mercredi 16 décembre 2015

AGIR DANS L’INCERTITUDE. AUTOUR DE VOYAGE À TRAVERS LES CLIMATS DE LA TERRE DE GILLES RAMSTEIN.

La Création L.A. Demarne, 1729
Je viens de terminer la lecture – passionnante – d’un livre de Gilles Ramstein consacré à l’histoire des climats de la terre.  Un voyage d’un peu plus de onze milliards d’années qui conduit du premier pilonnage subi par le disque primitif, entraînant l’apparition des océans, jusqu’à leur disparition complète puis à l’absorption de notre planète par la géante rouge qu’à ce moment sera devenu le Soleil. Spécialiste de la modélisation du climat au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, Gilles Ramstein est un scientifique pédagogue qui malgré la complexité des phénomènes dont il essaie de rendre compte, nous permet d’un peu mieux comprendre les phénomènes dont sommes aujourd’hui les acteurs plus ou moins inconscients ainsi que les potentielles victimes. En même temps, il ne cache rien du caractère encore bien incertain de la plupart de nos connaissances et des controverses qui animent toujours les milieux scientifiques face à l’extraordinaire diversité des interactions chimiques, physiques, biologiques et mécaniques qui président à la définition des climats successifs de la terre. 

De telles incertitudes, toutefois, ne sauraient légitimer pour lui, la suspension de toute action. Au contraire. Comme chacun pourra le lire dans l’extrait que nous proposons ci-dessous, Gilles Ramstein attire notre attention sur le fait qu’il est normal pour les hommes d’agir dans l’incertitude et qu’il est impératif aujourd’hui de le faire si nous voulons remédier, entre autres, à cette libération massive de CO2 que la révolution industrielle a produite dans l’atmosphère. Car si l’état actuel de nos connaissances ne nous permet pas de définir avec une totale précision le scénario que les modifications induites par l’homme provoquent sur le climat et par voie de conséquence sur les conditions précises de l’habitation de la terre, ces connaissances sont toutefois assez grandes pour nous faire comprendre qu’elles ne peuvent être que catastrophiques pour l’avenir de l’humanité, si rien n’est fait pour en réduire ou en contrebalancer l’impact.


COMMENTAIRE : SUR ENSEIGNEMENT ET CERTITUDE

Face à la complexité de plus en plus grande des situations auxquelles nous sommes confrontés, nous ne pouvons donc compter sur aucune certitude. Et il est désormais loin le temps – du moins dans les sociétés occidentales qui sont les nôtres – où dogmes, vérités révélées, mots d’ordre partisans suffisaient à éclairer le chemin et décider des actions à entreprendre. On voit les effets pervers d’une telle réalité qui jettent les esprits les plus faibles vers les discours simplificateurs qui les manipulent et conduisent les esprits prétendus forts vers une sorte d’universel scepticisme et l’abstention de tout engagement face aux problèmes de plus en plus pressants qui se posent à différents niveaux du monde.

Or ces problèmes, ces questions nous requièrent. Et ne se résoudront pas d’eux-mêmes. Il nous faut donc apprendre et de plus en plus à nous adapter à la nouvelle et dérangeante complexité des choses. À l’école, si tout doit être fait pour réduire la part des complications inutiles, peut-être importe-t-il que l’enseignant ne cherche pas toujours – comme il y a, me semble-t-il tendance, à ramener la complexité du réel à des schématisations simplistes. Et s’il est toujours important et nécessaire de définir, sans doute est-il aujourd’hui plus nécessaire encore de s’efforcer de faire comprendre que la définition n’est qu’un outil de pensée qui n’a pas sa fin en elle-même et ne saurait emprisonner dans ses mailles une réalité qui toujours la déborde.

L’enseignement de la littérature - qui ne saurait trop s’accommoder de définitions excessives, qui manifeste à quel point il se produit constamment du jeu dans la pensée, dans la langue qui la sous-tend et fait beaucoup plus que la contenir, la provoquant de tous les possibles conjugués de la lecture - pourrait être cet espace où l’esprit fait l’apprentissage de l’incertitude, s’ouvrant aux possibles du sens, à la construction d’hypothèses, aux confrontations de points de vue, aux élargissements réciproques. 
En ce sens je crois personnellement que l’enseignement de la littérature loin de s’opposer à celui des sciences en constitue en fait l’un de ses plus utiles compléments, une manière à nulle autre pareille de développer cette forme d’attention et de curiosité qui cherche toujours derrière la forme apparemment arrêtée et complexe des choses à progresser dans leur interprétation et leur connaissance profonde. À la condition bien entendu de ne pas concevoir cet enseignement comme une somme de connaissances refermées sur elles-mêmes, une histoire dont chaque terme serait par avance posé. La simple illustration de vérités établies, noir-sur-blanc, dans les livres du maître.

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