Milène Tournier est une jeune femme de 32 ans, titulaire
d’un doctorat en études théâtrales. Ses figures de référence sont le Rimbaud
des fugues puis du grand rêve d’Afrique, l’Antigone antique aussi, qui creuse
avec ses ongles pour « déraciner les lumières ». L’autre
jour, que viennent de publier d’elle les éditions lurlure, est quasiment
son premier livre, le précédent, Poèmes d’époque, publié dans la riche collection
Polder de la revue Décharge qui l’aura fait découvrir, n’étant qu’un livret ne
présentant d’elle qu’une trentaine de pages.
Disons le, il y a quelque chose de l’adolescence éternelle
dans cette parole qui conjugue tout au long de ce livre, un désir infini
d’expansion [1], faisant
continuellement fi des limites couramment admises de notre condition, et un besoin
tout aussi dévorant d’amour, d’attachement, de repli et de protection. Tout ici
jusqu’à la façon qu’a son auteur de passer sans solution de continuité de la
prose au vers, d’émouvoir la syntaxe, d’en déplacer les plis, sans pour autant
chercher à trop s’en affranchir, témoigne de cette nécessité funambule d’accueillir
pour les porter en soi les contraires. Au risque bien sûr de se briser.
En fait, je connais peu, de textes aussi bouleversants que
ces Poèmes de famille, par quoi Milène Tournier nous fait entrer dans
son livre. Et ces quelques pages où se dit, dans l’angoisse profonde d’avoir à
les perdre un jour - source pour elle d’un sentiment de vulnérabilité extrême -
la puissance de son attachement au père comme à la mère, empoigneront, je pense, plus d’un lecteur lassé comme moi des développement convenus qui prolifèrent
sur le sujet.
On m’enterrera sous une autre époque que celle sur laquelle tout à l’heure je suis née. Mes mains ont cherché le visage de ma mère, le trou dans la vitre. Sur les tables à langer officielles ou de fortune, aire d’autoroute, lit d’invité, et pour que ne criât plus ma bouche qui criait, son nez a lu mon front de droite à gauche, de gauche à droite, comme une langue s’indécise. Trente ans durèrent trente ans. Mes bras prennent des bras dans leurs bras le soir, quand la lune prend le ciel. Il y a quelqu’un, précis comme un miracle, entre la lourde vitre du monde et le long trou du moi. Ma mort aura bientôt étalé et rapproché mes dizaines. Les mondes sont de très grands prématurés. J’attends ensemble la fin de la fin du monde.
Maman je sais, un jour tout
disparaît
Comme quand tu descends chercher
la voiture au parking
Et moi j’attends en haut.
[1] On en
prendra pour seul exemple la série des rêves de quarantaine confinée qu’elle
décline dans le dernier ensemble du livre…. Ainsi que la page que nous
proposons de découvrir en extrait.
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