Dans les belles compositions de Patinir où j’aime depuis très longtemps me perdre, il n’y a pas que le paysage qui compte. Conformément d’ailleurs à l’esprit de l’époque, il reste essentiellement le cadre privilégié d’une narration dont il importe de savoir remarquer les divers éléments pour rendre davantage justice à l’artiste qu’il fut qu’on ne doit pas réduire à n’être, comme je l’ai jadis lu quelque part, qu’un sublime « harpailleur du ciel ».
Le Repos de la Sainte-Famille que j’ai eu la chance de voir au Musée du Prado à côté de sa Tentation de Saint Antoine et de son sublime Passage du Styx est de ces œuvres qui n’en finissent pas de remuer en vous toutes sortes de pensées, d’émotions et qu’on ne peut se lasser de contempler. Tant certes le paysage dans son ampleur et sa diversité s’y trouve bien présent mais aussi parce qu’il y est inséparable de quantité de figures qui non seulement l’animent mais lui donnent aussi sens. Sens non pas univoque mais pluriel. Sinon même contradictoire. Comme l’est finalement notre propre présence dans un monde déchiré, où chacun vaquant à ses propres occupations, poursuivant son désir ou obéissant aux ordres, en appelant sans doute aussi à une forme supérieure d’existence, n’en aspire pas moins au repos.
Dans l’univers de Patinir, du moins tel qu’il se révèle ici à moi, c’est comme si toute une tension issue de nos élans, nos impulsions, nos attractions voire de nos mécaniques diverses, opposées sinon irréconciliables, se trouvait comme apaisée par sa seule inscription dans la grandeur majestueuse d’un monde fait pour être habité. Sans que nous en soyons jamais la mesure.
Ainsi Marie se recueille t’elle sur l’instant où de son sein jaillit le lait nourricier indifférente à l’arrivée parmi les blés des soldats d’Hérode que la simple malice d’un enfant suffira à égarer, tandis que sous les rochers, près d’elle, depuis toujours, se répand la source qui fait le fleuve dans le coin droit du tableau. Le temps s’écoule qui semble aussi suspendu. Les uns égorgent des innocents. Quand d’autres donnent la vie. Où se contentent parmi les bêtes de s’accroupir pour faire leurs besoins. De mettre à bas de vieilles idoles ou de processionner pour en révérer d’autres. Sans doute il faudra ramasser le bâton, la gourde, le panier, le balluchon, pour reprendre la route. Nos vies n’arrêtent pas d’avoir à s’agiter. Homo viator ! Mais malgré la mort qui guette et les massacres dont il lui faudrait se sauver, Marie fait halte. Comme seule aussi sait tout arrêter la peinture. Pour prendre avec nous son Repos.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire