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Depuis quelques années je n’écris plus ou presque plus de poésie. Bien des raisons à cela. Bonnes à la fois et mauvaises. Que je n’ai pas l’intention de communiquer ici. Me reste toutefois non le plaisir mais la chance de pouvoir relire certains des textes que j’ai pu un jour publier et de me rendre compte qu’ils sont toujours vivants. Vivants, c’est-à-dire qu’ils font plus que conserver la puissance de signification que la forme que j’aurai arrêtée d’eux leur a autrefois donnée. Ce pouvoir, ils continuent de l’élargir et de l’approfondir en moi.
Ainsi les deux poèmes que j’entends aujourd’hui partager, extraits de parmi tout ce qui renverse. Dans la dernière partie du livre qui participe à sa façon de sa signification d’ensemble, j’écrivais que j’avais placé côte à côte dans ces deux pages une évocation discrète de la fin du poète russe Ossip Mandelstam et des évènements qui continuent de déchirer le Proche orient.
Janvier 2009, écrivais-je, marque le début de l’opération Plomb durci, à Gaza. Fin novembre 2012 le monde s'inquiète à nouveau d'un recommencement de ce drame avec la mise en mouvement de l'armée israélienne contre la même population.
Je précisais également que dans le poème intitulé Trop loin de la mer noire, j'avais choisi de conserver malgré le côté en apparence un peu surréalisant de l'image, le mot nuque qui vient d'un mot arabe, nuqrah, qui signifie "cavité, creux". Ce texte s'intitulait au départ Fosse commune et comprenait la mention du nom du lieu où fut sans doute jeté le corps de Mandelstam : Vtoraya Retchka.
Qui ne voit que ces fosses sont aujourd’hui de plus en plus remplies. Et nous toujours plus impuissants face au déferlement de tout ce qui renverse. Saccage. Et assassine.
Si l’on excepte certaines voix majeures qui continuent de se faire entendre, encore que d’un public qui me paraît restreint, nous voyons bien que la poésie s’écarte désormais de plus en plus de ce travail de langue mais aussi d’oreille, de rythme ou de doigté par lequel elle ouvre à autre chose qu’à l’idée simple ainsi qu’au sentiment vulgaire. Il faut dire qu’on exploite tellement aujourd’hui le mot qu’il reste de moins en moins de substance à la chose. Poésie placébo. Poésie Fierabras. Programmatique. Qui se veut volcanique. Résistante. Et bien sûr sauvera le monde !!! Comme on est loin là de cette parole possédant figure et souffle qu’évoque Paul Celan dans son éloge de Büchner, et qui « brisant ses fils » cesse de n’être qu’hommage « aux badauds ainsi qu’à l’histoire sur ses grands chevaux » pour s’appliquer à advenir comme acte existentiel et rare, unique, d’inquiète liberté.
Car si la poésie part bien d’un sentiment comme d’une expérience du monde qui en nous fait pression, son passage par la langue, la langue travaillant à travers nous à se trouver forme, l’amène à ouvrir un espace de signification, de résonance qu’aucune idée ne peut traduire, étant comme disait à sa façon Rimbaud « de l’âme pour l’âme » et de façon plus parlante sans doute aujourd’hui « de la pensée accrochant et tirant ». Oui tirant. Nous tirant. Et retirant sans cesse. Et toujours au présent. Et toujours en avant !
Un flux. Un flot.
Qui nous ramène encore et toujours plus au monde. Que jamais pourtant nous ne pourrons enclore.
C’est cela que la pratique de la poésie m’aura, depuis longtemps, appris à reconnaître. Mieux que bien des Maisons et des Salons qui font parade de son nom.
Merci pour ce "papier" fort - en particulier tout ce que vous dites sur "le travail de langue" qui se perd, j'en fais le constat très souvent et pourtant... c'est essentiel
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