mardi 8 décembre 2015

« TIRER L’ÊTRE VERS LE VOLUME ». CHRISTIANE VESCHAMBRE : QUELQUE CHOSE APPROCHE.


Elie Lascaux, La Maison de l'homme-plumes
 « Y-a-t-il un concept d’un pas qui vient dans la nuit, d’un cri, de l’éboulement d’une pierre dans les broussailles ? De l’impression que fait une maison vide ? ». Et si c’était justement de la capacité qu’elle possède, hors concept, comme le suggère Yves Bonnefoy dans les Tombeaux de Ravenne, de nous amener à sentir, éprouver, tout ce qui du fond, habité, de notre conscience, déborde notre pouvoir de « représentation », de « définition » du monde, que la poésie, une certaine poésie – d’ailleurs pas la plus répandue de nos jours – restait et restera toujours indispensable pour une partie d’entre nous.

Non. Il n’est pas vrai que la poésie soit faite pour nous permettre de nous exprimer.



Car nombreux et de plus en plus, on le voit malheureusement chaque jour, sont ceux qui préfèrent la séduction des formules simples, des mots d’ordre arrêtés, des discours réducteurs, à la suspension de toute certitude, la considération de l’énigmatique fragilité de leur présence dans un monde dont on dirait qu’ils ignorent à quel point il reste, devant eux, terriblement ouvert. Chaque jour pourtant la science, les sciences, nous en disent un peu plus sur l’extraordinaire complexité de l’univers, les mécanismes et les chimies de notre cerveau, les aléas les plus étonnants de l’histoire, tous ces miracles imbriqués qui font que nous sommes aujourd’hui présents sur cette terre. Pianotant sur un clavier d’ordinateur. Contemplant par la fenêtre des jeux d’oiseaux parmi les arbres. Songeant en même temps que tout cela peut et finira d’ailleurs par disparaître.
Non. Il n’est pas vrai que la poésie soit faite pour nous permettre de nous exprimer. D’extérioriser par l’écriture une intériorité qu’elle n’aurait qu’à traduire. La poésie est au contraire attente. Attente de quelque chose. Qui vient à la rencontre. Et avec quoi elle tente de faire un peu parole. Si les mots qu’elle hasarde, les figures qu’elle aventure, s’en révèlent heureusement capables. Si l’accord se fait dans cet entre-deux de la présence qui unit l’être au monde.
Le poète n’est pas celui qui parvient à débusquer l’invisible, soulève le rideau qui nous cache les choses mais bien celui qui, comme l’avait bien pressenti Kant, nous arrachant aux évidences trompeuses nous ramène à l’indicible, refait résonner en chacun le sentiment de l’étrangeté de sa présence élargie au monde. Délivrée de ses liens d’habitude. De ses emplois circonscrits de surface.

Ni élégies ni odes, ces poèmes s’appliquent à rejoindre cet espace incertain où la parole réunit à tout ce qui renverse. Ou bouleverse.


Et c’est ce que j’aime dans les derniers poèmes publiés de Christiane Veschambre significativement intitulés Quelque chose approche. Ni élégies ni odes, ces poèmes s’appliquent à rejoindre cet espace incertain où la parole réunit à tout ce qui renverse. Ou bouleverse. Que ce soit la chaleur d’un corps mourant qu’on ne peut totalement accompagner, l’imagination des quelques grammes que pèsent les poumons d’un passereau qu’on imagine libre du poids d’enclume que fait parfois la vie, l’odeur impossible à dire des framboises le long d’un sentier, la transformation en profondeur des paysages qu’on a connus, une promenade autour d’une île, tout ce qui, à la fois, nous fait « vaste et ajusté ».

Les poèmes de Christiane Veschambre sont dépourvus de formules. Chacun isolément – dans ses lacunes et sa réussite propres – invente sa réponse à une circonstance, une proposition singulière que la vie lui a faite. Une vie dont les couleurs sont celles un peu grisées, mélancoliques d’une femme que son vieillissement peut-être assombrit, qui sait la douleur, et la perte et l’exil, mais sait garder encore sa « joue sur l’épaule du vivant», assemblant patiemment ses petites surfaces de mots pour en faire volume. Et mobile maison. 

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