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Peut-être cela ne sert-il plus à rien de commenter ces livres qu’on lit, relit, qui se succèdent, se multiplient, sans que grand-chose autour d’eux change. Sans que le discours global qu’on tient sur la poésie soit moins pollué par les niaiseries, les rodomontades du temps. Je sais que cela fait plaisir aux auteurs de savoir qu’on les a vraiment lus. Chose finalement assez rare. De pouvoir se dire qu’écrire n’est pas seulement pour soi. Qu’on participe un peu par là de la nécessaire et bonne sociabilité des hommes. Qu’on continue ainsi de maintenir ouverts des espaces de relation où autre chose que de la marchandise ou du renseignement s’échange. Mais ce qu’on dit sur les livres de poésie passe si souvent à côté. Et exige aussi tellement du lecteur qui après tout possède aussi de son côté ses propres exigences que de plus en plus je me dis qu’il serait préférable si l’on tient absolument à recommander un livre d’en simplement donner quelques passages à lire.
Bon. L’activité critique est aussi en soi un art. Pas naturellement celui de paraphraser plus ou moins habilement les quatrièmes de couverture ou la présentation des éditeurs, mais de dresser une conscience sensible et réfléchie de lecteur face à un objet de lecture qui fait pour lui figure d’autre. Un autre vers lequel le lecteur se déporte soit pour l’adapter à ses codes soit pour s’y laisser transformer. On peut aussi penser que des communs de cette façon se construisent. Lire Stéphane Bouquet par exemple dont les ouvrages au tout début me hérissaient – hérissaient mon goût – n’aura pas été pour moi qui maintenant le considère comme un des poètes majeurs d’aujourd’hui et prend chaque fois plaisir et multiple à le lire, devenir lui, me reconnaître totalement en lui. Au point d’en vouloir imiter les formes. D’écriture et de pensée. Non. Cela aura été une façon pour moi d’élargir mes représentations, libérer certaines des relations qu’à partir du langage j’entretiens avec le monde. Il faut des mots, des formes, des rythmes, des syntaxes, des tons et des couleurs, pour que le monde vienne à vous, porteur d’un réel plus grand. Et un poète comme Stéphane Bouquet est de ceux, rares, qui font venir à vous plus largement, les choses. Par l’art qu’ils ont de faire vivre la langue, d’en animer librement toutes les composantes pour ramener à la conscience sensible le flux logiquement disparate des matériaux qui affectent plus ou moins directement nos vies.
Peut-être que la poésie représente sur le plan disons philosophique, le moyen par lequel notre conscience réfléchissante parvient à faire tenir ensemble ces deux modalités à travers lesquels nous nous représentons le monde. Celle de la perception sensible d’abord par quoi nous est donné ce sentiment d’être bien présent toujours à nous-mêmes et à ce quelque chose en dehors de nous qui se laisse éprouver, celle de l’élaboration intelligible ensuite qui passant par l’univers commun, partageable de la langue permet la communication. Et c’est l’impression que j’ai lisant Stéphane Bouquet, d’être devant une conscience qui me communique bien quelque chose que je peux plus ou moins aisément et peu à peu comprendre, en langue mais parvient aussi, sans doute par la multiplication des allusions qu’on dira pour aller vite concrètes, à me ramener à l’impression plus directe de l’être là, ici, dans le présent du monde.
Suffit à mon avis de lire ces deux textes dont je propose ici la lecture. Dont le premier d’ailleurs met l’accent sur la relation singulière que le poème tisse bien chez Bouquet entre les choses et la langage. Ce langage comme il écrit qui permet d’enfoncer des pronoms dans la sève des autres visages. Le langage aussi qui permet avec sa relative précision dans les notations domestiques de concrètement renvoyer à notre expérience presque physique de la vie ordinaire. Le tout s’élevant ensuite par l’intermédiaire de la médiation réflexive jusqu’à l’idée développée dans la Cité de paroles, que l’important avec le langage et pourquoi pas aussi le langage poétique c’est de le faire vivre dans l’échange, dans le chaleureux désordre même de l’échange, sans prétendre avec lui rien ordonner, plier, ranger, suspendre, comme à l’intérieur d’une armoire ou sur les fils de nylon d’un tancarville.
D’où la possibilité dans un recueil de poèmes de tout réunir. De tout faire voisiner. Un ensemble disparate d’expériences. De types de vers. De vers avec des proses. De genres littéraires, avec l’accueil ici du conte et du discours critique. La langue du poème est du mouvement. Et si je la vois glisser du côté de la nostalgie, du sentiment d’incomplétude, puis se lancer dans l’évocation d’un futur pas vraiment rassurant, j’aime la sentir le plus souvent s’en remettre, à sa façon apparemment désinvolte, à la bonne grâce du présent. Comme par exemple quand le saint auto-martyrisé des collines proches de Fiesole vient tendre à l’excursionniste une petite laine moutarde, signe qu’enfin au bout d’une journée écrasée de chaleur, la fraîcheur enfin, est revenue.
Tout se tient proclame le titre de ce dernier livre de Stéphane Bouquet. Tout se tient oui quand le poème joue de toutes ses possibilités, pour rejoindre non pas la vérité des choses, trouver le dernier mot d’un réel qui échappe, mais suivre comme il peut le fil, les lignes, mobiles de la vie. Ne vouant sa puissance qu’à nous la faire reconnaître. Et éprouver. Et puis un peu comprendre. Avec chez Bouquet la volonté encore de ne pas trop dramatiser. Les choses ne sont après tout pas si graves. Et même si l’ancien jeune homme qu’il reconnaît être devenu se doute que le futur est rempli de tristesse, on aime le voir se raccrocher à l’idée qu’il existe toujours quelque chose de prévu tout-à-l’heure. Qu’en attendant, se couper les ongles durcis peut devenir une façon comme une autre de remettre le compteur à zéro. Patiente s’exhorte tranquillement Bouquet. Il sera toujours temps d’affronter ce que le temps terriblement nous destine. Et qui déjà s’entend. À travers ce « halètement typique/ d’athlète de fond dévalant le sentier avec un désir/ diluvien de dépasser ».
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