Pour Jean-Marie Perret
Gravure de Hans Burgkmair, vers 1508 représentant les khoekhoes |
Sensible à certaines remarques qu’on aura pu me faire, je
reviens, fidèle à ma manière à la fois concentrique, allusive et indirecte d’envisager,
comme je peux, les choses, au livre de François-Xavier Fauvelle, A la recherche du sauvage idéal, qui m’a fourni
le point de départ de ma récente réflexion sur quelques impostures courantes de
notre poésie. Oui, on ne saurait trop insister sur l’originalité et l’intérêt
de la démarche par laquelle cet ouvrage tente de rendre compte de la réalité d’un
très ancien groupe humain que les aléas de l’histoire auront amené à
disparaître non sans nous avoir laissés construire d’eux une image désolante
qui en dit long sur les carences de notre propre équipement moral.
Partant, à travers le livre de J.M. Coetzee, intitulé En attendant les barbares, de ce qu’il
pense être notre fascination pour tout ce qui incarne à nos yeux « l’étrangeté radicale », c’est par
une succession d’éclairantes régressions temporelles, d’aujourd’hui au tout
début du XVIIIème que F.X.
Fauvelle nous conduit dans son dernier chapitre à partager ce qu’il imagine,
grâce à l’ensemble des sources qu’il a pu rassembler, avoir été, quelque part,
dans la vallée de l’Orange, la vie d’un kraal
(campement) khoekhoe.
Ce que je retiens de ce que l’histoire fit de cette
population d’africains « malencontreusement
placés au mitan de l’une des routes commerciales les plus importantes de
l’histoire de l’humanité », c’est la difficulté qui, face à
l’étrangeté, l’altérité, des manières et des êtres, semble avoir toujours été
la nôtre, à sortir de notre statut de spectateur, pour entrer avec elles dans
une relation plus égalitaire. De sujet à sujet. L’épisode bien connu des
violences tant physiques que symboliques infligées, par toutes les couches de
la société, jusqu’aux savants les plus reconnus, à la malheureuse Vénus
hottentote, Sarah Baartman, devenue pièce de musée, n’en fournit, dans l’exposé
de Fauvelle, que l’expression la plus emblématique.
À ce propos j’imagine, si le sujet l’avait intéressé, le
livre qu’un auteur comme Pierre Michon aurait pu tirer d’une telle figure. L’exemple
de la façon dont il aborde à partir de
ce qu’il sait et imagine de la vie du facteur Joseph Roulin, celle en grande
partie mythifiée de Van Gogh, les pages qu’il consacre dans son livre autour de
Rimbaud à Carjat, ce second couteau
qui s’était rêvé artiste et ne doit qu’à quelques photographies de célébrités
de ne pas avoir sombré totalement dans l’oubli, ou plus significativement
encore celles qu’ils réservent aux premiers bénédictins venus, autour de l’an
Mil, établir leurs monastères dans les îles et les marais de Vendée, oui cela
me fait rêver à la manière dont ce grand écrivain, par la stupéfiante
façon qu’il a de rendre compte, plongeant dans les profondeurs des choses, de leur
caractère muable et incertain, serait parvenu à faire lever dans les mots, puis dans
notre pensée, puis dans notre sensibilité, cette puissante pâte humaine que,
par ses origines et sa destinée, mais aussi son irréductibilité foncière, lui
aurait offerte un être tel que Sarah Baartman.
Mais il y a du Michon, du moins par une certaine
disposition de l’intelligence, dans le soin que F.X. Fauvelle prend de mettre
en évidence, sans rien rabattre de la qualité et de la précision de sa
documentation, le caractère incomplet et à jamais ouvert de son tableau final,
tissant ouvertement les images fantasmées qu’il élabore, des fils qu’il emprunte
à ses diverses sources. Par quoi nous est sinon prouvé, du moins rendu en
partie manifeste, qu’il existe une science ou une connaissance, bonne. Comme il
existe aussi une bonne poésie. Qui se soucie des conditions de vérité ou du
moins d’authenticité dont elle procède. Ce qui n’exclut ni l’invention, ni
l’imagination. Mais relève par son refus de vouloir à jamais enfermer les
choses, d’un respect et d’un souci généralisés mais toujours bien particuliers,
d’être.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire