samedi 25 novembre 2023

CONTRE CHANGER LE SANG QUI COULE EN LIQUEUR DE FRAMBOISE ! UN EXTRAIT D’UN MOT SANS L’AUTRE, DIALOGUE ENTRE LILI FRIKH ET PHILIPPE BOURET, MARS-A ÉDITIONS.

 

Comme je me souviens l’avoir écrit lors de sa réception, Un Mot sans l’autre, dialogue entre Lili Frikh et le psychanalyste Philippe Bouret aborde des sujets essentiels et traite entre autres choses de l’imposture radicale de la Littérature avec un grand L lorsqu’elle se réduit comme c’est souvent le cas à n’être plus qu’objet, fabrique ininterrompue de ces mèmes à travers quoi nos esprits aliénés s’imaginent exister. Imposture radicale aussi de la parole quand elle ne prend pas voix au plus fragile et plus risqué de l’être qui sait bien que les mots, que la langue réclament d’être éprouvés, à chaque instant recréés, pour se faire présence. Devenir signes vrais.

J’en propose aujourd’hui un nouvel extrait qui risque malheureusement de ravir quand même les amateurs de liqueur de framboise, ces Madame/Monsieur Verdurin du moment, toujours aussi aveugles à ce qui fonde leur relation à l’art : ce besoin maladif et bourgeois de distinction. 

Extrait

Philippe Bouret

Vous placez le « parler » du côté des conventions, des semblants. Vous dites que c'est pour ça que vous êtes restée jusque-là dans un profond silence. Quand vous dites que vous écrivez à voix haute et que c'est pour vous une expérience limite, au-delà de la limite, vous situez-vous en dehors de la question du « parler » ? Est-ce que parler ne viendrait pas comme un obstacle à l'écriture?

Lili Frikh

Au contraire, je ne sépare pas écrire de parler.

Pour moi, écrire comme je l'entends, c'est parler.

C'est quoi les mots ?

La réponse m'engage et engage, bien au-delà d'un texte d'un poème ou d'un livre. Et chacun répond avec sa vie, qu'il écrive ou pas. L'écriture n'a jamais été pour moi l'expression d'un espace privilégié. Chacun est de quoi écrire.

De quoi dire quelque chose qui existe avant pendant et après l'arrêt sur le papier.

Ce que j'écris, je fais plus que le penser, je l'incarne. Non. Ça m'incarne. Parler, c'est pour essayer de tenir dans le vide. Pas sur la page.

Chacun fait ce qu'il veut avec les mots. Si quelqu'un a besoin de contraintes pour écrire ou d'une marche à suivre ou d'un usage des diverses techniques d'approche de la chose... Qu'il fasse ce qu'il a à faire. Là, on est dans l'art. Une pratique de.

Moi je suis pas dans l'art. Je pratique pas. Ni l'écriture ni la peinture ni...

Je sais pas où je suis quand je parle.

Ne pas vivre ou mal. C'est tout ce qui me permet de créer.

C'est la différence que je fais entre amoureuse et artiste.

Je n'ai aucune contrainte formelle. Je crée par nécessité vitale et comme ça peut venir.

Philippe Bouret

Est-ce pour cette raison que vous dites que vous êtes plus une amoureuse qu'une artiste? J'y reviens ou plutôt, c'est vous qui m'y ramenez.

Lili Frikh

Oui. C'est un constat.

Je fais ça par amour. Par amour de l'amour. J'y vais à cœur ouvert. Je prends là où ça fait mal.

Là où ça coule. Je regarde ni à droite ni à gauche. J'essaye juste de traverser.

J'ai toujours vécu au plus près de mourir et ce sont les mots de quelques-uns qui m'ont tenue en vie... et certains totalement inconnus. Pour ces mots et ces êtres-là, j'ai une gratitude immense. C'est mon humanité.

Mais face à un objet d'art de merde. Comment voulez-vous qu'elle tienne mon humanité ?

Je suis là devant.

Je me dis c'est bien. C'est bien fait. C'est bien vu.

Mais ça a quelle valeur face à toi qui crève ?

C'est peut-être beau. Mais pas assez. Pas vraiment. Pas au point de.

Face à toi qui crèves l'exigence est totale.

Si vous êtes en bon état, si vous êtes taillé Chanel ou juste lacéré du Jean's en train je vais être vulgaire de prendre votre pied ou de penser à la plus belle façon de le prendre, c'est bon.

Vous pouvez aller vous faire une galerie d'art. C'est un endroit qui va bien.

Je peux pas avoir cette vision-là. Je suis pas dans l'état qu'il faut et j'ai pas le pouvoir de changer le sang qui coule en liqueur de framboise.

J'ai besoin que ça sauve. Pas que ça divertisse.

1 commentaire:

  1. Merci pour cette grande Dame qui, je l'espère de tout coeur, ne tardera pas à voir le jour.

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