jeudi 27 juin 2019

SUR LES RONCES DE CÉCILE COULON. AUX ÉDITIONS DU CASTOR ASTRAL.

Le succès de Cécile Coulon, je veux dire de la poésie de Cécile Coulon, tient un peu du phénomène. Que penser en effet de la fortune de l’unique recueil de cet auteur de 27 ans qui déjà peut se flatter de réunir des milliers de lecteurs puis de s’être vu décerner, quelques mois après sa parution, le-prestigieux-prix-Apollinaire, habituellement décerné à des auteurs confirmés, d’un autre âge ?

Sans doute que si, parallèlement, Cécile Coulon n’avait pas, depuis une dizaine d’années, donc à partir de 17 ans, déjà publié chez Viviane Hamy une bonne poignée de romans ayant assez largement rencontré leur public, elle serait toujours de ces poètes dont personne ne parle puisque personne ne les lit.



Ce qui ne signifie pas a priori qu’il ne faut pas la lire.




Je sais, car je m’informe et réfléchis un peu, avant d’écrire, que d’aucuns ont crié au scandale devant l’attribution du prestigieux-prix-Apollinaire à ce qu’ils considèrent comme un simple produit médiatique. Et j’ai, par la grâce ou la disgrâce d’internet, pu découvrir les tombereaux de vilaines critiques déversées sur Les ronces, critiques que le besoin maladif d’affirmation des egos, qui se trouve toujours un bon prétexte pour se manifester, a bien entendu reprises et multipliées à l’envi, sans trop y aller voir, sur les réseaux sociaux.



Certes, je reconnais bien volontiers que les poèmes de Cécile Coulon comportent des faiblesses. Que sa pratique de la comparaison laisse parfois déconcerté. Que sa langue ne brille ni par sa recherche ni par sa précision. Que le découpage de ses vers n’est le plus souvent là que pour faire poème et peine à trouver sa justification. Que ce qu’elle emprunte à la poésie américaine dont elle se réclame comme d’ailleurs tant de nos jeunes poètes, ce sont avant tout ses facilités. Un certain laisser-aller sans réelle désinvolture qui se marque jusque dans la façon dont, à voir certaines des fautes qui y sont demeurées, elle n’a apparemment pas bien relu les épreuves de son livre.



N’empêche que si l’on attend de la poésie qu’elle prenne en charge notre besoin d’expression, et réponde en paroles à l’infinie diversité des chocs des plus délicats jusques aux plus brutaux, par lesquels la vie sollicite sens, émotions, sentiments, idées, bref, les humeurs et les raisons qui agitent ce que j’appellerais notre exaspérant petit être à la fois réfléchi et sensible, il me semble difficile de faire comme si les textes de Cécile Coulon qui ne font, me semble-t-il, que parler de ce qui la touche, d’au plus près de sa vive et réactive personnalité, n’étaient pas de la poésie. Et de celle qui nous est le plus nécessaire. Ne masquant pas sous d’ambitieux jeux formels ou d’impénétrables et imposantes références, les enjeux fondamentaux de son existence et de sa mise en oeuvre.



Bien entendu, il ne suffit pas de parler de ce qui nous touche au plus près pour accéder de facto au statut de poète. Il y faut aussi de l’art. Et une forme d’investissement singulier de parole qui vous portent au-delà, non des banalités de la vie quotidienne, mais des formules étroites qui les enferment. Et désespèrent. Cette forme d’investissement, oui, je crois bien qu’en dépit des légitimes critiques qu’on peut lui adresser, elle existe dans la poésie de Cécile Coulon. Qui n’est pas ce travail de prises et de reprises, de savantes plongées dans le corps du langage à quoi nos meilleurs poètes restent à bon droit attaché, mais un travail beaucoup plus spontané qui consiste à tenter d’épouser au plus près un sentiment, une émotion, une idée qui affecte, en s’efforçant avant tout de ne pas les perdre en route, s’en écarter, les lâcher, même au profit de découvertes plus profondes ou plus belles. Sorte de rodéo d’écriture, le poème de Cécile Coulon tente avant tout de rester en selle, sans trop dissimuler les sauts, les bonds, les galops, les ruades ou les refus capricieux de sa difficile et sauvage subjectivité.



Écrivant des poèmes en quelque sorte de circonstances, qu’elle partage depuis des années directement sur Facebook, Cécile Coulon écrit ainsi une poésie qui ne se relit pas trop mais qui entend bien saisir dans la relative rapidité et plasticité de son geste quelque chose de ce qui aura traversé, voire habité un court instant son existence. A la capacité d’enclore dans une forme parfaite elle préfère celle de s’ouvrir comme elle peut à la diversité ressentie du monde. Et si le poème est pour elle maison il est de celles dont on garde la nostalgie ou qu’on traverse vite, sans y faire demeure.



Un exemple glané ce matin sur sa page FB illustre bien, à mon avis, cette façon dont la poésie de Cécile Coulon, parvient à saisir par effleurements de couches successives une certaine densité d’expérience dont l’expression ne peut aller sans toucher du fait de sa tonalité incisive et inquiète et de sa capacité à rassembler autour d’aveux allusifs masqués le plus souvent sous des formules génériques, et par le biais ici de la prétérition, les signes qui font vrais, ces fameux « biographèmes » chers à Roland Barthes, de son existence quotidienne.



Je ne parlerai pas de la chaleur, ni de la propreté des vitres du train,

ni de la vitesse à laquelle ces derniers mois ont passé.

Je ne parlerai pas de mes affaires jetées dans la chambre à chaque passage,

furtif,

il s'agissait de trouver un t-shirt propre et convenable pour le travail,

les bonnes chaussures, un livre pas déjà lu, il s'agissait de traverser

cet appartement comme un coup de griffe,

avant de repartir.



Je ne parlerai pas des milliers de kilomètres, des villes et des visages,

des crampes d'estomac, des migraines et des manques de sommeil

qui sont les valises habituelles de mes voyages.

Et le reste, alors ? L'immense reste.

Les regards croisés que le coeur traîne dans sa manche pour les soirs

de grand chagrin.

Les messages inattendus. Le ventre qu'on remplit de certitudes pour

qu'il cesse de se nouer. La tête qu'on gave de paysages. La bouche un

peu sèche et les lèvres entrouvertes pour ne rien rater du plus petit baiser.



L'amour se niche où il veut. Pas là où il y a de la place, où il veut.



Je ne sais où l’amour se niche. Mais la poésie oui. Elle est un peu partout où une certaine authenticité de parole vient rejoindre le sentiment qu’on a de son existence propre. Partout où le silence pèse. Et où se manifeste la nécessité de s’expliquer avec sa vie. Les ronces, le lecteur le découvrira, procèdent bien de ce besoin.  Cécile Coulon y réunit en bouquet les pièces tantôt sombres et tantôt lumineuses d’une vie à la fois douce et blessée illustrant bien la difficulté de sentiment qu’ont certains êtres imaginatifs et sensibles, peut-être un peu trop protégés ou gâtés, à sortir de l’enfance et accepter ou pas les limites que leur imposent les dures réalités de la vie.



Alors, si ce livre ne mérite peut-être pas d’être classé parmi les touts meilleurs, il ne mérite à l’inverse certainement pas non plus, d’être placé parmi les pires.

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