« Cuisiniers de
l’image » c’est ainsi que Jacques Darras qualifie les poètes, dans le
merveilleux petit ouvrage qu’il consacre aujourd’hui à la gaufre. La gaufre,
comme il dit, vagabonde. Sa gaufre
pourrait-on dire aussi, de paroles, si l’on ne craignait avec ce clin
d’œil à la figue de Francis Ponge, cet ancien normand retiré sur les hauteurs
du Bar-sur-Loup (Alpes maritimes), de défigurer, courant d’emblée au Sud, à ses
vins, ses huiles et ses à-plats solaires, le puissant imaginaire du blanc, du
beurre, de la levure et de la bière, tout cet imaginaire convaincu d’Européen
du Nord, qui depuis si longtemps anime notre auteur.
Composé à la demande des éditions Cours toujours, une petite maison associative de
l’Aisne, sise entre Château-Thierry et Crépy-en-Valois, entre les ombres chères
donc de La Fontaine et de Gérard de Nerval, ce nouveau livre de Jacques Darras,
est livre de recettes où le lecteur certes, apprendra à travers force « digressions, égressions, régressions »
à réaliser une douzaine de gaufres bruxelloises mais découvrira surtout, s’il
ne le sait déjà, bien entendu, comment pétrir, les unes par les autres, toutes
les figures de la langue et les mille et une matières de connaissance que
rassemble une vie, pour élaborer une forme sans pareille de poésie,
nourrissante et délectable. Qui aurait ce goût, si nécessaire aujourd’hui, de l’intelligence
et de la culture.
Vagabonde, l’écriture
de Darras nous emporte d’abord en effet, par autoroutes et chemins, par fleuves
et rivières, de villes en villages, de fermes en musées dans cette
extraordinaire grande région à la fois historique et mentale dont il aura
appris à bien de ses fidèles lecteurs à découvrir la carte. Mais, de son bourg
natal du Ponthieu et de celle patronyme d’Arras à la Vienne autrichienne en
passant par Bruxelles et Liège, et la Meuse, l’Escaut, les grandes plaines
betteravières aussi qui recouvrent les bords hauts du bassin parisien, Jacques
Darras fait parcourir à son lecteur des territoires qui sont en fait tout
autant d’espace que de temps. Historiques comme biographiques. C’est que
travaillant d’inimitable façon le commun et le singulier, l’individuel et le
collectif, l’hier et l’aujourd’hui, le texte qui jamais n’aura mieux mérité son
nom, cherche à redonner à tout, lien, compréhension et racines. Retissant à sa
façon notre humaine et lointaine condition. Avec ses permanences et ses
évolutions.
De cette opération subtile, la gaufre pourrait n’être ici
qu’un prétexte. Or elle est pour Darras miroir. Ou comme on disait autrefois, mirëor. Elle qui voit ici se raconter non
plus ce mélange d’ingrédients simples sensé produire l’aérien gâteau que l’on
sait, mais s’élaborer tout un pétrissage encyclopédique et parfois curieux
d’associations gourmandes à travers lesquelles vient se lire tout le devenir
poète de l’auteur. Qui, par ses propres tours de main, ses gestes accomplis de
parole, travaille, amalgame, fond puis transmue en belle pâte d’écriture, les
matériaux divers de sa vie et de son expérience. Pour en faire image poétique du monde.
Mais il n’est pâte qui n’exige son feu. Ce feu qui lui
communiquant sa consistance et sa couleur dernières, la rendra croustillante et dorée. Prête enfin à se voir accueillie en
bouche. On savait bien jusqu’ici, depuis l’entame en fait de son cycle
phénomène de la Maye, que Jacques Darras était homme de l’eau. Ce livre ici
nous montre qu’il est aussi de feu. Homme-éléments en fait chez qui toutefois,
me semble-t-il, prime l’ardeur. La brulure. Rien de froid. Rien de cru chez
Darras. Savoirs, souvenirs, expériences, tout chez lui est comme passé à la
flamme d’une rayonnante et généreuse sensibilité, d’un imaginaire aussi de la
langue qui lui font imprimer sa marque sur le monde comme les mâchoires de
fonte du gaufrier, à la chaleur du foyer, impriment leur marque sur la pâte
devenant ainsi plus que livre, « Bible symétrique
d’elle-même » qu’on lira « bouche
ouverte. Comme d’une prière à l’envers ».
Arrêtons là sur ce livre. De peine de le voir refroidir.
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