Ne nous laissons pas prendre à ce que nous inspire a priori ce joli pot de citronnier qui figure sur la couverture du livre du journaliste, poète, palestinien, Tarik Hamdan, que viennent de publier les éditions LansKine. Ceux qui connaissent un peu la culture du citronnier savent d’ailleurs à quel point elle réclame au départ de soin, ayant à la fois besoin de soleil et d’eau. Ce qui la rend difficile. Difficile comme la condition d’un palestinien qui, né du fait de l’«occupation» israélienne, en Jordanie, se retrouve, après des études au Caire, « transplanté » à Paris où lui a été accordée pour finir la citoyenneté française[1].
Un poème, significativement intitulé Gouvernements – notez bien le pluriel – évoque allégoriquement cette douloureuse histoire qui se termine par l’arrachage par les autorités locales de ce pot de citronnier que l’auteur, voulant lui donner une chance de mieux s’épanouir, a fini par planter dans un jardin public. J’étais il y a quelques jours à Lille pour assister à l’émouvante représentation de Saïgon, la pièce de Caroline Guiela Nguyen, évoquant le profond bouleversement occasionné dans la vie de certains vietnamiens obligés de quitter leur pays, leur famille, par le départ imposé des français qu’ils avaient eu le tort, peut-être, de soutenir. Je me souviens aussi de longues discussions avec la regrettée poète syrienne Fadwa Souleymane, qui me disait à quel point son pays lui manquait… Le monde est plein de ces hommes et ces femmes que la folie meurtrière et la soif de pouvoir de quelques-uns, encouragées par le fanatisme bien entretenu de leurs partisans, pour le plus grand profit aussi des marchands d’armes et des industries d’armement, auront privés de leurs droits les plus fondamentaux. Comme d’habiter en paix sur leur terre. De vivre près de leur famille. Et de pouvoir envisager leur avenir avec confiance et clarté[2].
La poésie de Tarik Hamdan par quoi se fait entendre la voix blessée et de plus en plus désillusionnée[3] d’un peuple pouvant se dire, je crois, à juste titre lésé, est une poésie assurément personnelle mais dont le « je » sur lequel elle s’appuie ne peut faire abstraction des conditions politiques, sociales, économiques, par lesquelles il se trouve, avec d’autres, malheureusement défini. Provoquant douleur et grincements de dents. Il y a de l’amertume et pas mal de ressentiment dans ces textes qui s’écrivent on le verra dans la perspective de la future catastrophe finale, l’ultime Nakba, où la terre, du fait du dérèglement général qui l’attend, ne sera plus que cendres et gravats. Plus cette fois pour les seuls habitants de Gaza. Mais pour l’humanité tout entière[4].
Alors je sais, qu’en quatrième de couverture, afin que nul n’en ignore, le poète traite de « voleurs » ceux qui lui ont pris sa maison, mangent sa nourriture et dorment dans son lit. Transparente mise en cause d’une communauté, d’un peuple qui de son côté, se raconte, bien entendu, une tout autre histoire. Alors s’il y a quelque chose à apprendre dans ce livre justement intitulé Exercices d’apprentissage, c’est que si l’on veut qu’un jour puisse être mis un terme aux souffrances des uns comme aux angoisses des autres, il faudra bien se montrer capable d’entendre et de comprendre un peu mieux la façon dont chacun éprouve tout au fond de lui-même, sa propre condition. Écouter mieux, non pour l’épouser, mais en reconnaître l’intime et douloureuse présence, cette vibrante revendication que la poésie seule peut-être encore à ce jour, est capable dans sa vérité propre, d’exprimer.
[1] Il faudra lire justement le poème intitulé Questions de citoyenneté (p.43) où l’auteur évoque son passage en mairie, à côté de beaucoup d’Arabes, de Russes, d’Asiatiques et d’Africains, pour se voir décerner cette fameuse nationalité. Prétexte pour lui à se poser une multitude de questions – le livre est en fait plein de questions - : « L’une d’entre elles concerne la colonisation et son héritage, une autre le soutien des dictateurs, une troisième les ventes d’armes et ainsi de suite…. // Devrais-je me tracasser de tout cela/ Ou profiter du saint-nectaire, du côtes-du-rhône, des volcans d’Auvergne et des jardins de Versailles ? »
[2] Confiance et clarté dont un poème comme En vain (p. 41) qui évoque le cauchemar d’un homme enfermé dans une forteresse « dont la porte de sortie mène à des couloirs souterrains qui s’ouvrent les uns sur les autres/ Et où les directions se brouillent/ si bien que chaque sortie devient une entrée/ Et chaque entrée une sortie », montre à quel point elles sont loin d’habiter la conscience de l’auteur.
[3] Voir La tyrannie de l’espoir (P. 31) ou Le temple de la perte (P. 37) qui évoque la façon dont pour l’auteur l’espoir est bien vécu comme un leurre, permettant seulement aux plus misérables de supporter la condition qui leur est infligée. Voir aussi avec quel apparent cynisme l’auteur, qui est aussi journaliste, évoque les salles de rédaction (P. 33). Pour Tarik Hamdan, l’information étant aux mains des grandes agences internationales qui fournissent la même matière à toutes les rédactions ne sert à ceux qui s’en abreuvent qu’à « faire semblant de savoir » (Voir Les nouvelles du matin, P. 29)
[4] Ce qui résoudra de fait aux yeux de l’auteur tous les problèmes, persuadé qu’il est (Voir Paix P. 21) que la paix n’est pas possible entre faibles et puissants.
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