Le succès de Cécile Coulon, je veux dire de la poésie de
Cécile Coulon, tient un peu du phénomène. Que penser en effet de la fortune de
l’unique recueil de cet auteur de 27 ans qui déjà peut se flatter de réunir des
milliers de lecteurs puis de s’être vu décerner, quelques mois après sa
parution, le-prestigieux-prix-Apollinaire,
habituellement décerné à des auteurs confirmés, d’un autre âge ?
Sans doute que si, parallèlement, Cécile Coulon n’avait pas,
depuis une dizaine d’années, donc à partir de 17 ans, déjà publié chez Viviane
Hamy une bonne poignée de romans ayant assez largement rencontré leur public,
elle serait toujours de ces poètes dont personne ne parle puisque personne ne
les lit.
Ce qui ne signifie pas a
priori qu’il ne faut pas la lire.
Je sais, car je m’informe et réfléchis un peu, avant
d’écrire, que d’aucuns ont crié au scandale devant l’attribution du prestigieux-prix-Apollinaire à ce qu’ils
considèrent comme un simple produit médiatique. Et j’ai, par la grâce ou la
disgrâce d’internet, pu découvrir les tombereaux de vilaines critiques
déversées sur Les ronces, critiques
que le besoin maladif d’affirmation des egos, qui se trouve toujours un bon
prétexte pour se manifester, a bien entendu reprises et multipliées à l’envi,
sans trop y aller voir, sur les réseaux sociaux.
Certes, je reconnais bien volontiers que les poèmes de
Cécile Coulon comportent des faiblesses. Que sa pratique de la comparaison laisse
parfois déconcerté. Que sa langue ne brille ni par sa recherche ni par sa
précision. Que le découpage de ses vers n’est le plus souvent là que pour faire
poème et peine à trouver sa justification. Que ce qu’elle emprunte à la poésie
américaine dont elle se réclame comme d’ailleurs tant de nos jeunes poètes, ce
sont avant tout ses facilités. Un certain laisser-aller sans réelle
désinvolture qui se marque jusque dans la façon dont, à voir certaines des
fautes qui y sont demeurées, elle n’a apparemment pas bien relu les épreuves de
son livre.
N’empêche que si l’on attend de la poésie qu’elle prenne en
charge notre besoin d’expression, et réponde en paroles à l’infinie diversité
des chocs des plus délicats jusques aux plus brutaux, par lesquels la vie
sollicite sens, émotions, sentiments, idées, bref, les humeurs et les raisons qui
agitent ce que j’appellerais notre exaspérant petit être à la fois réfléchi et sensible,
il me semble difficile de faire comme si les textes de Cécile Coulon qui ne
font, me semble-t-il, que parler de ce qui la touche, d’au plus près de sa vive
et réactive personnalité, n’étaient pas de la poésie. Et de celle qui nous est
le plus nécessaire. Ne masquant pas sous d’ambitieux jeux formels ou d’impénétrables
et imposantes références, les enjeux fondamentaux de son existence et de sa mise
en oeuvre.
Bien entendu, il ne suffit pas de parler de ce qui nous
touche au plus près pour accéder de facto
au statut de poète. Il y faut aussi de l’art. Et une forme d’investissement
singulier de parole qui vous portent au-delà, non des banalités de la vie
quotidienne, mais des formules étroites qui les enferment. Et désespèrent. Cette
forme d’investissement, oui, je crois bien qu’en dépit des légitimes critiques
qu’on peut lui adresser, elle existe dans la poésie de Cécile Coulon. Qui n’est
pas ce travail de prises et de reprises, de savantes plongées dans le corps du
langage à quoi nos meilleurs poètes restent à bon droit attaché, mais un
travail beaucoup plus spontané qui consiste à tenter d’épouser au plus près un
sentiment, une émotion, une idée qui affecte, en s’efforçant avant tout de ne
pas les perdre en route, s’en écarter, les lâcher, même au profit de
découvertes plus profondes ou plus belles. Sorte de rodéo d’écriture, le poème
de Cécile Coulon tente avant tout de rester en selle, sans trop dissimuler les
sauts, les bonds, les galops, les ruades ou les refus capricieux de sa difficile
et sauvage subjectivité.
Écrivant des poèmes en quelque sorte de circonstances, qu’elle
partage depuis des années directement sur Facebook, Cécile Coulon écrit ainsi une
poésie qui ne se relit pas trop mais qui entend bien saisir dans la relative
rapidité et plasticité de son geste quelque chose de ce qui aura traversé,
voire habité un court instant son existence. A la capacité d’enclore dans une
forme parfaite elle préfère celle de s’ouvrir comme elle peut à la diversité ressentie
du monde. Et si le poème est pour elle maison il est de celles dont on garde la
nostalgie ou qu’on traverse vite, sans y faire demeure.
Un exemple glané ce matin sur sa page FB illustre bien, à
mon avis, cette façon dont la poésie de Cécile Coulon, parvient à saisir par
effleurements de couches successives une certaine densité d’expérience dont
l’expression ne peut aller sans toucher du fait de sa tonalité incisive et
inquiète et de sa capacité à rassembler autour d’aveux allusifs masqués le plus
souvent sous des formules génériques, et par le biais ici de la prétérition, les
signes qui font vrais, ces fameux « biographèmes »
chers à Roland Barthes, de son existence quotidienne.
Je ne
parlerai pas de la chaleur, ni de la propreté des vitres du train,
ni de
la vitesse à laquelle ces derniers mois ont passé.
Je ne
parlerai pas de mes affaires jetées dans la chambre à chaque passage,
furtif,
il
s'agissait de trouver un t-shirt propre et convenable pour le travail,
les
bonnes chaussures, un livre pas déjà lu, il s'agissait de traverser
cet
appartement comme un coup de griffe,
avant
de repartir.
Je ne
parlerai pas des milliers de kilomètres, des villes et des visages,
des
crampes d'estomac, des migraines et des manques de sommeil
qui
sont les valises habituelles de mes voyages.
Et le
reste, alors ? L'immense reste.
Les
regards croisés que le coeur traîne dans sa manche pour les soirs
de
grand chagrin.
Les
messages inattendus. Le ventre qu'on remplit de certitudes pour
qu'il
cesse de se nouer. La tête qu'on gave de paysages. La bouche un
peu
sèche et les lèvres entrouvertes pour ne rien rater du plus petit baiser.
L'amour
se niche où il veut. Pas là où il y a de la place, où il veut.
Je ne sais où l’amour se niche. Mais la poésie oui. Elle est
un peu partout où une certaine authenticité de parole vient rejoindre le
sentiment qu’on a de son existence propre. Partout où le silence pèse. Et où se
manifeste la nécessité de s’expliquer
avec sa vie. Les ronces, le lecteur
le découvrira, procèdent bien de ce besoin.
Cécile Coulon y réunit en bouquet les pièces tantôt sombres et tantôt
lumineuses d’une vie à la fois douce et blessée illustrant bien la difficulté de
sentiment qu’ont certains êtres imaginatifs et sensibles, peut-être un peu trop
protégés ou gâtés, à sortir de l’enfance et accepter ou pas les limites que
leur imposent les dures réalités de la vie.
Alors, si ce livre ne mérite peut-être pas d’être classé
parmi les touts meilleurs, il ne mérite à l’inverse certainement pas non plus,
d’être placé parmi les pires.
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