vendredi 14 décembre 2018

LES BARRICADES MYSTÉRIEUSES DE FLORENT TONIELLO.


Florent Toniello, apparemment, est un homme riche. Riche de mots. De phrases. De rencontres. De culture. De territoires parcourus. Riche aussi de musique, à propos de laquelle il plaint ceux qui, dans cet univers anxiogène qui est bien vraiment le nôtre, « ne peuvent entendre dans leur tête, sans les béquilles d’un haut-parleur et d’un interprète, la LUMINEUSE CONSOLATION DES NOTES ». C’est dire que dans son rapport au monde, si tout passe d’abord par le sensible, c’est bien en dernier ressort à l’esprit, qu’il appartient de donner sens et voix à ce qui de partout nous déborde : ce réel dont un long poème extrait de Lorsque je serai chevalier, nous décrit l’invasif et sauvage surgissement.




Plongé dans ce réel, l’esprit peut aussi bien s’y sentir étouffé, emprisonné comme PTÉRODACTYLE EN CAGE, reproduisant ses enfermements dans les formes contraintes d’une poésie corsetée qui donne par exemple l’intéressante succession de vers enchâssés dans des acrostiches, rassemblée dans APOTROPAÏQUE, que s’y découvrir l’aptitude de s’y déplacer comme poisson dans l’eau. Et qu’importe que la mer soit devenue ce qu’elle est, poubelle où « se sont désintégrés les bouteilles les emballages les filets les masses noires les transparences les rebuts », l’esprit, dans les plus amples compositions qu’il se met alors à créer, « nage au travers des prismes qui transforment la lumière en spectacle irisé ».



Car la poésie de Florent Toniello si elle produit bien à première lecture une impression de disparate est toute entière à comprendre dans cette double perspective : du resserrement de l’esprit dans un monde qui, de tous horizons, l’assaille et du pouvoir de libération que lui confère ce que nous appelons ses capacités poétiques.



C’est ainsi que s’il fait entrer dans ses vers ou ses proses, toute une évidente crudité des choses qui disent, sans qu’il soit besoin de trop s’interroger, « la dureté des temps » qui est celle de nos sociétés égoïstes et avides, Florent Toniello ne tente pas de refléter pour reproduire ; il dresse en fait, par-dessus l’opacité menaçante qui l’entoure, ses petits miradors de pensée ou pour rester dans l’esprit musical qui est le sien, élève à partir des éléments hétéroclites que ses sens et son intelligence prélèvent un peu partout dans le monde, ses barricades mystérieuses.



Préférant, « telle une oiselle orpheline au nid abandonné & glacial » pépier ses vers « plutôt que de les avaler crus ».



Cela donne une poésie toute en figures, et bonds et déplacements que d’aucuns jugeront à l’occasion quelque peu surréaliste mais qui ne paraîtra totalement déroutante, qu’à ceux, certes de plus en plus nombreux, qui ne la voient que comme message ou discours, partageable dans la fausse clarté des formules attendues et des postures à la mode. Dans une langue le plus souvent réduite à quelques effets de surface sensée lui rallier le troupeau imbécile.



La poésie de Florent Toniello, elle, est à mille lieux de ce genre de connivences. C’est une poésie riche, étonnante, mariant de subtiles et pénétrantes saveurs. Qu’on voudrait peut-être parfois voir se montrer plus directe et moins quintessenciée. Certes. Surtout quand elle dit par exemple, notre misère commune. Notre solitude. Mais aussi ces angoisses et ces frustrations d’européen du nord.

À la vie, comme il l’écrit, tranquille et sans histoire. Mais non sans intelligence. Et grande sensibilité.

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