mercredi 3 octobre 2018

UN AMBITIEUX POÈME DU MONDE. TERRE COURTE DE MARTIN WABLE.


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S’il est une aventure qui n’en finit pas d’interroger, plus ou plus sourdement, l’imaginaire de l’écrivain, c’est bien celle toujours à reprendre, recommen-cer, poursuivre, de la langue à la recherche de ce qui quelque part la fonde. L’anime. Ou la surprend. Entreprise indébrouil-lable tant sont multiples les sons et les images. Les mondes. Dans leurs commerces flamboyants. Et souterrains. Leurs crises. Leurs vraies ou fausses révélations… Les flux d’altérités, d’identités, qui de partout traversent. Chargent. Surchargent. Dévient après les routes vers leurs pentes. Broient les essieux. Faussent les roulements.




C’est apparemment dans cette aventure que le jeune Martin Wable, s’est, à son tour, lancé, nous proposant avec Terre courte, aux éditions du Cygne, de suivre au long d’une petite cinquantaine de pages, ses façons bien à lui de « se frayer dans les voies, dans l’immensité, dans le tracé des choses » - qu’elles soient d’espace et de temps, mais de matières aussi, de chiffres et d’histoires - de libres et parfois déroutants passages, pour « écouter » ce que véhicule cette langue infinie du monde, « tout ce qu’elle transporte, parmi les hommes ».  Et il y a, pour moi, plaisir et réconfort, à voir d’audacieux jeunes gens d’aujourd’hui manifester le projet de réaliser à travers leur écriture autre chose que le petit tableau mille fois réitéré de leur plus ou moins authentique et par ailleurs bien compréhensible difficulté à vivre. Et ne pas jouer de ces stéréotypes de style et de pensée qui font mode, sinon mouche, auprès des publics pas toujours bien regardants et bien informés de leur temps.



Placé sous la cosmique bannière de cette Géopoétique, hissée à la fin des années 70 par le poète d’origine écossaise Kenneth White pour opposer aux intellectualismes dévitalisés et excessivement morcelants de l’époque, une approche du monde et de la totalité qui en restitue la présence en s’ouvrant à tous les savoirs comme à tous les champs d’expérience, le travail de Martin Wable ne laissera pas indifférent. Fait d’épaisseurs multiples, porteur d’une forme d’élan critique s’accommodant mal des résignations douces pourtant aux inclinations des médiocres, ce travail présente une elliptique densité qui donnera peut-être toutefois à certains l’impression de s’enivrer davantage de ses évidentes facilités de style que de sa relation aux dures et complexes réalités du monde auxquelles on le sent pourtant bien accroché. C’est vrai qu’habité parfois qu’il semble, plus d’un souci d’image, de rythme ou bien d’effet, que d’une exigence solide de creusement et de pensée, ce travail ambitieux, qui reste en grande partie programmatique, peut séduire plus que vraiment nourrir. Ce serait oublier un peu vite qu’en poésie, image, musique et pensée avancent toujours de pair. Et que la pensée du poète n’est pas d’abord ordonnatrice. Mais avant tout exploratrice. Et que ce n’est jamais par sa seule clarté, ni son simple projet qu’elle touche. Mais par l’étendue de sa résonance. La profondeur jamais totalement consciente, de son retentissement.



C’est pourquoi, je crois, il faut faire crédit à Martin Wable de son entreprise. Et ne pas hésiter à l’accompagner, sinon dans son effort de réentendre « dans le sablier de la mémoire » « la rumeur éclatante de tous les véhicules qui s’agglomèrent, marchent, galvaudent, courent et s’inscrivent dans les vents », pour y faire résonner la bruyante et furieuse épopée de l’Histoire, qui peut-être ne signifie effectivement rien, du moins dans son légitime et plus modeste désir, par exemple, de « comprendre ce qui lie les plages aux océans, les dunes aux montagnes et les marais aux champs. En lisant du plus près la résistance. En permettant aux détails de briller, en distinguant les sommets un jour de temps froid et clair. En écoutant fondre le croustillant du sol, le sablé de la croute terrestre sous les pas, et suivant sur la pointe des pieds les sources. »

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