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mardi 15 septembre 2020

DEVENIR BLOCKHAUS. SUR LE DERNIER LIVRE DE MAUD THIRIA PARU CHEZ ÆNCRAGES & CO.


enfant tu te demandes

si toutes les maisons ont

leur repli

leur terrain de jeu de guerre

et leur cachette ouverte

qui ne serait pas celle des greniers

des dessous d’escaliers obscurs

tu te demandes

si dans toutes les maisons

on se tient voûté

tapi

là par effraction

 

Tous les enfants le savent. Chaque maison recèle en elle ou dans son voisinage proche un lieu dont il peut faire son espace à lui, où échapper au regard des autres et donner libre cours à son imagination. Et rien n’est plus certain que ces espaces nous marquent et peut-être en partie nous façonnent. Comme l’affirme Bachelard, ce grand explorateur de l’imagination matérielle, « tous les espaces de nos solitudes passées, les espaces où nous avons souffert de la solitude, désiré la solitude, joui de la solitude, compromis la solitude sont en nous ineffaçables […] très précisément l’être ne veut pas les effacer. Il sait d’instinct que ces espaces de sa solitude sont constitutifs. Même lorsque ces espaces sont à jamais rayés du présent, étrangers désormais à toutes les promesses d’avenir, même lorsqu’on n’a plus de grenier, même lorsqu’on a perdu la mansarde, il restera toujours qu’on a aimé un grenier, qu’on a vécu dans une mansarde. [1]»

 

Alors, qu’ayant établi, enfant, son propre espace de repli, à l’intérieur d’un blockhaus, conservé parmi les ronces tout au bout du jardin familial, Maud Thiria le transmue aujourd’hui comme l’écrit Jean-Michel Maulpoix, « en lieu mental et en [fasse] la table d’orientation de son écriture » n’a rien finalement pour surprendre. Si ce n’est que le choix d’un tel lieu n’est pas chose courante.

 

Dans son étrangeté et la dureté de ses consonnes centrales, le mot même, blockhaus, a quelque chose d’âpre, de calleux [2] que la rudesse de matière et de forme de la chose n’a rien pour compenser. Sans compter ce que l’on sait de sa sinistre histoire. Ainsi, pour l’auteur qui tente dans son livre de rendre compte des marques que son blockhaus aura imprimées en elle, rassemblant pour commencer les souvenirs conjugués du bloc inhumain de béton barbelé et des diverses formes de vie végétale parmi quoi il se trouve en partie enfoui, orties mais aussi groseilles, il importe de comprendre qu’elle a toujours penché du côté des « textures rugueuses » et que quelque chose peut-être du lieu plus vaste qui l’a vu vivre enfant, la Lorraine, terre de guerres s’il en fut, l’a comme prédisposée à porter ces ombres de l’Histoire, tout à l’intérieur d’elle.

 

On le voit, le parti pris par le livre de Maud Thiria, a quelque chose de profond et d’ambitieux. Touchant à ce qui, dans le temps long des choses, nous construit. Ce que vient d’ailleurs souligner la belle page de remerciements qui commence par évoquer ses « ancêtres lorrains, les enfermés en forteresse, les peintres verriers dont [elle dit suivre] la lignée d’ombre et de lumière ».

 

On ne saurait toutefois évoquer cet ouvrage sans préciser la nature proprement exploratrice et la puissance de pénétration dont le mot-titre Blockhaus se trouve clairement investi tout au long de ce livre. Tantôt perçu comme substitut du ventre maternel où trouver à se blottir, tantôt éprouvé tout au fond de soi dans sa nature étrangère comme une sorte d’alien, ou un cheval de Troie, ce mot qui aux yeux de l’auteur semble parfois contenir tout le reste, se trouve en effet comme relié à toutes les dimensions de sa vie. Comme on le sait les mots effectivement ne sont pas sur nous sans résonances. Certains plus que d’autres irradient leur charge multiple et complexe de significations ordonnant autour d’eux notre perception intime des choses. Ainsi, lié bien sûr, comme on l’a dit, aux plus grandes atrocités de l’histoire, ce terme ennemi de blockhaus, en véritable pharmakon, s’impose également aux yeux de l’auteur, comme forme métaphorique condensée l’aidant à reconnaître en elle cette armure sensible et mentale dont elle éprouve le besoin pour échapper au vide. À la coulée en soi de l’informe.

 

tu sens à son contact

ce mot te structurer

face à la brutalité du monde

armer tes chairs

face au vide des matières molles

où coule l’informe

non-dit

 

du béton s’arme l’acier

et ton bras

prêt à l’envol

 

C’est que l’étranger, l’ennemi, n’est peut-être pas toujours ce qui cherche à nous détruire. À la lourde évidence des perceptions communes qui rassemblent dans l’illusion d’un monde partagé, l’auteur oppose finalement,  à travers la succession de ces courts textes ramassés, ses poèmes-blockhaus, où l’os de l’idée perce trop vite, peut-être, la chair sensible de l’écrit, l’expérience intime du déchirement qui lui fait finalement accepter sa différence, sa propre étrangeté. Devenue à son tour blockhaus, il lui redevient possible de retrouver son jardin d’enfance puis, à travers « les vieux murs fissurés » dans quoi l’être s’éprouve toujours en partie reclus, accueillir dans son livre ses souvenirs comme autant de « trouées de lumière/ inespérées ».

 



[1] Poétique de l’espace.

[2] Dans une page de son livre M. Thiria s’interroge d’ailleurs sur les effets que ce mot, à la différence d’un autre, auront pu avoir sur elle : « s’il s’était appelé autrement/ ta vie aurait-elle été la même ?/ quelle vision pour la casemate au fond du jardin/ si le mot ne retient pas toute la brutalité du monde ? ». 

jeudi 2 juillet 2020

DU POUVOIR ET DE L'IMPUISSANCE DES MOTS.


Libre de l’obscure menace d’un étroit tombeau. On ne sait d’où vient cette phrase qu’on lit sur l’une des plaques scellées aux murets de ciment bas qui entourent pas trop joliment à Boulogne-sur-Mer, le Calvaire des marins qui domine le port. Une belle herbe dense régulièrement entretenue repose d’abord les yeux, jette en direction de l’horizon sa grande nappe végétale qui fait paraître en contrebas de la falaise, le sable plus tranquille, l’eau dans le ciel plus calme. Se retournant, on découvre derrière un rideau de haies vives, sans ouverture sur la mer, des petits jardins ouvriers tout en salades, poireaux, choux, sans trop de fleurs ou de fruitiers tandis que dans le petit quartier-résidence de l’autre côté de la rue, les maisons, simples cubes sans étage apparent, ouvrent en façade deux ou trois fenêtres minuscules augmentées, dans le haut de leur porte d’entrée, protégée par un auvent léger, d’un rectangle étroit de jour sombre.

C’est au large, de Land’s End, pointe extrême au sud-ouest de la Cornouailles dans les parages de l’île mythique de Lyonesse qui avant de servir de cadre aux « fantasies » du romancier américain Jack Vance, fut un des lieux merveilleux de la légende arthurienne, que disparut le jeune Adrien Bourgain, mousse, avec le chalutier Vert Prairial, au matin du 14 mars 1956. Ses maîtres de l’école d’apprentissage maritime de Boulogne nous le rappellent, qui ont imaginé pour lui ces mots singuliers qu’ils ont fait graver sur la plaque de marbre sombre et qui résonnent étrangement dans ce quartier d’habitation si proche et pourtant si loin à la fois de la mer. Comme si cette loi d’équilibre qui préside selon certains philosophes aux destinées du vivant découvrait là encore sa secrète illustration. Comme si, face à la voracité démonstrative, démesurément ouverte de la mer, les vies des fils, filles, des cousins, frères et femmes peut-être encore, de ces marins disparus dont le monument désert prend en charge comme il peut, le souvenir, avaient cherché – et l’on sait bien que ce n’est qu’une idée, une impression, les choses pouvant s’expliquer de façon beaucoup plus terre-à-terre, si l’on peut dire ! – avaient cherché et trouvé là, finalement, à s’enclore, figées dans l’espace étroit d’un lieu renfermé sur lui-même. Déshabité du grand large. Délié, dégagé. Affranchi d’horizon.


Mais que sait-on finalement du vivant ? De la vie véritable des hommes ? Il est facile, ignorant, de monter comme ça, les mots, les idées, les uns contre les autres. D’opposer ainsi la séduction de certains lieux à l’absence de charme de tant d’endroits d’apparence déshérités mais qui ne sont souvent que socialement désavantagés. Sans doute même que les histoires qui naissent en de tels endroits valent amplement celles plus convenues des autres. Mais ira-t-on jusqu’à se dire que tel petit quartier réel comme celui qu’on découvre ici remontant de la mer jusqu’en haut de la rue du Baron Bucaille reste potentiellement plus riche d’aventure humaine, de puissance même fictionnelle que  tous ces livres, ces récits qui les enferment depuis longtemps dans les clichés eux aussi bien souvent étroits de la littérature ? On pourrait sans réserves l’affirmer s’il ne fallait pour approcher telle secrète et obscure richesse, une curiosité, une expérience, une capacité d’écoute et d’interprétation, une multiplicité de savoirs aussi que nos vies simplement normales ne suffisent en général pas à rassembler. Ainsi passons-nous tout-à côté, en même temps très loin, des choses. Qu’heureusement des pages, des phrases, jusque dans leur mensonge, à leur façon quand même, un peu, éclairent. Ne soyons dupes alors, ni du pouvoir des mots, ni surtout de leur impuissance.

jeudi 25 juin 2020

CAHIER D’EXTRAITS PRIX DES DÉCOUVREURS 2020-21. DIT LA FEMME DIT L’ENFANT DE CHRISTIANE VESCHAMBRE.

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Nous voici donc arrivés au tout dernier Cahier d’accompagnement de la sélection 2020-21 du Prix des Découvreurs. Point final ou presque d’un long travail qui nous aura occupé durant bien des semaines. Nous terminons avec le beau livre de Christiane Veschambre, paru aux éditions isabelle sauvage, dit la femme dit l’enfant. Nous aurions bien aimé proposer pour la découverte d’autres passages de cet ouvrage susceptibles d’éveiller davantage encore d’échos chez de jeunes lecteurs préoccupés d’abord d’eux-mêmes et du monde dans lequel ils croient vivre. Seulement, il nous a semblé impossible de les faire entrer dans le livre autrement qu’en les plaçant sur le seuil imaginé par son auteur.

Pour ce qui est de l’accompagnement artistique et culturel qui est le signe distinctif de ces Cahiers, nous avons encore une fois privilégié peinture et arts plastiques en proposant à la découverte le travail d’un peintre méconnu de la première moitié du XXème siècle ainsi qu’une réflexion sur le cadre et le trompe-l’œil. Tous les liens actifs de ce Cahier seront visibles et rendus actifs sur CALAMEO qui a l’inconvénient toutefois de ne pas être téléchargeable. Le PDF correspondant peut l’être sans difficulté, les liens quant à eux n’apparaissant qu’au passage de la souris.


mercredi 17 juin 2020

CAHIER D’EXTRAITS PRIX DES DÉCOUVREURS 2020-21. SANDRA MOUSSEMPÈS.

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Le sixième des Cahiers d’accompagnement du Prix des découvreurs 2020-21 nous conduit dans ces espaces merveilleusement subtils qui s’animent aux frontières du son et de la voix.

Tout un travail autour de la voix, de ses vocabulaires, de ses principales dimensions, physiologique, organique, sociale, psychique, littéraire, mythologique, fantastique sans oublier la prise en compte des techniques visant à l’éduquer, la maîtriser, la conserver, peut être initié à partir de cette œuvre d’une grande richesse qu’est Cinéma de l’affect de Sandra Moussempès.

Comme pour les autres cahiers nous suggérons quelques pistes par tout un jeu de liens qui se révèleront actifs lors de la consultation sur l’écran du PDF ci-dessus ou du petit fascicule sous Calaméo. Découverte des plus prestigieuses salles d’opéra du monde, des histoires fantastiques générées à la fin du XIXème siècle par les inventions d’Edison, dialogue aussi avec l’œuvre d’une artiste contemporaine dont l’univers se rapproche étrangement par certains aspects de celui de notre auteur…

Mais bien entendu c’est au texte lui-même que nous demandons d’accorder la plus grande attention pour ce qu’il ouvre à la pensée par son approche inventive et sensible. En espérant que l’extrait que nous proposons éveillera en chacun le désir de découvrir l’ouvrage dans sa totalité.


vendredi 3 avril 2020

DIT LA FEMME DIT L’ENFANT. CHRISTIANE VESCHAMBRE À LA RENCONTRE DE SON MOI PERDU.

Rudolf WACKER, Deux visages

Rares finalement sont les livres qui bouleversent. Non de cette facile émotion qui nous traverse au spectacle ou à l’évocation de ces situations où la vie dont nous nous croyons proches se voit ravager, violenter, mutiler, contrarier, par l’ordre naturel ou politique des choses. Mais de ce saisissement intime, de cette consolante tristesse, que produit la lecture d’un texte dont le filet lancé de phrases parvient à ramener à la conscience quelque chose en nous de l’épaisseur frémissante et incommunicable de la vie.

Ceux de Christiane Veschambre sont de ceux-là. Dans ce tout dernier ouvrage que publient les belles éditions isabelle sauvage, deux paroles s’échangent de part et d’autre d’une frontière en principe impossible à traverser, qui est de temps. Qui est aussi celle qui sépare les vivants et les morts. L’enfant qu’elle a été se tient devant une femme parvenue au crépuscule de sa vie au seuil de la maison qu’elle habite, trouant par sa présence fantasmée l’univers d’habitude et la consistance plus ou moins assurée de sa vie.

S’ensuit un étrange dialogue opposant moins des écritures que des consciences. L’enfant bien sûr restant ignorant de ce qu’est devenue la femme qu’elle sera ; la femme n’ayant accès à la conscience de l’enfant qu’elle fut que par le prisme retravaillé de la mémoire. Visuellement la scène s’ouvre sur un intérieur moitié bureau, moitié salon, aux fenêtres donnant sur une large campagne, dont les tapis pour l’enfant figurent comme une mer qu’il lui faudrait franchir pour avancer dans la pièce. Et dont chacun des meubles lui fait comprendre à elle, restée l’enfant d’un couple de femme de ménage et d’ouvrier d’usine, habitant l’espace étroit des pauvres, qu’elle se retrouve ici face à un autre monde.  

Si bien entendu, dans sa recherche du moi perdu, le dispositif imaginé par Christiane Veschambre lui offre toute latitude pour revenir, comme elle a l’habitude de le faire, sur ses origines familiales, de raviver bien des atmosphères, comme bien des détails précis de son existence passée, comme de faire le point aussi sur ce qu’elle est devenue, notamment par ce que lui auront apporté sa curiosité artistique, sa pratique personnelle de l’écriture, sans oublier la présence à ses côtés d’un compagnon aimé, les choses comme toujours chez Christiane Veschambre vont plus loin. Plus loin que les pittoresques évocations sur lesquelles elle s’appuie, plus loin que les considérations sociales même majeures qui ne sont jamais absentes de ses réflexions, plus loin au fond que le simple contenu de matière signifiante, que chacun trouvera à l’envie, dans ses livres.

Enfant docile et verbalement appliquée à collaborer avec le monde dans sa prétention générale à « habiller la vérité », « la blanchir », l’enfant porteur de monde qui se tient sur le seuil de la porte, « se tient dans le réel ». Mais c’est un réel sans mot. Alors que pour « la dame » devant elle, « il n’y a que les mots », son réel quant à lui  reculant au plus loin, « comme un animal s’engouffrant au profond du terrier ». De cette étrangeté réciproque, cette irréductibilité première, Christiane Veschambre ne sort qu’en substituant à « la langue berceuse », infantile et impuissante de l’enfant une langue d’enfance retravaillée par sa propre langue inquiète d’écrivain, aspirant à ce qu’elle a pu nommer dans l’un de ses précédents livres, essentiel,  la « basse langue » . Celle qui, au-delà de tout procédé, de toute rhétorique, creuse au fond même de l’incommunicable. Et finira par les unir, et la femme et l’enfant, à l’intérieur des mêmes phrases. Dans leur intime éloignement.

Alors pour reprendre l’intitulé d’un de ses précédents livres de poèmes, quelque chose approche, qui relève cette fois de la commune, vacillante et terriblement émouvante présence d’un temps qui ne tiendrait plus seulement à celui des montres et des horloges. Mais à cette disposition subjective qui fait ici le noyau secret d’une écriture qui rassemble. Et comme dans la chaleur fragile peut-être et hasardeuse d’un vieux poêle au matin, ramène autour d’elle son petit peuple de fantômes, d’êtres chers, d’aspirations, de curiosités et d’appétits illimités de vivre. Reprenant corps ou plutôt mouvement, battements silencieux de signes, sur les parois de ce livre-grotte, dont son auteur aura fini par faire le seul, unique, monde. Qui leur soit quelque peu commun.

mardi 19 novembre 2019

NOTRE INVISIBLE CAGE D’ACIER. SUR UN PLACET DE GÉRARD CARTIER : DU FRANGLAIS AU VOLAPÜK, CHEZ OBSIDIANE.

« Jamais notre langue n’a été aussi malmenée et jamais à ce point mal aimée ». C’est vrai que de découvrir, par exemple, dans la bouche d’un Président de la République, se piquant d’avoir été proche d’un philosophe comme Paul Ricoeur, qu’il croit « dans l’autonomie et la souveraineté » car « la démocratie est le système le plus bottom up [sic] de la terre », a de quoi faire bouillir jusqu’aux natures les plus tièdes. Faire se cabrer jusqu’aux plus flegmatiques et accommodants esprits [1].


We are, us, moderns, the new France


jeudi 12 septembre 2019

FAUVELLE, MICHON, COETZEE, LA VENUS HOTTENTOTE ET L’ÉCRITURE BONNE.

Pour Jean-Marie Perret

Gravure de Hans Burgkmair, vers 1508 représentant les khoekhoes
Sensible à certaines remarques qu’on aura pu me faire, je reviens, fidèle à ma manière à la fois concentrique, allusive et indirecte d’envisager, comme je peux, les choses, au livre de François-Xavier Fauvelle, A la recherche du sauvage idéal, qui m’a fourni le point de départ de ma récente réflexion sur quelques impostures courantes de notre poésie. Oui, on ne saurait trop insister sur l’originalité et l’intérêt de la démarche par laquelle cet ouvrage tente de rendre compte de la réalité d’un très ancien groupe humain que les aléas de l’histoire auront amené à disparaître non sans nous avoir laissés construire d’eux une image désolante qui en dit long sur les carences de notre propre équipement moral.

dimanche 7 octobre 2018

JE NE SAIS HABITER MON SEUL VISAGE. TOUCHER TERRE DE CÉCILE A. HOLDBAN.


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Merci à Cécile A. Holdban de m’avoir adressé Toucher terre, qui vient de paraître chez Arfuyen. On se trouvera je pense touché, par cette façon qu’a l’auteur d’y faire apparaître pour les réunir ses visages dispersés. Et pour elle qui aime à poser souriante, épanouie, devant des buissons de fleurs ou des paysages idylliques, de nous montrer tout en sachant conserver comme une forme de grâce et de préciosité parfois quasi préraphaélite, une sensibilité tout autant mordue par le doute et les mélancolies qui sourdent de la vie qu’exaltée par les enchantements que le généreux élan qui la pousse malgré tout vers l’amour et le monde, imprime dans son imagination.

vendredi 11 mai 2018

DANS LA CHAIR DU POÈME. NI LOIN NI PLUS JAMAIS D’ISABELLE LÉVESQUE.


Lorsque je serai mort depuis plusieurs années,
Et que dans le brouillard les cabs se heurteront,
Comme aujourd’hui (les choses n’étant pas changées)
Puissé-je être une main fraîche sur quelque front !

Oui. C’est à ce vœu émis, il y a plus d’une centaine d’années par ce magnifique poète que fut aussi Larbaud que je ne peux m’empêcher de songer à la lecture du dernier livre d’Isabelle Lévesque, Ni loin ni plus jamais, présenté en sous-titre comme une suite pour Jean-Philippe Salabreuil. Belle chose en effet que cette « main fraîche » passée par un poète depuis longtemps disparu sur le front d’un poète vivant. Que cette transsubstantiation qui fait ici que le verbe se fait chair. Et que ce qui était apparemment mort redevient dans un geste et pour un instant, vie.

Seulement, contrairement à ce qu’imagine l’auteur des Poésies de A.O. Barnabooth, les choses ont aujourd’hui bien changé et si les brouillards demeurent - encore que ceux de Londres qu’il évoque se soient considérablement réduits – les formes poétiques et les goûts de nos contemporains ont terriblement évolué. Au point de nous rendre certains textes moins aisément lisibles.

mardi 8 mai 2018

INSCRIPTIONS IRLANDAISES. LA PIERRE À 3 VISAGES DE FRANÇOIS RANNOU.


Pierre oghamique

Je ne sais si cette attitude est partagée par beaucoup mais je me fiche de plus en plus de démêler à propos d’un poème ce qui s’y est écrit de l’intérieur, dans une espèce de « transparence centrale », de ce qui lui est venu de l’extérieur dans une sorte d’abandon, plus ou moins improvisé, à l’imaginaire de la langue. Dans un texte réussi et qui compte, les deux également importent. Et rien de « central » n’y remonte en surface qui n’y ait été en partie invité par cette vivifiante et créatrice déprise apparente de soi que permettent les mille et une sollicitations de l’écriture. Compte pour moi qu’un poème ait une odeur. Qu’il sente ou non la tourbe ou la bruyère. Que je l’éprouve animé de vie propre. Qu’elle soit ardeur ou torpeur. S’enfonce dans les chemins tranquilles d’une campagne solitaire ou s’agite sur les quais bruyants empestant la saumure ou la bière, d’une ville étrangère.


Non que je désire que le poème me décrive. Figure. Il n’y a pas, je crois, de poésie descriptive. Mais j’attends que les matériaux qu’il utilise me rendent au vivant qui renverse. Dans une certaine épaisseur d’être. Qui aille avec le sentiment d’une approche tentée. Toujours recommencée. 

lundi 12 mars 2018

VIE ET MORT D'UN PERSONNAGE. ÉCRIRE, UN CARACTÈRE DE CHRISTIANE VESCHAMBRE AUX ÉDITIONS ISABELLE SAUVAGE.



J’aime et je l’ai dit à de nombreuses reprises tout ce qu’écrit Christiane Veschambre. J’aime aussi sa personne. Et je ne saurais trop recommander à ceux qui ne l’auraient pas encore vraiment fait, de prendre le temps de lire Basse langue, livre qui portant en apparence sur la lecture, plonge en fait assez douloureusement au coeur de toute l’expérience intime que peut avoir une femme de ce qui l’a mise au monde non comme structure close délimitée par un moi connaissable, mais comme puissance d’accueil, toute nourrie de ses manques et de ses incertitudes profondes.

jeudi 9 novembre 2017

BONNES FEUILLES. ÉCRITURE ET PHOTOGRAPHIE. LA BAIE DES CENDRES DE STÉPHANE BOUQUET AUX ÉDITIONS WARM.

Les jeunes éditions Warm m’ont récemment adressé le bien intéressant petit livre qu’ils ont réalisé à partir de textes que Stéphane Bouquet a imaginés en tentant comme elles l’écrivent « d’habiter » des photos de Morgan Reitz. On rapprochera bien sûr cet ouvrage que nous nous empressons de recommander, de cet autre beau livre intitulé Les Oiseaux favorables que nous avons sélectionné pour l'édition en cours du Prix des Découvreurs, qui se présente, comme je l’indiquais dans ce blog, « sous la forme d’un monologue intérieur émanant d’une femme de 46 ans qui sent que pour elle « tout est peut-être fini, périmé, caduque, obsolète » et s’éprouve comme « une longue vibration de solitude qu’amplifient toutes les ondes de douleur environnantes ».
Ce pourrait également être l’occasion pour nos amis professeurs, comme on le leur recommande, de travailler sur l’image et d’étudier la façon dont elle peut venir déclencher des actes d’écriture singuliers mais aussi très fortement personnels.
Nous espérons que la lecture du tout premier texte de La Baie des cendres, accompagné de la photographie qui en a stimulé l’écriture, donnera envie à nos lecteurs de découvrir le reste de l’ouvrage.

Si seulement on pouvait m'indiquer la direction pense-t-elle alors qu'elle s'est égarée dans une ville sans signe distinctif. Nous sommes sur un pont au-dessus de l'eau et le ciel est aussi orange qu'un jus multifruits bio vitaminé et sûrement pour l'occasion enrichi en mangues ou bien sinon la publicité ment. Ce qu'elle voit d'ici, étonnant mais c'est directement le passé ou presque directement le passé. Le problème est qu'elle est fatiguée et qu'il est tellement difficile de tout faire tenir ensemble. Cela danse selon un certain rythme c'est certain mais est-ce le même ? Les arbres plient un peu dans le vent et des nuages défilent et tout ceci serait demeuré Inaperçu dans d'autres circonstances. Par exemple, moins fatiguée ou jeune encore, elle aurait pu éviter les répétitions et les phrases toutes faites et décrire simplement les barges en bois sur le fleuve et même inventer des scènes torrides pour derrière les stores de paille. Disons ces récits de jadis qui contiennent notamment des vêtements imbibés de l'odeur insistante des chevaux. Mais aujourd'hui quelqu'un a dû lui faire une injection de somnifère ou la peinturlurer d'une crème de jour à base de plomb, elle a juste le courage de reprendre des mots déjà entendus : par exemple on raconte qu'un homme voyage furieusement vers toi. Est-il raisonnable d'avoir encore cet espoir pantelant et au reste une bonne âme pourrait-elle lui chuchoter qui et quand et éventuellement où qu'elle ne rate pas derechef le rendez-vous ? Pas dans les environs en tout cas, à moins que le tramway ne consente à arriver et à s'inventer un arrêt que la photo a simplement oublié de figurer et les choses alors auraient enfin cet aspect concret et possible qui permettrait que tout et elle y compris perdure. D'accord, dit-elle, on verra plus tard si jamais elle atteint plus tard grâce à sa capacité sportive à outrepasser l'épuisement comme un coureur saute des haies à toute allure et sans s'affaler. Ce jour-là, les veines de ses paupières cesseraient de vibrionner. Mais en attendant le bateau postal vient d'apponter et c'est la solution miracle. II y avait cette lettre qu'elle n'attendait plus signée de ce prénom rougi comme un cœur qui s'agite. La lettre recommandait avec un flegme quasi bouddhiste : contemple assez longtemps l'agencement des lignes et des couleurs, tu devrais être capable de dénicher l'arrière-coin où se cache la patience récompensée. Un simple baiser d'accueil quand nous serons réunis. Mais où est-ce ? Peut-être devrait-elle finalement se résoudre à demander l'aide d'un tiers ? Auriez- vous l'amabilité etc.

Profitons de l’occasion pour renvoyer aux propos de Stéphane Bouquet dans le dernier numéro de la revue en ligne Secousse, en réponse à la question lancée par les responsables de la revue : La poésie est-elle réactionnaire ? En voici des extraits :

Il est possible donc qu’écrive des poèmes celle ou celui qui a perdu quelque chose, bien qu’elle ou il ignore quoi précisément – et que le poème soit son effort d’autoconsolation. En cela, il y a bien une pulsion réactionnaire qui travaille le fond de la poésie : l’appel d’un retour, quand on n’avait pas bêtement laissé tomber ses clés ou son os. Mais ce qui ne l’est pas, réactionnaire, c’est le chemin qu’il faut inventer pour satisfaire cette pulsion. […]

Le but des poèmes (soyons modestes, des poèmes tels que je les envisage et les écris) est de produire une vie suffisamment vivante pour donner l’illusion que la vie est actuelle, présente, ou quasiment. Que nous y sommes presque, dedans, et non pas exilés. Qu’en fait, il ne nous manque rien : ni un labrador, ni un chêne, ni un Victor. Si bien que pour ce faire il est indispensable de créer d’interminables effets de surprise dans la langue, si la vie est bien – comme je le crois – le sentiment d’inattendu, de décalage qui sort les jours de leurs rails et fait de chaque heure un matin. La langue du poème s’ingénie à produire de la surprise et en cela, qu’on le veuille ou non, elle est condamnée au neuf, non par goût un peu naïf du nouveau en tant qu’il est nouveau, avant-truc et cie, mais parce que le neuf (dans la langue) est la seule façon de réaliser un état (peut-être archaïque) où, pour nous (« nous » collectif, ou au moins duel), quelque chose est toujours intensément de ce monde. 

dimanche 2 juillet 2017

SÉLECTION DU PRIX DES DÉCOUVREURS. MACHINE ARRIÈRE DE SAMANTHA BARENDSON.

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Enfin. Avec un peu de retard par rapport aux années précédentes nous publions aujourd’hui le tout dernier dossier d’extraits consacré aux ouvrages sélectionnés pour le Prix des Découvreurs 2017-2018.

Samantha Barendson propose avec Machine arrière – dont on pourra retrouver une présentation plus détaillée dans un précédent billet - un retour sur les divers événements qui ont marqué son existence, à travers une succession de poèmes simples, apparemment désinvoltes qui sont pour elle le moyen de fixer ses souvenirs tout en les maintenant d’une certaine façon dans la distance que créent par exemple ces anciennes photographies que nous prenons plaisir à regarder même quand elles renvoient à des réalités qui ne furent pas toujours plaisantes.


Bonne chance maintenant à tous les auteurs sélectionnés. En espérant que cette nouvelle édition du Prix des Découvreurs éveillera la même curiosité que les éditions précédentes.

mercredi 28 juin 2017

SÉLECTION DÉCOUVREURS. MOUJIK, MOUJIK, DE SOPHIE G. LUCAS.

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Il est des livres qu’on n’écrit pas sans colère. Non de cette colère furieuse des forcenés mais de cette « triste colère » qu’évoque le poète Alexandre Blok qui monte en soi face aux manquements dont notre société nous fournit régulièrement le spectacle.

Non que nous soyons obsédés par cette façon dont nos sociétés traitent la foule de ceux qu’elle relègue de plus en plus à leurs marges. Dans un monde où des poignées d’hommes peuvent en toute apparente légalité posséder l’équivalent des richesses de tout un continent et où la plupart trouve normal qu’un sportif ou un dirigeant d’entreprise gagnent en un mois plus d’une vie de salaire d’un ouvrier qui risque, sur les chantiers qu’il enchaîne, sa santé quand ce n’est pas sa vie, la misère, si ce n’est au cinéma, ne fait pas vraiment scandale et même si dans nos villes elle s’expose assez clairement, nous savons parfaitement en détourner le regard, lui opposer une sorte d’opacité rétinienne, d’indifférence intime qui n’est sans doute qu’une des conditions du maintien de notre propre tranquillité ou sécurité affectives.

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C’est pourquoi un travail comme celui qu’a mené Sophie G. Lucas, avec moujik moujik que les éditions de la Contre Allée ont eu l’intelligence de rééditer après une première publication en 2010 aux Editions des Etats civils de Marseille, doit être tout particulièrement salué. Précédé par une épigraphe empruntée à Jehan Rictus, ce poète méprisé qui se voulait l’ « Homère de la Débine » et n’hésitait pas à en appeler à « la vaste et triomphante jacquerie, l’assaut dernier et désespéré des masses vers les joies d’Ici-bas, vers la vie heureuse et confortable, l’Art et la Beauté, tous les éléments du Bonheur dont les humbles sont injustement privés et auxquels ils ont droit », l’ouvrage de Sophie G. Lucas s’attache à ce « qu’on voit de nouveau ces hommes et ces femmes de la rue. Qu’on les regarde ». Qu’on se confronte à cette part de vie et de mort que leur corps, le décor dans lequel ils vivent et les mots qu’ils utilisent ont à raconter. À cet insidieux et collectif mépris de la personne qu’ils ont aussi à dénoncer.