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lundi 4 avril 2022

ANTHOLOGIE DÉCOUVREURS. EXTRAIT DES PHRASES DE LA MORT DE JEAN-PASCAL DUBOST AUX ÉDITIONS DE L’ATELIER CONTEMPORAIN.

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 Le temps qui trop nous est compté, s’il m’empêche de décompter là, les pluriels allèchements de ce tout dernier travail de Jean-Pascal Dubost, ne saurait me priver de proposer à la curiosité des amateurs véritables qui parfois s’égarent sur mes pages, quelque passage par quoi se donnera peut-être à goûter ce banquet de la mort qu’âpre et amer, souvent, il constitue. Banquet de la mort qui est aussi banquet de mots. Plus proprement ici de phrases. Qui largement font écho. À notre piteuse et massacrante condition. L’ombre de Villon plane sur cet ensemble. Et celle bien sûr de ces temps où la pensée de la mort tout imprégnait. L’usage particulier que Jean-Pascal Dubost fait depuis toujours, ou presque, d’une langue redéployant nos anciennes syntaxes comme nos vocabulaires éteints, ajoute finalement à l’ensemble autant qu’une jouissance, sa cruauté d’ardillon.

Divisé en quatre parties- Lai, Envoi, Final et Coda, que précède une adresse au lecteur, accompagné des suggestifs dessins du peintre Hervé Bohnert et d’une lecture finale mais non définitive de François Boddaert, le livre est le fruit de plusieurs années de notations impréméditées retenues en des carnets mais à l’évidence remmanchées avec art, suivant desseing de forme. Le passage que nous avons extrait, pour éloquent qu’il soit, ne donne aucunement l’idée du tout.

mardi 9 novembre 2021

JARDINS MERVEILLEUX. LE JARDIN DE LIVIE À ROME.

Les images ne manquent pas sur le net des fameuses peintures de la villa de Livie, dite ad gallinas albas[1], qu’on peut aujourd’hui admirer, comme je l’ai fait, au Museo Nazionale Palazzo Massimo Alle Terme de Rome.  Plus ancien exemple, à notre connaissance, d’une peinture de jardin continue, ces peintures couvrent la totalité des murs aveugles d’une pièce à l’origine souterraine, de quelques six mètres sur douze où la troisième épouse d’Auguste et mère de l'empereur Tibère, projetait vraisemblablement de transporter ses invités dans le monde enchanté d’une grotte sacrée parlant à l’imagination de toute la puissance des formes idéalisées de la belle nature.

mardi 24 novembre 2020

HOMO BULLA ?


Dans un passage assez souvent cité de ses copieux et nourrissants adages1, Erasme évoque la figure de Varron qui, à l’aube de sa quatre-vingtième année, explique dans la préface de ses Res rusticae qu’il lui faut écrire à la hâte, ayant désormais à faire ses bagages pour quitter ce fragile séjour où nous ne faisons que passer. Car si l’homme est une bulle - quod si, ut dicitur, homo est bulla – combien plus encore doit l’être un vieillard comme lui. Ceux qui touchent au grand âge sont toujours les plus prompts à se désoler de la brièveté de la vie.

C’est toutefois le plus souvent en mettant en scène des enfants, comme le rappelle d’ailleurs le générique de la série Undoing actuellement diffusée sur OCS, que l’art a illustré ce motif de la bulle, qui va courant du Jan Steen de La Vie humaine exposé au Mauritshuis de La Haye au portrait relativement peu connu de Manet qu’on trouvera à la  fondation Calouste-Gulbenkian de Lisbonne, voire au bien mélancolique adolescent de Thomas Couture (MET de New-York), en passant bien entendu par les célèbres versions des Bulles de savon peintes par Chardin dont Michel Delon dans Le principe de délicatesse, Libertinage et mélancolie au XVIIIe siècle, prétend qu’elles ne sont plus des vanités mais « affirment la saveur de l’éphémère, la beauté de l’anonyme ».

 

La littérature n’est pas en reste, elle qui depuis toujours multiplie les figures de la vie transitoire. Erasme le remarquait déjà qui dans son adage 1248 que j’évoquais plus haut, remonte outre Varron, à Lucien, Hippocrate, Aristote, Eschyle, Sophocle, Pindare, qui sais-je encore, lesquels comparant l’existence humaine à une fumée quand ce n’est pas à l’ombre même d’une fumée, s’accordent à nous rappeler notre peu de consistance face à l’avidité du Temps. Mais le motif de la bulle a pour le peintre quelque chose d’excitant qui plutôt que de le conduire à nous suggérer de nous préparer d’urgence à comparaître devant quelque Juge éternel, le tourne davantage vers l’exaltation de notre puissance de vie. C’est que la bulle est souffle, pneuma générateur de monde et que, ronde aussi, sphérique, elle se présente comme le magique reflet de ce lieu du cosmos où nous habitons. Et qu’elle dit à l’évidence par là quelque chose non plus de la fragilité mais du pouvoir créateur de l’homme. Il y a d’ailleurs pour le peintre un véritable défi à donner sur la toile consistance et visibilité à tant d’infinie transparence.

 

Certes, une des premières apparitions que je connaisse de ce motif  en peinture, la bulle qui dans la nature morte de Jacques de Gheyn appartenant au Metropolitan de New-York surmonte un crâne encadré d’une tulipe dans un vase et d’un rameau de buis desséché, inspire bien évidemment de sombres et sévères pensées d’autant qu’elle reflète et la crécelle des lépreux et la roue des suppliciés ! Rien en somme qui la rapproche de cet autre tableau d’Annibale Carraci qui me paraît concentrer en lui et révéler toute la richesse entraînante de signification que ce motif est aussi susceptible de prendre.

Ceux qui, par la science, vont au plus haut du monde,

Qui, par l'intelligence, scrutent le fond des cieux,

Ceux-là, pareils à la coupe du ciel,

La tête renversée, vivent dans leur vertige. 

Omar Kayyâm

 

 

L’œuvre d’Annibale Carraci n’est pourtant pas très connue. Elle représente en fait un homme en train de boire. Ou plus exactement contemplant, la tête en arrière, le fond du verre dont il vient d’absorber le contenu. Le génie du peintre est ici de nous représenter le visage du personnage dans la bulle justement formée par l’ovale du verre formant goutte, qu’il tient à la renverse. Ce n’est pas d’expir qu’il s’agit ici mais d’inspir. Et quand on connaît bien sûr la riche symbolique du vin dont le personnage nous place l’image en premier plan à travers la carafe à demi-remplie ou à demi-vidée qu’il tient de la main droite, on comprend que c’est bien de vitalité, de chaleur, de désir, qu’il est question ici. D’absorber en fait jusqu’à la dernière larme ce monde qui à la fois absorbe et nourrit notre vie. Tout jusqu’à la chaleur du coloris accentuée au niveau de la poitrine, vient renforcer cette lecture qui fait de la bulle de verre soufflé dans laquelle le buveur se projette de tous ses sens – lèvres, narines, yeux, sont pris à l’intérieur de ce cercle – le lieu d’une relation dynamique et essentielle que toute l’œuvre nous invite à partager.

 

Alors oui, je veux bien que la vie soit éphémère et que toujours trop vite asséchée soit la coupe de notre existence, mais le tableau du Carrache, plutôt qu’à ressasser toutes les fragilités bien connues de notre condition d’homme et les rigueurs aujourd’hui de notre confinement, invite lucidement à boire cette vie jusqu’à la dernière goutte. Car me retient aussi dans cette image, qu’à la différence de bien des portraits de buveurs, ou buveuses, le visage qu’on découvre sur la toile n’est pas une de ces trognes rougeaudes – je pense à celles de Hals, de Jordaens – ou avachie – Manet - mais a le regard vif et net de qui ne regarde pas qu’en lui mais toujours vers l’avant et aussi vers le haut.

 

De fait ce n’est pas l’homme qui est une bulle mais chacun de ces innombrables moments par quoi sous la pression du désir, du sentiment, de la curiosité, de son appétit de vivre, tout au long de son existence tout son être s’accroît, s’avive, au point qu’il s’y trouve absorbé. Que ce soit la beauté d’un paysage que peut-être il ne reverra plus, le sourire d’un être qu’il aime, le caractère transperçant d’une phrase, d’un récit, d’un poème, un petit pan de mur jaune, un simple craquement de feuilles sèches sous son pied, voire, c’est égal, le pur sentiment d’exister le matin quand il ouvre sa porte pour promener son chien, chacun de ces instants qui étincellent, il le sait ne durera pas. Mais d’autres bulles se formeront tout au fond de son verre et de nouveau se libèrera en lui l’impression que quelque chose en lui se dilate aux dimensions du monde et que la vie l’attend. Comme elle attend l’enfant qui bien sûr mourra un jour. Riche toutefois de toutes les expériences2, la plénitude, les joies, la sagesse, que son existence, on l’espère, lui aura apportées. 

 

Alors oui, de la toute fraîche enfance à la vieillesse racornie, envolons-nous parmi les bulles dans le plaisir toujours renouvelé de l’ouverture et de la découverte. Et comme nous y invite le poète Jacques Darras dans son Ode au Champagne3, rendons grâce à ces bulles qui grimpent dans le verre « par toutes leurs échelles comme une population d’anges » et à jamais s’élevant gardent quelque chose à nous dire et à nous faire partager de l’ordre infini des temps, de la craie par exemple sur laquelle se sera formé le vignoble et des centaines de millions d’années qu’elle a mis pour s’accumuler.

NOTES

1. Voir : http://ihrim.huma-num.fr/nmh/Erasmus/Proverbia/Adagium_1248.html

2. Il faut lire sans doute à ce propos la Petite métaphysique des jouets, de Nicolas Witkowski qui prolongeant son Histoire sentimentale des sciences fait l’ éloge de l'intuition enfantine et montre que c’est toujours l’appréhension d'une loi naturelle, une certaine façon de s’initier au mystère du monde, ce qui explique son air de concentration, qui se joue dans ces moments où l’enfant par exemple après avoir trempé sa paille dans le verre s’ingénie à en faire s’envoler sa bulle de savon.

3. Qu’on peut lire dans l’anthologie parue chez Poésie/Gallimard sous le titre l’Indiscipline de l’eau, pages 155 à 159.

4. Sur le tableau du Carrache voir toutefois ce que j'en écris dans un article plus récent :  https://lesdecouvreurs2.blogspot.com/2020/11/en-nos-propres-poreuses-et-oscillantes.html#more