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S’il est une aventure qui n’en finit pas d’interroger, plus
ou plus sourdement, l’imaginaire de l’écrivain, c’est bien celle toujours à
reprendre, recommen-cer, poursuivre, de la langue à la recherche de ce qui
quelque part la fonde. L’anime. Ou la surprend. Entreprise indébrouil-lable tant
sont multiples les sons et les images. Les mondes. Dans leurs commerces flamboyants.
Et souterrains. Leurs crises. Leurs vraies ou fausses révélations… Les flux d’altérités,
d’identités, qui de partout traversent. Chargent. Surchargent. Dévient après les
routes vers leurs pentes. Broient les essieux. Faussent les roulements.
C’est apparemment dans cette aventure que le jeune Martin
Wable, s’est, à son tour, lancé, nous proposant avec Terre courte, aux éditions du Cygne, de suivre au long d’une petite
cinquantaine de pages, ses façons bien à lui de « se frayer dans les voies, dans l’immensité, dans le tracé des
choses » - qu’elles soient d’espace et de temps, mais de matières
aussi, de chiffres et d’histoires - de libres et parfois déroutants passages, pour
« écouter » ce que véhicule
cette langue infinie du monde, « tout
ce qu’elle transporte, parmi les hommes ». Et il y a, pour moi, plaisir et réconfort, à
voir d’audacieux jeunes gens d’aujourd’hui manifester le projet de réaliser à
travers leur écriture autre chose que le petit tableau mille fois réitéré de
leur plus ou moins authentique et par ailleurs bien compréhensible difficulté à
vivre. Et ne pas jouer de ces stéréotypes de style et de pensée qui font mode, sinon
mouche, auprès des publics pas toujours bien regardants et bien informés de
leur temps.
Placé sous la cosmique bannière de cette Géopoétique, hissée à la fin des années
70 par le poète d’origine écossaise Kenneth White pour opposer aux
intellectualismes dévitalisés et excessivement morcelants de l’époque, une
approche du monde et de la totalité qui en restitue la présence en s’ouvrant à
tous les savoirs comme à tous les champs d’expérience, le travail de Martin
Wable ne laissera pas indifférent. Fait d’épaisseurs multiples, porteur d’une
forme d’élan critique s’accommodant mal des résignations douces pourtant aux inclinations
des médiocres, ce travail présente une elliptique densité qui donnera peut-être
toutefois à certains l’impression de s’enivrer davantage de ses évidentes
facilités de style que de sa relation aux dures et complexes réalités du monde
auxquelles on le sent pourtant bien accroché. C’est vrai qu’habité parfois
qu’il semble, plus d’un souci d’image, de rythme ou bien d’effet, que d’une
exigence solide de creusement et de pensée, ce travail ambitieux, qui reste en
grande partie programmatique, peut séduire plus que vraiment nourrir. Ce serait
oublier un peu vite qu’en poésie, image, musique et pensée avancent toujours de
pair. Et que la pensée du poète n’est pas d’abord ordonnatrice. Mais avant tout
exploratrice. Et que ce n’est jamais par sa seule clarté, ni son simple projet
qu’elle touche. Mais par l’étendue de sa résonance. La profondeur jamais
totalement consciente, de son retentissement.
C’est pourquoi, je crois, il faut faire crédit à Martin
Wable de son entreprise. Et ne pas hésiter à l’accompagner, sinon dans son
effort de réentendre « dans le sablier
de la mémoire » « la rumeur
éclatante de tous les véhicules qui s’agglomèrent, marchent, galvaudent,
courent et s’inscrivent dans les vents », pour y faire résonner la bruyante
et furieuse épopée de l’Histoire, qui
peut-être ne signifie effectivement rien, du moins dans son légitime et plus
modeste désir, par exemple, de « comprendre
ce qui lie les plages aux océans, les dunes aux montagnes et les marais aux
champs. En lisant du plus près la résistance. En permettant aux détails de
briller, en distinguant les sommets un jour de temps froid et clair. En
écoutant fondre le croustillant du sol, le sablé de la croute terrestre sous
les pas, et suivant sur la pointe des pieds les sources. »
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