Le prénom Robinet serait un diminutif affectueux de Robert qui signifie gloire et renommée. Il n’est plus guère utilisé mais fut à la fin du XVème siècle le prénom d’un peintre enlumineur de talent, Robinet Testard dont j’ai pu en partie découvrir l’œuvre sur Gallica où se feuillettent librement quelques-uns des ouvrages par lui illustrés, tel le Livre des échecs amoureux moralisés, livre d’éducation princière, d’Évrart de Conty, médecin personnel du roi de France Charles VI, dans lequel le jeu d’échecs fait figure d’allégorie de la vie où chaque décision peut mener le joueur à la victoire comme à la défaite. Le verso du folio 136 de cet ouvrage qui en compte plus de 400 montre l’image étonnante d’une Proserpine quelque peu délabrée[1] se tenant devant la porte des Enfers représentée sous la forme d’une tête fantastique de hibou[2], à côté de son époux Pluton. Cerbère se tient à leurs pieds. Un lugubre concert monte des tristes personnages qui les entourent et que leurs instruments, harpes, psaltérion (?) n’empêchent apparemment pas d’entendre les ricanements diaboliques des démons occupés dans un coin à tourmenter les damnés. Je ne sais quel effet pouvait produire ce type d’image sur la sensibilité des gens de cette époque. Aujourd’hui elle ne nous retient plus que par son pittoresque. Et c’est ainsi que je la vois. Comme une image qui ayant perdu l’essentiel sans doute de son pouvoir tire en revanche son intérêt de l’attraction qu’exerce toujours sur nous ce passé autre qui nous fait signe d’entrer. Mais se dérobera toujours dans son entièreté à nos plus attentives et savantes interprétations.
Quelques riches bibliothèques conservent toujours aujourd’hui huit manuscrits plus ou moins complets de ces Echecs amoureux. Celui auquel aura collaboré Robinet Testard, composé sur deux colonnes en gothique bâtarde, n’est pas, destiné pourtant à l’éducation d’un fils de roi, le plus beau qu’on doit au talent d’un artiste dont le nom ne nous est pas parvenu mais qui travaillait pour Antoine Rolin, grand bailli du Hainaut qui exerça ses fonctions à Mons où il mourut en 1497. Vingt-quatre miniatures avec encadrements à motifs de fleurs, de fruits et d’insectes, dans le style dit « ganto-brugeois » ornent ce bel exemplaire qu’on peut aussi admirer sur le site de la BNF qui en a d’ailleurs rassemblé les meilleures images dans une de ses présentations.
Cela ne retire rien pour moi au mérite de ce Robinet Testard dont les images auront su retenir toute ma curiosité. Notamment celles par lesquelles il nous représente les merveilles du monde. De ce monde du moins tel qu’on pouvait l’imaginer encore à son époque où venait tout juste de se découvrir l’Amérique. Le Monde alors cachait encore des populations, des espèces, animales comme végétales, des formations géologiques, qu’on pouvait imaginer toutes plus fantastiques les unes que les autres. Sans compter ces fameuses Îles Fortunées où les hommes ayant échappé sans doute au péché vivaient dans l’espèce de paradis que les dieux avaient à l’origine imaginé pour nous être agréables à condition qu’on respecte leurs commandements. Bon. Nous savons que les Îles Fortunées n’existent pas. Même si, au XVIIIème siècle avec Bougainville, nous avons, un court instant, pensé les avoir découvertes en abordant à Tahiti. Aucune partie de la Terre n’abrite licornes ou dragons. Cynocéphales, Acéphales et autres monstres n’existent que dans notre imagination. Qui n’en a d’ailleurs plus besoin pour continuer à se faire peur. Disposant à l’envie sur ses écrans journaliers de figures bien autrement terrifiantes telles que Poutine, Trump ou autre Kim Jong-un…
[1] Il n’en faudrait pas conclure que l’inspiration de notre Robinet Testart relève de la veine misogyne de cette époque médiévale qu’illustre, entre autres le célèbre recueil des Quinze joies de mariage paru au milieu du XVème siècle. Il serait au contraire selon les spécialistes le peintre enlumineur ayant représenté le plus grand nombre de personnages féminins, de façon le plus souvent positive. Ce qui peut aussi s’expliquer par l’influence de cette Louise de Savoie qui le prit à son service à la mort de son époux Charles d’Orléans. Voir pour cela l’article détaillé d’Elodie Gidoin-Barale dans la Revue pluridisciplinaire d’études médiévales, du 1 juin 2023, pages 69-88.

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