PRÉSENTATION DE L’ÉDITEUR
Matière poursuit cette plongée dans les pénombres intérieures par le biais du langage à laquelle l’auteur s’astreint, avec une rigueur exemplaire, depuis plus de trente ans. L’écriture en est paradoxalement aussi limpide qu’opaque, comme toujours chez Dominique Quélen, qui a l’art de renverser les perspectives : traitant l’indicible avec désinvolture, le dicible avec circonspection. Les huit séquences du livre font ainsi défiler, dans le désordre et au hasard, des photos de vacances, des familles bancales, des athlètes de haut niveau, une chaussure perdue, une bassine trouée (pour les yeux), des douzains mis en prose… Ces textes lumineux, d’une tension tour à tour ironique et inquiète, recouvrent sans doute un drame plus secret mais s’offrent avant tout à l’investigation des lecteurs et des lectrices, qui les recomposeront à leur guise : « le résultat s’apparente à un objet produit par la poésie et fabriqué dans sa matière ».
EXTRAITS
Le langage réduit à la langue usait de la discrétion en ceci qu'il devait nommer, c'est-à-dire distinguer en les assemblant, les objets qu'il désignait ; et la poésie hésitait, comme partagée entre les nommer et les faire exister autrement, par tout moyen qui lui fût propre. La ponctuation faisait de brèves convulsions dans les phrases et entre elles. Écrire, parler, étaient d'horribles artifices qui bouleversaient le visage et les yeux de qui écoutait, lisait ou s'apprêtait à le faire, ou en avait l'intention.
Les pigeons, leurs roucoulements d'essuie-glaces sur vitres sèches, plus nombreux que nous autres. La matière imaginée dessous, huîtres et œufs, huitres, biscuits cuiller, glace où pépie, palpite encore un cœur tendre, moelleux, cuicui, cœur et poulet-carcasse en dedans, les glaires ayant coulé. Pigeons gris, roux et blancs parmi les tombes. Il est bon que le temps allège à la fin, se décharne. Bec de moineau dit-on à qui ne mange rien, maigre comme clou, vide comme poche en plastique transparent. Une feuille tombe, puis deux, puis trois, puis quatre qui font dix.
Tu plies déplies replies en quatre ce que tu as à dire, que tu dois sans rien vouloir du tout, dans un perpétuel entretien préalable avec toi, pour rien, permanent, rapide, entre toi et toi. Décale-toi un peu sur la droite, devant derrière. Sens dessus dessous est ta fin de vie proprement dite, où on entrevoit une forme, on la distingue, dégradée, stupide, mais une forme qui te plonge dans la stupeur. Non parler mais des paroles prononcées ou à prononcer ou à redire. Une transplantation au sein de la terre, ou de la famille.
De mélose tirant mélope, tu inventes mélopement qui se met à vivre. Une fois les règles de la langue et du vivant définitivement enfreintes, tu n'as plus à les inventer, de mélopée te vient mélope avec naturel. Tu es là-dessous où les vers se font naturellement langue, poème à l'intérieur de la langue, chant mêlant invention et opérations de langage, une fois entré là où tu es enterré, où ton corps est enfermé avec ceux de tes père et mère, les mâchant et remâchant par-delà la mort.
Pages 101-102
Section VII, Ta matière
Dominique Quélen sur le blog des Découvreurs :
https://lesdecouvreurs2.blogspot.com/2025/01/a-propos-de-fiction-tombeau-paru-dans.html
https://lesdecouvreurs2.blogspot.com/2022/03/retour-sur-gestion-des-espaces-communs.html
https://lesdecouvreurs2.blogspot.com/2022/03/comprendre-quil-ne-faut-pas-comprendre.html
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