"La cétoine qui dort dans le coeur de la rose" |
Sans doute qu’il y a des poètes pour poètes et des poètes
pour tous ceux qui malheureusement ou non ne le sont pas. Les poètes pour
poètes travailleraient ainsi à élargir nos horizons de langue, nous fabriquer
de nouvelles réalités rendant au passage progressivement caduques les anciennes
représentations ou les formules qu’un excès de reprises finit toujours par
fossiliser.
Dans un ouvrage qui n’était pas sans intérêt, La Littérature française au présent, je
crois, Dominique Viart distinguait à propos de la littérature en général trois
types principaux d’œuvres : les consentantes, les concertantes et les
déconcertantes. Les consentantes seraient de ces œuvres sans âge qui se
soumettent volontiers aux canons anciens. Réécrivent sans trop de question ou
Zola ou Baudelaire. Ce dernier sans doute aujourd’hui adapté au vers libre. Les
concertantes seraient, plus subtilement de ces œuvres qui cherchent avant tout
à faire mode et ayant bien senti l’air du temps, s’ingénient par tout un jeu de
petites provocations calibrées, à multiplier les signes d’époque, cherchant, dans
un travail ininterrompu de connivence avec ce qui fait son milieu : des
grands magazines culturels jusqu’au plus petit médiateur susceptible de lui offrir
un semblant de reconnaissance, à être commentées, vues plutôt que lues… Les
déconcertantes enfin seraient celles qui ne seraient animées que d’un pur souci
d’écriture, produits toujours dans une langue étrangère, étrangère bien sûr à la
commune, déplaçant ainsi continuellement les attentes du lectorat.
J’aimerais toutefois que dans la réalité les choses soient
aussi simples. Dans un contexte où le public n’a guère plus d’attente véritable
à l’égard de la poésie sinon de lui fournir une ou deux pages bien choisies à l’occasion
d’un mariage ou d’un enterrement, voire une citation qui impressionne à l’intérieur
d’un discours ou d’un commentaire journalistique, à quoi peut bien correspondre
cet objectif de déplacement des attentes du lectorat ? Que pourrait apporter
le fait de lui parler un peu plus encore dans une langue qui lui reste
étrangère ? Et qui reconnaissons le, essentiellement sert à se parler
entre soi, voire en dialogue avec quelques représentants éclairés du petit
monde des lettres dont on a tant besoin.
J’ai le plus grand respect et comme une sorte d’admiration
pour tous ceux qui, comme l’ont fait certains clercs au moment des invasions
barbares, permettent aujourd’hui à une langue menacée, de perdurer et de continuer
même à s’approfondir, opposant aux diverses entreprises de destruction du
langage, leur farouche et salvatrice détermination. Je considère aussi que la
poésie est un art qui doit explorer les possibles. Et qu’elle se fonde sur des
questions bien plus que sur des affirmations.
Reste qu’elle est pour moi avant tout parole. Et qu’une
parole, même si elle ne va que de soi à soi, doit pouvoir être entendue.
Entendue comme parole. Non comme simple forme. Ou discours. Une projection d’être.
Qui pour son auteur possède la vertu de lui faire éprouver sa vie au-delà de sa
réalité première. Et pour le lecteur, par résonance et retentissement, celle de
donner à sa propre existence un domaine plus vaste, intelligible et sensible, à
habiter.
Les mots, je le dis souvent sont nos directions maladroites.
Et toujours peinent, et peineront, à s’inventer le chemin au bout duquel rien d’autre
n’existerait plus qu’une éblouissante et parfaite vérité. C’est pourquoi aux formes
impeccables ou les plus abouties on peut préférer les inégales dès lors qu’on
les sent animées par un souci réel d’accroître par leur dire ce qui les porte à
vivre. Écrire ce n’est pas fabriquer. C’est libérer de l’être. Et peut-être
aussi, pour l’éducateur que je n’ai jamais cessé d’être, contribuer par son
exemple, je ne dis pas modèle, à autoriser chacun à prendre la parole à son
tour.
C’est pourquoi il importe tant de mettre en évidence la
diversité des possibles. Et pourquoi pas la hiérarchie. Mais la diversité d’abord.
Car comme le déclarait si bien le jeune Jules Laforgue « tous les claviers sont légitimes ».
Condamnerons-nous, pour avoir un jour vu l’aigle planer au-dessus des montagnes,
le vol emprunté, tâtonnant, du hanneton entre les branches du jardin ?
J’ajouterai pour terminer que c’est justement de la
confrontation de tous ces possibles et de leur empathique et attentive compréhension
que peut résulter le plus évidemment la prise de conscience de la nature complexe de
notre relation au monde à travers le langage. Et à travers cela de l’être
qui, non pas nous constitue mais nous interpelle. Nous, qui à la différence de
l’animal, mais qui sait, pouvons être, par la parole, à la fois aigles, un peu,
et beaucoup, hannetons.
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