Voici un petit livre que je conseille à tous. Principalement à mes amis professeurs qui dans le cadre des rencontres que je suis amené à effectuer auprès de leurs élèves reviennent assez régulièrement sur le manque de transparence, je le dis comme ça mais bien d’autres expressions pourraient ici convenir, de la poésie actuelle. Surtout celle que nous nous efforçons quant à nous de promouvoir.
NEIGE ÉCRAN, septième titre de la petite collection Diaporama édité par l’IMEC, Institut Mémoires de l'édition contemporaine de Caen, rend compte à partir d’une suite d’images en noir et blanc, de l’élaboration de « la petite théorie poétique » de Stéphane Bouquet dont les habitués de mon blog savent en quelle estime je le tiens. Dans toute la liberté et la simplicité de ton qui sont les siennes, l’auteur de La Cité de paroles, évoque dans ce dernier opus la façon dont, en poésie, il est passé de la primauté de la voix à la reconnaissance de la fonction tout aussi essentielle de l’image. Dans un mouvement conciliant la prise en compte de la « singularité absolue des êtres » et l’incessante communication que les choses entretiennent entre elles.
Il est des tenants de la voix pour lesquels le texte imprimé n’est rien d’autre qu’une momie du dire. C’est le cas par exemple de Lili Frikh qui dans son livre d’entretien avec le psychanalyste Philippe Bouret, Un mot sans l'autre, n'a de cesse d'essayer de nous le faire entendre. Comprendre. Si possible éprouver. Citant Artaud. Duras. Arguant du fait que le passage du besoin premier de parole, du désir total d’autre, voire de l’animal appétit de vivre en quoi la voix prend source, à sa mise en forme textuelle, est une façon pour elle de s’effacer, de disparaître. Une façon qu’aurait en somme le corps vivant de s’embaumer cadavre.
Certes, il y a une manière par quoi ce qui s’écrit devient matière de mort. Quand la langue alors qu’on manie n’est qu’une chose du cerveau ou l’expression d’un sentiment de surface. L’immodeste manifestation encore d’une volonté de distinction. D’un narcissisme retors feignant de s’ouvrir à l’autre pour mieux se valoriser soi. La poésie ne manque pas de ces pauvres escrocs capables aussi de se duper eux-mêmes. Il y aurait danger cependant à faire l’impasse sur ce que le passage à l’écrit, le passage par la langue commune avec ses règles, ses contraintes mais aussi sa puissance, ses puissances propres, ouvre comme espace à la parole qui se cherche. Car l’une des choses majeures qu’enseigne une relation intime avec la poésie c’est qu’au contraire du discours, le passage par l’écrire – mais on peut écrire aussi à voix haute comme le fait Lili Frikh – est une façon pour la parole de s’énoncer tout en se confrontant, comme dirait Duras, à l’impossible de toute représentation. Si bien qu’alors, elle cesse de n’être que traduction pour se faire invention. Au double sens du terme. Cherchant alors à s’élargir et à s’approfondir dans un mouvement qui fait advenir non plus le même mais l’autre en nous qui a besoin de tous les autres peut-être pour s’accomplir.
Si bien que, comme y insiste Bouquet, qui ne le dit d’ailleurs pas tout à fait comme ça, le poème, dans son incomplétude, son vague, son obscurité, ses ambivalences, son défaut toujours par nature d’être, est une façon pour la parole de demander de l’aide. L’aide en particulier de ses lecteurs pour lui donner ou lui redonner sens. Non par un simple travail de décodage comme on on fait encore un peu trop souvent à l’école mais d’écoute sensible attentive avant tout, comme le voulait Benveniste, – à « la voix qui prononçait la langue et qui voulait parler […] parce que c’est elle (la voix) qui […] rend le monde vivant. »
On sait l’importance de l’être ensemble, du désir de rejoindre et de faire commun, de Stéphane Bouquet. C’est ce qui l’amène à dire que l’important en poésie c’est moins le mot que la phrase. Et parmi tous les mots, les verbes et les prépositions, porteurs de mouvement. Mais il y a aussi l’image. Dont on sait à quel point on aura vers la fin du siècle dernier cherché à la discréditer. S’appuyant comme souvent sur des exemples à la fois savants et concrets, par exemple ici sur le vocabulaire des couleurs et l’évocation de Rose Bertin qui fut une des couturières de Marie Antoinette, Stéphane Bouquet en vient à reconnaître qu’ « on ne peut pas dire une chose en s’abstenant de dire les choses qui lui sont contiguës » et qu’ « une image ou une métaphore sont donc plus fidèles à ce qu’une personne ou une chose sont vraiment ». Personne ajoute t’il n’est seulement la solitude de « je ». « Chacun est traversé par la foule de ce qui existe, de ce et de ceux qui existent ». Ce qui mène le livre de l’écran noir de la dernière séquence de L’Homme atlantique de Duras, laissant tout l’espace à la voix, à l’écran-neige final qui donne son titre à l’ouvrage et qui se trouve être pour son auteur l’ultime métaphore de « l’emmêlement », de la « confusion » et de l’enchevêtrement de tout. Le poète n’ayant plus à choisir entre les deux, privilégier la voix pure coupée de tout ce qui lui serait étrangère ou se répandre dans le monde quitte à venir s’y dissoudre, mais à trouver son équilibre, « trouver une zone de conciliation entre ce qui [lui] semble deux utopies également désirables ». Dans l'entière reconnaissance de sa pleine et infirme humanité.
Monsieur Guillain. J'ai lu le livre "Un mot sans l'autre" de Lili Frikh et Philippe Bouret auquel vous faites référence sans le nommer explicitement, et l'ai trouvé d'un grand intérêt. Je reste indécis face au ton que vous employez pour décrire les propos de Lili Frikh. Êtes-vous sarcastique ou non ? Par ailleurs, je pense que dire d'elle qu'elle se "réclame" d 'Artaud ou de Duras n'est pas exact. Elle se contente à mon sens de les aimer et de reconnaître peut-être en eux quelque chose qui interdit toute théorie, tout discours extérieur à ce qui l'a fait écrire.
RépondreSupprimerMerci pour votre attention. Non, non, je ne suis absolument pas sarcastique au sujet de Lili Frikh pour qui j'ai en plus beaucoup d'affection. Je la reçois d'ailleurs bientôt dans ma bonne ville de Boulogne. Je ne partage en fait pas totalement son point de vue concernant le passage par l'écriture, tout en comprenant bien, je crois, ce qui l'amène à l'exprimer. Vous avez aussi raison, dire qu'elle se "réclame" d'A. et de D. n'est pas tout à fait juste. Il aurait mieux valu dire, peut-être, qu'elle se "retrouve" ou plutôt retrouve en eux quelque chose de ses préoccupations les plus profondes. Mais vous savez comme moi que les mots sont toujours un peu traitres. Je reviendrai d'ailleurs sur ce livre avec P. Bouret. En, j'espère ! Bien cordialement.
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