J’ai eu la chance de voir l’intéressante et instructive exposition réalisée par le Louvre autour de Cimabue. L’exposition est courte n’occupant qu’un assez petit espace mais fournit un merveilleux écrin à cette œuvre magistrale qu’est la grande Maesta conçue pour l'Église San Francesco de Pise et devenue propriété du musée depuis sa confiscation en 1813 par Napoléon.
Comme le disait il y a une vingtaine d’années le peintre Soulages, on ne parle généralement de Cimabue que comme un précurseur de Giotto, rappelant la formule de Dante à son propos qui signale que l’élève s’est très vite emparé de la gloire promise à l’origine à son maître qui sut peut-être le premier libérer la peinture italienne, sinon occidentale, de l’emprise du style grec hérité de la peinture byzantine, en la faisant accéder à un certain réalisme.
Pour comprendre en détail cette évolution que fait opérer à la peinture l'oeuvre de Cimabue on regardera la stimulante conférence de présentation que Thomas Bohl, Conservateur en charge de la peinture italienne du XIIIème au XVème donne de l'exposition par ses soins montée (https://www.youtube.com/watch?v=eN1hAHPXIL8 )
J’ajouterai toutefois ici deux compléments. Le premier que je viens de découvrir sur le net souligne les différences entre Cimabue et Giotto et a le mérite d’insister sur la spécificité du traitement de la couleur et de la recherche finale de ses effets chez Cimabue. Le second reprend les grandes lignes du commentaire évoqué ci-dessus par Soulages qui insiste sur la nécessité de regarder le travail de Cimabue pour lui-même. Non comme une simple étape de l’histoire de la peinture.
« Chez Giotto une puissante abstraction architecturale domine la forme et l’espace. Les masses chromatiques sont définies, certes, par d’intenses graduations de lumière, mais elles sont immobilisées, pétrifiées dans un rythme architectural qui échappe à toute réalité. La couleur n’est pas une vibration environnementale chez lui : elle semble être une matière solide pour les volumes individuels. […]
Chez Cimabue, les masses ne sont pas enfermées dans une abstraction symbolique et immobile, mais semblent se révéler, émergeant de distances irréelles, dans une lumière diffuse. Cette plastique vigoureuse a ramené dans la couleur cette lumière que ses maîtres byzantins avaient irradiée de façon irréelle sur les surfaces. Il en a fait le facteur maximal de sa volonté sculpturale. Mais, toujours soucieux de cette splendeur byzantine, il l’a aussi dispersée partout, dans l’atmosphère où vivent ses formes. Elle vibre, réverbération lumineuse, sur le drapé du trône et ses broderies, sur les voiles de l’Enfant, sur l’ourlet de la robe de la Vierge. C’est un sens ambiant de la couleur et de la lumière, un mouvement plastique-lumineux continu, différent de la géométrie immobile de Giotto. »
Luisa Becherucci, Il restauro della ’Madonna dei Servi’ a Bologna, in Bollettino d’Arte, XXXI, I (juillet 1937), pp. 14-16.
Commentaires de Pierre Soulages, à propos de la Maesta du Louvre, dans une émission de 2001 sur France-Culture :
J'ai choisi de parler de Cimabue, parce que quand j'en entends parler, c'est toujours en le relativisant par rapport à ce qui l’a précédé, c'est-à-dire l'art byzantin, et à ce qui lui a succédé, c'est-à-dire Giotto. On fait de lui une transition, un maillon d'une chaîne. Or, cela va à l'encontre de l'art pour moi. L'art n'est pas une chaîne. Il faut regarder l'artiste pour ce qu'il est.
J'aime la présence de ce tableau. Quand on arrive dans cette salle du Louvre, on voit Angelico, on voit Giotto. Mais la plus forte présence à mes yeux, c'est celle de ce Cimabue, pourtant je ne crois pas beaucoup aux anges, ni à cette vision du paradis. Alors qu'est-ce qu'il se passe ? C'est le pouvoir des qualités physionomiques des formes, des couleurs, et leur organisation qui agit sur ma sensibilité. Ce tableau est un chef-d'oeuvre qui me touche, sans penser et sans passer par l'importance d'une vierge dans sa majesté.
Ce qui frappe, c'est le bleu de la robe de la Vierge, qui est au milieu. Et aussi l'or, qui n'est pas une couleur comme les autres. Cette couleur réfléchit la lumière, et non pas comme un miroir. Le miroir renvoie la couleur. Je travaille sur la réflexion de la lumière avec le noir, et je me rends compte que c'est ce qu'on faisait déjà autrefois, avec l'or.
Pierre Soulages
Ecouter l’émission : https://www.radiofrance.fr/franceculture/pierre-soulages-la-vierge-en-majeste-de-cimabue-est-contemporaine-1105188
Enfin, toujours pour les amateurs on peut aussi visionner le SWAY que j’ai réalisé pour ce blog sur le peintre siennois, lui aussi élève de Cimabue, Duccio di Buoninsegna, suite à un précédent séjour à Sienne. https://lesdecouvreurs2.blogspot.com/2021/10/pouvoirs-de-limage-duccio-di-buoninsegna.html
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