jeudi 12 septembre 2024

ANTHOLOGIE DÉCOUVREURS. EMMANUEL MOSES. UN ENTERREMENT.

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J’ai suffisamment fait état sur ce blog de la sympathie et de la considération que j’éprouve envers la poésie d’Emmanuel Moses pour me sentir obligé aujourd’hui d’y revenir. Emmanuel Moses est de ces poètes féconds et reconnus qui bénéficiant du privilège de pouvoir à volonté publier ses ouvrages dans les maisons les plus diverses, possède malgré cela le don, la grâce, de ne jamais lasser. Sans doute parce qu’il est véritablement poète c’est-à-dire pense réellement avec le cœur, un cœur nourri en profondeur d’une riche, profonde et lointaine expérience du monde et de la vie. Qu’une maîtrise parfaite de la langue, un sens subtil des tonalités, une perception non moins fine du rythme capable de s’affranchir, sans heurter, des métriques conventionnelles, lui permettent de figurer sans avoir besoin de recourir aux pénibles acrobaties, aux confus hermétismes, auxquels s’abandonnent certains.

 

De son Dictionnaire des sérénités, titre qui se voit expliqué page 28 de l’ouvrage, je ne retiendrai donc pour le partage que le tout dernier poème qui est aussi le plus long. Pour ce qu’il me rappelle aussi certaines pages magnifiques de son Quatuor, paru en 2020 au Bruit du temps, ouvrage que j’aurai eu le plaisir de saluer de façon plus approfondie ici (voir) et là (voir). 

L'AIGLE D'IVRY

 

Je m'étais pourtant promis de ne plus écrire de poésie

pendant un temps

Peut-être par excès, c'est-à-dire que trop de sensibilité m'avait habité

Que mes impressions et mes émotions s'étaient emparées de mon âme

— Comment l'appeler autrement ? —

Et que la flamme ténue qu'elle entretient dans l'obscurité de l'être

— Là encore, comme l'appeler autrement ? —

S'en était ressentie

Se recroquevillant, se réduisant à une pauvre étincelle

soufrée menacée d'extinction.

 

Mais l'occasion d'un voyage, vers un lieu où l'amitié

rayonnait depuis près d'une moitié de vie

Lieu cher, parmi les hêtres et les charmes,

les mares et les chemins de terre,

M'a rendu la présence de la poésie

(Comme on rend à quelqu'un qui pensait l'avoir perdu

Un objet dont il commençait d'accepter la disparition)

 

Cependant, cette présence de la poésie aurait eu beau

frapper à la porte de l'âme,

Oui, l'âme doit lui ouvrir sinon elle se dissipe aussitôt,

Sans un autre événement, antérieur de peu

Aucun poème n'en aurait surgi.

 

 

Un après-midi d'automne, dans un cimetière aux allures

de forêt moussue et profonde d'ombres sur lequel se déversait

un pâle jour bleu aux reflets roux,

J'avais accompagné une vieille amie jusqu'à sa « dernière demeure »

ce trou luisant et brun

Que je ne veux pas appeler autrement, même si ses noms

sont nombreux

Et la mort, puisque c'est elle qui nous conviait, nous,

les amis, avec sa famille,

Qui nous unissait pour la dernière fois à elle, « la défunte »,

la dernière fois, vraiment ?

Au lieu de m'apparaître comme une exterminatrice,

un monstre froid

M'avait fait l'impression d'une compagne fidèle

et presque bienveillante de l'existence et des hommes

Remplissant mon cœur d'une sérénité non dépourvue de joie

et de pureté

Pureté que reflétaient l'air et les couleurs tendres qui l'éclairaient.

 

Des corbeaux volaient entre les feuillages de nid en nid

sur les branches autour de nous

Puis quelqu'un lança à un moment; « Regardez ! »

Plus haut qu'eux planait en cercles lents un oiseau qui aurait

pu être un aigle tant il paraissait grand

Un aigle en banlieue parisienne ?

Pourquoi pas ?

Et le souvenir de cette heure de paix, de cette heure

avait transmué la mort

De cette heure de l'oiseau inconnu, un aigle, désormais,

pour moi

De ce moment heureux — ici aussi, c'est le mot le plus juste —

Fut, je le mesure maintenant l'ingrédient nécessaire

à l'émergence, à la réémergence, de la poésie

À affermissement, mieux, à son plantement et

son épanouissement simultanés

Quelques jours plus tard, chez mes amis, à l'ombre des feuillus

et dans les chemins creux.

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