint Georges parfois aussi attribué à Alessandro Turchi qu’on peut aller voir au Musée des Beaux-Arts de Lille où il est entré comme une œuvre de Veronèse du style duquel il aura fini par se rapprocher.

Je me suis amusé ici à combiner plusieurs des compositions qu’il s’est, sans doute avec l’aide des peintres de son atelier, ingénié à produire et reproduire pour satisfaire la clientèle cosmopolite de son époque. Afin d’en conserver une manière de souvenir. Me rappeler aussi que l’art ne vit pas que de grands maîtres et de génies éblouissants mais aussi de talentueux suiveurs dont le premier mérite est sans doute de bien choisir ceux qui, plus grands qu’eux, les inspirent.

RÉCÉPISSÉ DÉCOUVREURS : TROIS FEMMES ENCORE PLUS UNE AUTRICE FEINTE.


 Rare de recevoir le même jour quatre ouvrages qu'on a tous envie de lire. Merci à leur auteur, leur éditeur de me les avoir adressés. On remarquera qu'il est bien loin le temps où pour se faire mieux lire les femmes imaginaient se doter d'un patronyme accompagné d'un prénom masculin. Intéressant renversement que de voir, même si ce n'est pas du tout pour les mêmes raisons, un auteur bien connu réaliser le trajet inverse.

mardi 19 décembre 2023

TROIS FEMMES ET SANS DOUTE AUSSI QUELQUES AUTRES POUR SERVIR D’ANTIDOTE AUX ABAISSEMENTS DU MOMENT.

Au centre, fragment de chaussée romaine. Musée national de Rome. Photo G.G.

 Las des propos hâblards, des courtisaneries à l’envie monnayées sur la toile, de l’étalage effronté de soi, des boursouflures de parole, du vide de la pensée, de la médiocrité des engagements… De cette épaisse bourgeoisie des lettres, enfin, qui ne voit jamais le problème qu’il y a de se recommander, je ne sais pas, de Paul Celan, de Thoreau ou de Pasolini, pour encenser complaisamment les Déroulède du présent…

samedi 16 décembre 2023

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS : RESSACS DE CLARISSE GRIFFON du BELLAY AUX ÉDITIONS MAURICE NADEAU. PASSAGERS TOUJOURS DE LA MÉDUSE.

« J’étais potentielle dans ces actes. J’étais potentielle dans cette viande morte.

Qu’est ce qu’on transmet ? [1]»

 

Récit avant tout d’une difficile libération, Ressacs, d’une descendante de l’un des quinze survivants sur les cent-cinquante qui durent confier leur survie au fameux radeau de la Méduse, n’est pas un travail d’historien. Ce qui se passa réellement sur ce grossier assemblage de bois rapidement construit avec des madriers et des pièces de mâts, suite à l’échouage du navire, est d’ailleurs aujourd’hui bien documenté. Même si, comme j’ai pu le constater fort récemment, au cours d’une discussion vive avec une amie romancière, le jour abominable que jette sur notre humanité les actes que choisirent d’accomplir une partie des naufragés pour assurer le maintien de leur existence, continue à ne pouvoir, par tous, être regardé en face.

vendredi 15 décembre 2023

DES NOUVELLES DE NOS ATELIERS DE TRADUCTION LITTÉRAIRE.

 Heureux aujourd’hui d’avoir pu mener à bonne fin ce second et troisième épisode du programme d’atelier de traduction littéraire que nous avons proposé au lycée Berthelot de Calais. Après la séquence espagnole il y a quinze jours en compagnie de l’écrivaine argentine Vivian Lofiego qui vient d’y traduire le Bad Girl de Nançy Huston, c’était cette semaine comme la semaine précédente au tour de l’allemand avec la traductrice Carole Fily, lauréate du Prix Pierre-François Caillé de la Traduction, en 2017. Nous entamons la dernière séquence avec l’écrivain américain Eddy Harris, présent sur ces deux derniers jours pour une petite dizaine d’heures avec les lycéens, avant de terminer sans doute en février avec Martine De Clercq, autour de l’Île rebelle, son Anthologie, dans la célèbre collection Poésie/Gallimard, de la poésie britannique au tournant du XXIe siècle.

mercredi 13 décembre 2023

À PROPOS D’EXERCICES D’APPRENTISSAGE DU POÈTE PALESTINIEN TARIK HAMDAN PUBLIÉ PAR LANSKINE. ÉDITION BILINGUE.

Ne nous laissons pas prendre à ce que nous inspire a priori ce joli pot de citronnier qui figure sur la couverture du livre du journaliste, poète, palestinien, Tarik Hamdan, que viennent de publier les éditions LansKine. Ceux qui connaissent un peu la culture du citronnier savent d’ailleurs à quel point elle réclame au départ de soin, ayant à la fois besoin de soleil et d’eau. Ce qui la rend difficile. Difficile comme la condition d’un palestinien qui, né du fait de l’«occupation» israélienne, en Jordanie, se retrouve, après des études au Caire, « transplanté » à Paris où lui a été accordée pour finir la citoyenneté française[1].

Un poème, significativement intitulé Gouvernements – notez bien le pluriel – évoque allégoriquement cette douloureuse histoire qui se termine par l’arrachage par les autorités locales de ce pot de citronnier que l’auteur, voulant lui donner une chance de mieux s’épanouir, a fini par planter dans un jardin public. J’étais il y a quelques jours à Lille pour assister à l’émouvante représentation de Saïgon, la pièce de Caroline Guiela Nguyen, évoquant le profond bouleversement occasionné dans la vie de certains vietnamiens obligés de quitter leur pays, leur famille, par le départ imposé des français qu’ils avaient eu le tort, peut-être, de soutenir. Je me souviens aussi de longues discussions avec la regrettée poète syrienne Fadwa Souleymane, qui me disait à quel point son pays lui manquait… Le monde est plein de ces hommes et ces femmes que la folie meurtrière et la soif de pouvoir de quelques-uns, encouragées par le fanatisme bien entretenu de leurs partisans, pour le plus grand profit aussi des marchands d’armes et des industries d’armement, auront privés de leurs droits les plus fondamentaux. Comme d’habiter en paix sur leur terre. De vivre près de leur famille. Et de pouvoir envisager leur avenir avec confiance et clarté[2].

mardi 12 décembre 2023

« IL N’Y A DE VRAIS LIVRES QUE DES LIVRES RICHES ET COMPLEXES. » ENTRETIENS AVEC L’AUTEUR ANGLAIS TOBY LITT.

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Depuis quelque temps, il semble que j’apprécie de plus en plus de me pencher en direction de ces années parfois lointaines dont mon PC me propose chaque matin de visualiser par l’image les traces qu’il en a retenues. C’est vrai que mon passé est sûrement plus riche désormais que mon futur. Même si ce qui me reste entièrement, physiquement et surtout aventureusement à vivre, aura toujours plus de poids à mes yeux que les reliques même les plus aimables, avantageuses, de mes années disparues.

Ce matin, par exemple, je me suis avec plaisir replongé dans les souvenirs des quelques jours de décembre 2008 où j’ai imaginé, suite à une demande un peu vague de la Maison des Ecrivains et de la Littérature de l’époque, d’accompagner le jeune et brillant romancier anglais Toby Litt, dans une suite de rencontres à Lille avec divers groupes de professeurs auxquels dans le cadre de mon action de formateur j’ambitionnais de faire découvrir et surtout mieux comprendre la littérature, je dirais, non conformiste et réellement nourrissante de leur temps.

samedi 9 décembre 2023

CHOSES QUI FONT TOUJOURS RÉFLÉCHIR. LIVRES VS TABLEAUX DANS L’INTRODUCTION À LECTURE DE HUIT LITHOGRAPHIES DE ZAO WOU-KI D’HENRI MICHAUX, 1950.

 


"Les livres sont ennuyeux à lire. Pas de libre circulation. On est invité à suivre. Le chemin est tracé, unique.

Tout différent le tableau : immédiat, total. À gauche, aussi, à droite, en profondeur, à volonté.

Pas de trajet, mille trajets, et les pauses ne sont pas indiquées. Dès qu'on le désire, le tableau à nouveau, entier. Dans un instant, tout est là. Tout, mais rien n'est connu encore. C'est ici qu'il faut commencer à LIRE.

Aventure peu recherchée, quoi que pour tous. Tous peuvent lire un tableau, ont matière à y trouver (et à des mois de distance matières nouvelles), tous, les respectueux, les généreux, les insolents, les fidèles à leur tête, les perdus dans leur sang, les labos à pipette, ceux pour qui un trait est comme un saumon à tirer de l'eau, et tout chien rencontré, chien à mettre sur la table d'opération en vue d'étudier ses réflexes, ceux qui préfèrent jouer avec le chien, le connaître en s’y reconnaissant, ceux qui dans autrui ne font jamais ripaille que d'eux-mêmes, enfin ceux qui voient surtout la Grande Marée, porteuse à la fois de la peinture, du peintre, du pays, du climat, du milieu, de l'époque entière et de ses facteurs, des évènements encore sourds et d'autres qui déjà se mettent à sonner furieusement de la cloche.

Oui, tous ont quelque chose pour eux dans la toile, même les propres à rien, qui y laissent simplement tourner leurs ailes de moulin, sans faire vraiment la différence, mais elle existe et combien instructive.

Que l'on n'attende pas trop toutefois. C'est le moment. Il n'y a pas encore de règles. Mais elles ne sauraient tarder… »

vendredi 8 décembre 2023

SOUVENIR. UN BEL EXEMPLE D’ATELIER D’ÉCRITURE ACCOMPAGNÉE ET PARTAGÉE.


 

Il y aura bientôt quinze ans, j’ai participé pour la seconde fois à l’opération des 10 mots de la langue française dont grâce au poète et professeur missionné François Coudray qui l’a adaptée avec le succès qu’on sait d’abord à l’Amérique Latine, maintenant aux pays d’Europe du Sud-Est, notamment la Turquie, je suis aujourd’hui, mais comme auteur, l’actualité.  

La somme de travail que nous avons mobilisée, les jeunes et moi, à l’occasion de cette opération doublée d’un concours que nous avons d’ailleurs remporté pour la seconde fois[1], mérite je crois que je tire aujourd’hui de l’oubli ce qui en reste avec tous partageable. Certes, j’imagine mal, du fait des malheureuses évolutions qu’aura subies le système scolaire au cours de ces dernières années, qu’il se trouvera encore un professeur pour reprendre à son compte les formes de travail que nous avons adoptées. Mais la façon dont nous avons envisagé d’aborder avec les jeunes ce qu’on appelle l’écriture, la forme d’atelier que nous avons mise en place devrait pouvoir inspirer la réflexion de beaucoup de collègues insatisfaits des formules faciles, toutes faites et  si peu efficaces qui sont malheureusement le lot de ce qui le plus souvent aujourd’hui se pratique à l’intérieur des classes.

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. REMPART CONTRE LA POÉSIE POLTRONNE : LA MER EN HIVER SUR LES CÔTES DE LA MANCHE DE JACQUES DARRAS AU CASTOR ASTRAL.

 

« On n’en finit jamais avec la mer ». Comme avec l’eau. Voire, comme, nous le dit et redit au fil de ses ouvrages, Jacques Darras, avec le regard, la pensée, la marche, les images, la poésie. Portés que nous sommes, par cet insatiable appétit de monde autour de nous. Que nous n’en finissons pas d’explorer. Quitte si l’espace ouvert aujourd’hui sur notre planète paraît s’être étréci, à nous relancer, qui sait, vers Mars[1] ou le champ toujours pour notre esprit, infini, des étoiles.

Affirmer que La mer en hiver sur les côtes de la Manche, plus qu’une somme récapitulative est un livre manifeste surprendra sans doute tous ceux qui rechigneront à lire la seconde partie, philosophique, réflexive, érudite, de l’ouvrage. Qui retraçant l’histoire des conceptions occidentales de ces grandes catégories de la pensée que sont l’espace et le temps aboutit, pour le dire à grands traits, à la revendication de la primauté de l’imagination sur la raison dans ce qui constitue notre vitale appropriation d’un réel en permanente mobilité. Dont la figure de la mer comme celle plus généralement de l’eau est pour Jacques Darras depuis longtemps l’éloquente, athlétique et poétique incarnation.

lundi 4 décembre 2023

RÉCÉPISSÉ DÉCOUVREURS : POÈMES POUR LES P'TITS (qui savent lyre) D'YVES BOUDIER CHEZ LANSKINE.

 

Une suite de courts poèmes simples mais qui font réfléchir. Une jolie maquette de couverture. Des dessins inspirés par les poèmes à la p'tite fille du poète, qui signe Blanche. C'est au final un p'tit livre à mettre avec les cadeaux de Noël à côté des p'tits chaussons, au pied de la ch'minée. 

Merci à l'ami Yves Boudier d'avoir compris que j'étais encore aussi ce p'tit non seulement qui sait lyre mais éprouve toujours du plaisir à continuer d'apprendre.

dimanche 3 décembre 2023

MALAISE DANS LE POETARIAT.

Carl Spitzweg, ébauche de son tableau intitulé Le Pauvre poète.

Je lis ce matin sur Facebook le texte d’Eric Pessan évoquant la triste condition des auteurs, principalement des poètes, qui voyant se réduire les espaces leur offrant jusqu’ici plus ou moins les conditions de leur survie financière, s’interrogent sur les conditions d’existence faite par notre société à ce que Jean-Claude Pinson appelle de façon lumineuse, le poétariat

Pour organiser à travers les actions de mon association, diverses rencontres avec des écrivains, je vois bien depuis ces deux ou trois dernières années que malgré la mise en place du Pass-Culture qui les rend beaucoup plus simples à organiser et moins coûteuses pour les établissements, ces rencontres deviennent plus rares. C’est que la disponibilité et l’enthousiasme des enseignants épuisés par des contraintes toujours plus étouffantes vont s’amenuisant. Si l’on ajoute à cela le fait que la proposition  poétique portée par des auteurs et des éditeurs de plus en plus nombreux et jeunes ne fait que s’élargir, le moindre petit auteur se trouvant légitime pour intervenir dans les classes, l’offre excède de plus en plus la demande, sans que rien ne nous assure que les choix qui sont ainsi faits soient toujours les meilleurs ou les plus défendables.

jeudi 30 novembre 2023

PREMIER FOYER-POÉSIE À BOULOGNE-SUR-MER AVEC LILI FRIKH. POUR QUE PARLER NE S’ÉTEIGNE JAMAIS.

Georges Mathieu Célébration du feu.

J’hésitais hier matin entre poursuivre ma lecture du dernier livre de Jacques Darras, La mer en hiver sur les côtes de la Manche et rendre compte de la toute première de nos rencontres Foyer-Poésie au théâtre Monsigny avec Lili Frikh. Finalement, la journée s’annonçant belle, fraîche mais belle, vent tombé, je suis allé promener mon chien. Non que je veuille dire ici que marcher sur les feuilles qui craquent, en faisant le tour des remparts de ma ville vaut désormais pour moi toutes les poésies du monde. Tous les livres aussi qui s’amoncelant au gré des saisons, se recouvrent et finiront sur des rayons de bibliothèque dont ils ne sortiront à ma mort que pour se voir jetés dans une déchetterie. C’est plutôt que plus le temps pour moi se fait compté moins paradoxalement je ressens l’urgence de la tâche sociale, des obligations mêmes que je me suis, le plus souvent avec plaisir, et depuis longtemps imposées.

dimanche 26 novembre 2023

RÉCÉPISSÉ DÉCOUVREURS : IL PLEUT DEBOUT DE CHRISTINE DUMINY-SAUZEAU À L’ATELIER DU HANNETON.

Reçu, il y a quelques jours, le dernier livre de mon ancienne compatriote de Boulogne, Christine Duminy-Sauzeau. Il Pleut debout,  édité par l’Atelier du hanneton, est sous titré pensées diurnes & nocturnes. Les pages de gauche étant réservées aux pensées nocturnes, celles de droite aux diurnes. Merci d’avoir pensé à m’adresser ce livre dans lequel l’humour va de pair avec une certaine auto-ironie. On a plaisir à suivre la fantaisie des mouvements de pensée de cet auteur pour qui le monde dans son quotidien bariolage et son infini bavardage, la vie avec son lot de souvenirs, ses contraintes parfois pénibles à assumer, ses incessantes questions, restent moins sujets à méditations transcendantes qu’à réflexions libres, assez souvent malicieuses, dessinant au final un portrait dans lequel chacun pourra aussi reconnaître une part de son humanité.


 

samedi 25 novembre 2023

CONTRE CHANGER LE SANG QUI COULE EN LIQUEUR DE FRAMBOISE ! UN EXTRAIT D’UN MOT SANS L’AUTRE, DIALOGUE ENTRE LILI FRIKH ET PHILIPPE BOURET, MARS-A ÉDITIONS.

 

Comme je me souviens l’avoir écrit lors de sa réception, Un Mot sans l’autre, dialogue entre Lili Frikh et le psychanalyste Philippe Bouret aborde des sujets essentiels et traite entre autres choses de l’imposture radicale de la Littérature avec un grand L lorsqu’elle se réduit comme c’est souvent le cas à n’être plus qu’objet, fabrique ininterrompue de ces mèmes à travers quoi nos esprits aliénés s’imaginent exister. Imposture radicale aussi de la parole quand elle ne prend pas voix au plus fragile et plus risqué de l’être qui sait bien que les mots, que la langue réclament d’être éprouvés, à chaque instant recréés, pour se faire présence. Devenir signes vrais.

J’en propose aujourd’hui un nouvel extrait qui risque malheureusement de ravir quand même les amateurs de liqueur de framboise, ces Madame/Monsieur Verdurin du moment, toujours aussi aveugles à ce qui fonde leur relation à l’art : ce besoin maladif et bourgeois de distinction. 

Extrait

Philippe Bouret

Vous placez le « parler » du côté des conventions, des semblants. Vous dites que c'est pour ça que vous êtes restée jusque-là dans un profond silence. Quand vous dites que vous écrivez à voix haute et que c'est pour vous une expérience limite, au-delà de la limite, vous situez-vous en dehors de la question du « parler » ? Est-ce que parler ne viendrait pas comme un obstacle à l'écriture?

vendredi 24 novembre 2023

MÉTAMORPHOSER CELUI QUI VOUS VEUT DU MAL. SUR DES REPRÉSENTATIONS DE PIRATES TRANSFORMÉS EN DAUPHINS PAR DIONYSOS.

Hydrie du Peintre de Micali (photo G.G.) et kylix d'Exékias (Wikicommons)

 

J’ai depuis quelques années appris à aimer ces vases qu’autrefois, visitant les grands musées d’Europe, je regardais rapidement sans trop les voir, n’ayant jamais pris le temps de les considérer comme ils le méritaient, c’est-à-dire non comme des pièces d’archéologie ou d’ethnographie dont la valeur artistique ne serait que secondaire, mais comme le produit d’un geste d’atelier créatif, dont la reprise et l’adaptation par nombre d’autres pour en faire commerce, n’annule pas l’intérêt ni surtout l’intime ravissement que sa contemplation le plus souvent intriguée, devrait en chacun générer.

samedi 18 novembre 2023

RÉÉDITION DE CÂBLE À ÂMES MULTIPLES DE DOMINIQUE QUÉLEN CHEZ LANSKINE.

Plutôt que de nous lancer dans une illusoire tentative d’élucidation de cette œuvre parue chez Fissiles en 2011 et que les éditions LansKine nous proposent aujourd’hui de redécouvrir, pourquoi ne pas tout simplement ou tout modestement nous contenter d’en partager ici le tout premier texte qui sans en rien dire directement en dit déjà beaucoup. Un câble d’acier nous explique un site spécialisé reprenant les définitions du dictionnaire est une machine, un assemblage de pièces qui transmettent forces, mouvement, et énergie les unes aux autres d’une façon prédéterminée et à des fins désirées. L’âme désigne la partie intérieure ou centrale de ce cable autour de laquelle viennent s’enrouler les fils. Mon  bagage technique étant des plus mesurés je ne me risquerai pas à suivre de bout en bout ou jusqu’au bout cette métaphore singulière de l’œuvre. Préférant pour ma part et pour l’instant me perdre dans l’atroce jubilation de voir le grand corps rassurant de mes représentations courantes, découpées, dépiécées, démembrées, remontées, par l’auteur. Un auteur duquel affirmer qu’il est comme une sorte de Docteur Frankenstein tentant de se refaire dans la langue un monde rien qu’à lui, à partir de ses propres ciseaux, gouges, limes, rabots, épissoirs comme barres à mine ou coupes-boulons…, ne m’interloquerait pas.

 

jeudi 16 novembre 2023

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS : NEIGE ÉCRAN DE STÉPHANE BOUQUET AUX ÉDITIONS DE L’IMEC.

Voici un petit livre que je conseille à tous. Principalement à mes amis professeurs qui dans le cadre des rencontres que je suis amené à effectuer auprès de leurs élèves reviennent assez régulièrement sur le manque de transparence, je le dis comme ça mais bien d’autres expressions pourraient ici convenir, de la poésie actuelle. Surtout celle que nous nous efforçons quant à nous de promouvoir.

NEIGE ÉCRAN, septième titre de la petite collection Diaporama édité par l’IMEC, Institut Mémoires de l'édition contemporaine de Caen, rend compte à partir d’une suite d’images en noir et blanc, de l’élaboration de « la petite théorie poétique » de Stéphane Bouquet dont les habitués de mon blog savent en quelle estime je le tiens. Dans toute la liberté et la simplicité de ton qui sont les siennes, l’auteur de La Cité de paroles, évoque dans ce dernier opus la façon dont, en poésie, il est passé de la primauté de la voix à la reconnaissance de la fonction tout aussi essentielle de l’image. Dans un mouvement conciliant la prise en compte de la « singularité absolue des êtres » et l’incessante communication que les choses entretiennent entre elles.

lundi 13 novembre 2023

RÉCÉPISSÉ. ÉBLOUISSANTE ÉROSION de SARAH LAULAN À LA TÊTE À L’ENVERS.


 

OUVRAGE MINEUR ? LE CANEVAS SANS VISAGE DE PATRICK VARETZ AUX ÉDITIONS COURS TOUJOURS.


Fruit d’une résidence d’écriture proposée par la Cité des électriciens de Bruay la Buissière afin de couronner l’exposition par elle organisée autour de ces canevas de mineur devenus entre 1960 et 1980 une sorte d’icône des intérieurs miniers, le livre de Patrick Varetz, pour intéressant qu’il soit n’en laisse pas moins quand même le lecteur familier de ses autres livres, sur sa faim. On y verra  sans doute un effet de ces œuvres de commande que la nécessité de s’adapter à des attentes extérieures conduit généralement l’écrivain à composer avec ses exigences propres.

Certes, son Canevas sans visage, s’inscrit bien, ne serait-ce que par l’attention rosse que l’auteur porte à ses personnages, dans le droit fil d’œuvres comme Petite vie ou Bas monde en venant de surcroît compléter le tableau familial qui s’y trouve terriblement brossé. Ainsi, le personnage principal de Leona, infirmière à la retraite que, de point en point, on y suit piquant la toile imprimée de son canevas d’une aiguille à la fois contrariée et hargneuse, se révéle au final être la mère de ce « salaud de père » trimbalant son odeur fluctuante allant « de la saumure de poisson à l’œuf pourri » que Varetz nous aura fait connaître plus en détail dans ses précédents opus. Mais là où les personnages, autrefois présentés à travers la voix réellement singulière, intense et cauchemardée, d’un narrateur qu’on sent à la fois fasciné et terrifié par les violences physiques, psychologiques, sociales dont il est le témoin en même temps que la victime, nous apparaissaient avec toute la puissance expressionniste d’un Céline ou dans le domaine de la peinture, d’un Permeke, Le Canevas sans visage, bien que choisissant de recourir au même narrateur se montre plus soucieux de dresser en quelques lignes l’inventaire seulement pittoresque d’un univers finalement aujourd’hui bien documenté[1], que d’entraîner ses lecteurs dans le spectacle de sa radicale monstruosité[2]. Si bien que l’ensemble des personnages en perdent en partie leur relief pour s’affadir en caricatures.

vendredi 10 novembre 2023

PORTRAIT. SOPHIE BRAGANTI.

ISLANDE PHOTO SOPHIE BRAGANTI

 

Sophie Branganti écrit. Sophie Braganti regarde. Sophie Braganti ressent. Sophie Braganti se souvient. Elle imagine aussi. S’approche. Accoste. Effleure. Et puis parfois s’écarte. Marchant tout autant vers les autres que vers sa solitude. Je n’ai rencontré qu’une fois Sophie Braganti qui habite quand elle le peut une casetta sur les hauteurs d’une vallée ligure, à quelques minutes à vol d’oiseau mais à plus d’une heure et demie de route de celle où nous avons commencé à nous installer à peu près en même temps qu’elle. Savoir que nous nous trouvons chacun sur un des versants de la même montagne rapproche. Et nous pouvons parler d’olives. De châtaignes. De toiture et de maçonnerie.

UN VIDEO-POÈME DE MILÈNE TOURNIER POUR LES ÉLÈVES DU LYCÉE BERTHELOT DE CALAIS.

NICOLAS DE STAEL PLAGE DE CALAIS, 1954
 

 C’était en début de semaine. Dans le cadre de sa sélection pour le Prix des Découvreurs 2023-24, Milène Tournier s’est rendu au lycée Berthelot de Calais pour rencontrer des élèves de BTS et évoquer avec eux sa façon, singulière, d’envisager le voyage. On sait que ce thème est à leur programme. Pour prolonger cet échange Milène a réalisé à partir des quelques heures où elle aura pu déambuler dans Calais, un de ces video-poèmes qu’elle publie régulièrement sur sa chaîne youtube. Elle le dédie aujourd’hui, pas seulement aux jeunes qu’elle a rencontrés, mais à l’ensemble des habitants de Calais, qui nous l’espérons seront sensibles à ce regard porté par cette artiste qui compte parmi les plus intéressants du moment. Merci à elle.

Voir le video-poème :  https://www.youtube.com/watch?v=sYDndr2HvII