1. Les mots te parlent par erreur. Parole pareille à la fausse face des guérisseurs taillée à même le bois toujours vif de la langue et qui sauve. Ainsi compris dans ton humanité patraque tu attends sans bien savoir ce que cela signifie qu’un peu de l’esprit du monde parvienne à toi te délivre de cette tension que fait l’informe - l’empêchement du vrai - dans les paroles. Incapable autrement de présence. Perdu comme au milieu d’hiver. Dans une maison longue
2. Alors rime à quoi de mettre aujourd’hui bout à bout ces lignes comme des cartes et t’obliger à cette patience quand devant toi tant de vrais livres t’appellent de tout leur poids leur couverture soignée au titre capital qui t’impressionne VIE ET DESTIN DE PROFUNDIS AMERICAE LE GRAND RECUEIL et tu pourrais en rallonger la liste mais non tu te reprends à conduire un peu plus loin ton petit cortège de mots attendant que plus ou moins rapidement et sans que tu en saches jamais la raison leurs figures s’éclairent et justifient que tu ne sois pas avec ceux que tu aimes parti faire courir le chien ou descendu admirer pour la nième fois dans le jardin le blanc déjà des primevères.
3. D’ailleurs est-ce si simple d’écrire simplement sans t’encombrer des précautions dérisoires du style. De te parler désormais comme à toi-même pour n’être plus l’allégorie d’autre chose que d’une pulsion. De ce que Freud appelle dans un livre de 1915 non pas instinkt mais trieb presque la guerre. Un appareil sûrement compliqué de forces toujours au bord de s’accomplir mais sans maîtrise. L’écran sur lequel ainsi tu les dessines n’existant plus dans la surface. En tous cas pas davantage que le tableau devant toi sur sa toile inscrit désormais dans le geste enlevé de l’artiste. Qui ne comptait lui survivant que sur ton œil.
4. Ainsi tu marches sans marcher dans ce poème. Et ce qui marche aussi de toi dans d’autres lignes et te reflète est-il si éloigné que tu te sentes obligé de lui trouver une excuse une justification ? Comme si tu doutais toujours de ta propre réalité extensible. Comme si tu avais besoin d’être seulement quelque chose. De ne marcher toujours qu’en toi tranquillement sur tes lisières. Tenu par quelles bandes cordons ? Qui t’entravent soutiennent. Alternant tes respirations au rythme de 22 mouvements par minute comme autant d’aller-retour de toi à toi. À moins que ce ne soit du monde au monde. Pas comme le croyait Denys l’Aréopagite de Dieu à Dieu. Mais quand même de quelque chose à quelque chose. Qu’on pourrait mesurer sur ta poitrine en centimètres sans que ça donne la réponse. Mais justifie amplement l’existence du mètre. Ou du ruban de couturière.
Georges Guillain
Extraits de Et de l'hiver assez, première partie Inspir, publié par L.D., 2015, avec des peintures de Hélène Durdilly.
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