mercredi 19 décembre 2018

POUR SALUER UN ÉDITEUR : ANTOINE GALLARDO.


Je me suis promis de ne pas laisser passer la fin de l’année sans au moins signaler l’intérêt que présente à mes yeux la nouvelle petite collection que l’éditeur quelque peu dysorthographique de la Boucherie littéraire, Antoine Gallardo, a tenu, par souci, cette fois, de cohérence métaphorique, à nommer Carné poétique. Ces Carnés, nous prévient-il étant constitués « de la viande des auteurs et des lecteurs souvent écrivants eux-mêmes ».


vendredi 14 décembre 2018

LES BARRICADES MYSTÉRIEUSES DE FLORENT TONIELLO.


Florent Toniello, apparemment, est un homme riche. Riche de mots. De phrases. De rencontres. De culture. De territoires parcourus. Riche aussi de musique, à propos de laquelle il plaint ceux qui, dans cet univers anxiogène qui est bien vraiment le nôtre, « ne peuvent entendre dans leur tête, sans les béquilles d’un haut-parleur et d’un interprète, la LUMINEUSE CONSOLATION DES NOTES ». C’est dire que dans son rapport au monde, si tout passe d’abord par le sensible, c’est bien en dernier ressort à l’esprit, qu’il appartient de donner sens et voix à ce qui de partout nous déborde : ce réel dont un long poème extrait de Lorsque je serai chevalier, nous décrit l’invasif et sauvage surgissement.


jeudi 29 novembre 2018

MIROIR DE LA POÉSIE. LA GAUFRE VAGABONDE DE JACQUES DARRAS.


« Cuisiniers de l’image » c’est ainsi que Jacques Darras qualifie les poètes, dans le merveilleux petit ouvrage qu’il consacre aujourd’hui à la gaufre. La gaufre, comme il dit, vagabonde. Sa gaufre pourrait-on dire aussi, de paroles, si l’on ne craignait avec ce clin d’œil à la figue de Francis Ponge, cet ancien normand retiré sur les hauteurs du Bar-sur-Loup (Alpes maritimes), de  défigurer, courant d’emblée au Sud, à ses vins, ses huiles et ses à-plats solaires, le puissant imaginaire du blanc, du beurre, de la levure et de la bière, tout cet imaginaire convaincu d’Européen du Nord, qui depuis si longtemps anime notre auteur.  


samedi 24 novembre 2018

L’EXPÉRIENCE DE LA FORÊT.


À Marco Martella

Il est difficile d’éviter
les distinctions et les conclusions
si agréable d’entrer
dans un espace dégagé
des courants d’opinion
et du poids de l’existence personnelle
un espace où moins l’on parle
plus l’on dit

Kenneth WHITE
Tractatus cosmopoeticus, in Un monde ouvert.


La forêt se trouve peu présente dans ce que j’ai pu jusqu’ici écrire. Je n’en retrouve en tout cas que fort peu de mention dans des textes anciens.


Cela me semble d’autant plus étrange qu’avançant dans la reconnaissance d’un réel échappant à nos soucis de définitions et de contrôle, je vois bien que la forêt qui se refuse à se laisser appréhender partout comme paysage, qui excède toujours l’œil, déroute tout particulièrement l’ouïe et nous déborde de ses inattendus touchers, constitue sans doute le milieu qui permet le mieux d’éprouver physiquement, sensoriellement, cet impensable du monde que les logiques réductrices et tellement morcelantes de l’école et de l’intellectualisme dans lequel j’ai été éduqué mais qu’aujourd’hui je combats, m’ont si peu préparé à découvrir dans les choses.


Oui, l’expérience de la forêt qui oblige à l’écoute inquiète, à une permanente tension de l’esprit vers l’invisible, le hors-champ - tant ce que l’on perçoit à cet instant de présences, craquements, frôlements, chuchotis, chants d’oiseaux, bruits lointains corrigés, diffractés, par l’acoustique propre des bois, échappe aux prises ordinaires et ordonnatrices de la vision qui bute là sur l’opacité d’une végétation de premier plan qui enserre - aurait pu devenir pour moi comme elle le fut pour un certain nombre d’artistes dont le beau livre intitulé La Forêt sonore, récemment paru chez Champ Vallon explore un certain nombre de réalisations significatives, la voie par laquelle j’aurais pu me défaire de l’idéal de clarté et de soumission perspective par quoi passait toute représentation supérieure et significative de nos fuyantes et prétendues réalités.

mardi 20 novembre 2018

LIRE. EXISTER. TIGRES. LAPINS. CÉCILE COULON, MARLÈNE TISSOT ET HENRI MICHAUX.


Lecteurs, vivants acteurs de la chaîne du livre bien qu’en principe anonymes destinataires de ce dernier, nous avons, comme très souvent je le répète, une responsabilité. Et comme aussi l’écrit Virginia Woolf, une grande importance. « Les critères que nous posons et les jugements que nous portons [précise-t-elle dans l’Art du Roman]  s’insinuent dans l’air et deviennent partie de l’atmosphère que respirent les écrivains en travaillant. Une influence est créée, qui les marque, même si elle ne trouve jamais son expression imprimée. Et cette influence, si elle est bien préparée, vigoureuse, personnelle, sincère, pourrait être de grande valeur aujourd’hui, quand la critique se trouve par la force des choses en suspens, quand les livres défilent comme une procession d’animaux dans une baraque de tir et que le critique n’a qu’une seconde pour charger, viser, tirer, bien pardonnable s’il prend un lapin pour un tigre, un aigle pour une volaille, ou manque son but et perd son coup contre quelque pacifique vache qui paît dans le champ voisin."

Des critiques qui prennent un lapin pour un tigre, nous n’en manquons point. Principalement aujourd’hui sur le net. Où une part importante de la poésie se troque. S’échange. Fait un peu parler d’elle du fait de l’espace que lui laisse la criante indifférence des medias naturellement préoccupés d’objets plus rentables. C’est que les dits-lapins sont à l’évidence plus nombreux que les tigres. Les volailles que les aigles.

jeudi 15 novembre 2018

JE NEIGE [ENTRE LES MOTS DE VILLON] DE LAURE GAUTHIER AUX ÉDITIONS LANSKINE.


Dans quoi se donne l’être ? Et comment, pauvres humains dotés de langue et de parole, répondons-nous à cet appel que nous sentons venir des choses comme de l’intérieur de nous. Il y a beau temps que nous ne croyons plus au pouvoir merveilleux des mots, à celui plus compliqué de la nomination, pour y enclore à coup sûr ce que nous sentons bien maintenant qui toujours leur échappe : cette présence, cette évidence à la fois intellectuelle et sensible qui est pour nous la marque d’une existence reconnue. Dans sa chair. Et qui touche.



Je ne sais ce qu’est en soi une parole vivante. Il est toujours plus aisé de repérer les paroles absentes. Absentes de leur sujet. De leur projet. Du mouvement ou de la dynamique par quoi elles sont supposées être portées. Et quant à ramener ces paroles vivantes, celles le plus souvent des auteurs qu’on admire et se répète sans trop chercher toujours à les comprendre, à des raisons supposées éclairantes, qu’on pourrait alors partager, c’est une tâche qui pour m’avoir été longtemps imposée, ne m’est pas devenue plus aisée. Bien au contraire.


jeudi 8 novembre 2018

RENDRE HOMMAGE ! LA BALLADE À TIBIAS ROMPUS DE RENÉ DALIZE.


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Il était le plus ancien des camarades de Guillaume Apollinaire. Poète mais aussi artilleur durant la première guerre mondiale, c’est sur le plateau de Californie, au-dessus de Craonne, au cours de la célèbre offensive Nivelle, qu’il fut tout d’abord blessé avant d’être mortellement touché par un obus. Enterré à la hâte, sa tombe fut ensuite vraisemblablement pulvérisée par les tirs de ces minnenwerfer ou mortiers de tranchée, appelés crapouillots par les français, qu’il évoque dans ce poème prémonitoire qu’il fit paraître dans une petite revue du front, Les Imberbes, réalisée avec Jean Le Roy et dans laquelle fut accueilli le célèbre texte de Guillaume Apollinaire, Du Coton dans les oreilles.



Il nous a paru important de porter à la connaissance d’un plus large public, principalement aussi celui des jeunes des écoles, cette Ballade à tibias rompus où Dalize met des paroles fortes et impressionnantes sur les terribles réalités du front au contact desquelles il se trouve. La saisissante prosopopée par laquelle il raconte de l’intérieur le devenir du cadavre d’un soldat allemand sur le champ de bataille et lui fait exprimer le regret de son existence perdue tourne le dos comme l’écrit Laurence Campa dans Poètes de la Grande Guerre « aux impératifs du réalisme testimonial » pour se présenter « comme une danse macabre qui entraîne dans sa pantomime toute une tradition littéraire, en mêlant les registres élégiaque et humoristique, les décalages rythmiques, les dissonances et la mélodie lyrique, les archaïsmes et le lexique de la guerre moderne». On y retrouvera des échos de Villon, bien sûr, comme ceux d’Une Charogne de Charles Baudelaire ou des Complaintes de Jules Laforgue. Avec en plus une vision totalement désabusée d’un ordre du monde où n’existe même plus la rassurante imagination d’un repos éternel. Où les morts mêmes restent en butte à la folie destructrice qui s’est emparée des hommes et où comme le remarque encore Laurence Campa, les bons vents auxquels notre poète a emprunté son pseudonyme, Dalize*, « lui infligent un inconfort ultime et dérisoire » sous forme d’éternuement provoqué par un coryza.

* Dalize s’appelait en réalité Dupuy. Il s’était engagé avant la guerre dans la marine et comme l’écrit Salmon dans le texte qu’il lui consacra après sa mort, « Il s'était choisi ce pseudonyme de Dalize par allusion à des vents favorables », les alizées.

mercredi 7 novembre 2018

LES ÉDITIONS LD RÉÉDITENT COMPRIS DANS LE PAYSAGE.


Paru en 2010 chez Potentille, un de ces éditeurs dont on ne dira jamais assez ce qu’on leur doit pour continuer, envers et contre tout, à faire un peu reconnaître dans l’espace de nos sociétés ces travaux singuliers de parole, appliqués non seulement à élargir comme à approfondir les possibilités de la langue commune mais à résister comme ils peuvent aux divers formatages dont notre existence fait aujourd’hui de plus en plus l’objet, Compris dans le paysage, ce long poème dont je dis volontiers que c’est avec lui que j’ai enfin compris ce qu’était pour moi la poésie, reparaît sous une autre forme et sans doute avec de nouvelles significations, aux éditions LD.


jeudi 18 octobre 2018

APOLLINAIRE ET LA GUERRE. UNE POÉSIE CONTROVERSÉE.


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« Apollinaire depuis 2 mois rumine les cadavres avec Robert, tout le détail hideux des souffrances de guerre, la famine des camps, le froid dans la boue glacée des tranchées. Il «en met», il en ajoute — peut-on en ajouter ? Il n'en veut pas être retiré consolé. Deux mois qu’il barbote dans l'horreur avec Robert, au point que je le blâme de ne vouloir considérer que la souffrance physique et d'y plonger sans trêve. »


mercredi 17 octobre 2018

RENDRE HOMMAGE ! JEAN LE ROY, POÈTE.


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On doit à l’amitié de Jean Cocteau, qui avait fait sa connaissance à Paris en 1917 par Apollinaire, de ne pas avoir totalement perdu la mémoire de ce jeune et prometteur poète qu’une balle abattit à la tête de sa section de mitrailleuse alors qu’il se trouvait sur le front belge non loin de l’actuelle Résidence d’écrivains du Mont-Noir à Saint-Jans-Cappel.


dimanche 7 octobre 2018

JE NE SAIS HABITER MON SEUL VISAGE. TOUCHER TERRE DE CÉCILE A. HOLDBAN.


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Merci à Cécile A. Holdban de m’avoir adressé Toucher terre, qui vient de paraître chez Arfuyen. On se trouvera je pense touché, par cette façon qu’a l’auteur d’y faire apparaître pour les réunir ses visages dispersés. Et pour elle qui aime à poser souriante, épanouie, devant des buissons de fleurs ou des paysages idylliques, de nous montrer tout en sachant conserver comme une forme de grâce et de préciosité parfois quasi préraphaélite, une sensibilité tout autant mordue par le doute et les mélancolies qui sourdent de la vie qu’exaltée par les enchantements que le généreux élan qui la pousse malgré tout vers l’amour et le monde, imprime dans son imagination.