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« Apollinaire depuis 2 mois
rumine les cadavres avec Robert, tout le détail hideux des souffrances de
guerre, la famine des camps, le froid dans la boue glacée des tranchées. Il «en
met», il en ajoute — peut-on en ajouter ? Il n'en veut pas être retiré consolé.
Deux mois qu’il barbote dans l'horreur avec Robert, au point que je le blâme de
ne vouloir considérer que la souffrance physique et d'y plonger sans trêve. »
Rien ne permet de douter de ce
que rapporte ici dans son Journal en date vraisemblablement de novembre
1914, Aurel, l’épouse du journaliste Alfred Mortier, avec laquelle Apollinaire,
une fois engagé échangera quelques lettres. Oui, Apollinaire fut profondément affecté
et cela bien avant même de les découvrir au front, par les horreurs et les
souffrances engendrées par la guerre.
S’il n’en fallait qu’une preuve
complémentaire, nous pourrions prendre ce passage d’une lettre à A. Billy du 3
juillet 1915 où il lui parle des corps explosés, des morceaux de main utilisés
comme porte-manteaux et écrit : « Si tu voyais ce pays, ces trous à hommes, partout,
partout ! On en a la nausée, les boyaux, les trous d’obus, les débris de projectiles
et les cimetières. […] On est si près Français et Boches que l’emploi des
bombes est démesuré et qu’il n’y a guère besoin de montrer sa tête pour être tué
».
S’il est ainsi peu discutable
que l’homme Apollinaire se soit montré vivement affecté par les atrocités dont
il fut, en première ligne, le témoin, reste que la façon dont le poète s’empara
de ces réalités pour les intégrer à son oeuvre, a posé longtemps question au
cours du siècle passé. Certains parmi les meilleurs n’hésitant pas à faire reproche
à l’auteur des Calligrammes d’avoir, sinon fait l’apologie de la guerre,
du moins, comme l’affirma André Breton dans ses Entretiens, de n’avoir
pas su affronter dans ses poèmes «les pires réalités de l’époque ». Et
de s’en être détourné au bénéfice d’une cynique activité de jeu.
Dans son étude sur les Poètes
de la Grande Guerre et surtout dans sa superbe biographie, sobrement
intitulée Guillaume Apollinaire, Laurence Campa fait largement justice
de ces accusations, en nous faisant comprendre à quel point, en dépit de tout
ce qui, bien entendu, pouvait peser sur lui en termes de discours aliénants,
Apollinaire sut s’élever au-dessus des clichés lamentables auxquels
sacrifièrent la plupart de ses contemporains poètes.
Il nous semble, quant à nous,
important de souligner le caractère « souverain » de la poésie de guerre
d’Apollinaire et de témoigner de sa dimension proprement poétique au sens où,
sans du tout chercher à en masquer les réalités objectives et terribles, elle
se refuse au témoignage naturaliste et entreprend, suivant en cela la leçon de Nietzsche,
d’en affronter le chaos, avec toutes les ressources d’un art qui par-delà le
bien et le mal, la souffrance et la joie, l’espoir et le regret, se veut une
stimulation permanente et toujours renouvelée, surprenante, de la Vie !
POUR ALLER PLUS LOIN
Et disposer, à côté de divers
textes essentiels d’Apollinaire, d’importants documents dont plusieurs à
caractère iconographique, nécessaires à une bonne compréhension des choses, on
peut télécharger notre dossier dont nous reproduisons ici le sommaire.
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