Je me souviens, lorsque j’habitais mon village du Waast, que le monument dédié par la commune aux victimes des guerres et tout particulièrement celles plus nombreuses de la première guerre mondiale, se trouvait dans un coin de cimetière à côté d’un mur bas par-dessus lequel s’apercevaient comme en toile de fond, les bâtiments et une partie de la cour de l’école. Difficile alors de ne pas penser que de l’école au cimetière, pour ces jeunes dont on rappelait le nom chaque onze novembre lors de l’appel aux morts, il n’y avait eu, ou presque, que l’espace de quelques longs mois de marche sur les routes de la guerre. Quelques longs mois dans l’argile ou la craie des tranchées. Et que ces hommes qui, du fait de circonstances historiques malheureuses, avaient vécu l’enfer du front et s’étaient à vingt ans trouvés amputés de toutes les possibilités d’existence dont nous jouissons, sans trop être conscients de notre chance, ces hommes ou du moins le destin qui leur fut réservé, avaient le droit de ne pas nous laisser insensibles.
La Grande Guerre a fait plus de 18 millions de victimes, toutes populations confondues. 1,4 millions de soldats français y ont perdu la vie. Plus de la moitié n’ont jamais trouvé de sépulture, soufflés par des obus, pulvérisés par des bombes, toujours enfouis sous les amas de terre qui les ont recouverts. Sur le front de France c’est plus de 70 000 kms² de terres portant villes, villages, bourgs, hameaux, prairies, champs, bois, crêtes, vallées qui furent dévastés par quatre années de pilonnage.
Aujourd’hui ces lieux, comme la toute neuve forêt de Craonne, la belle plaine de l’Aisne qu’on découvre du plateau de Californie, possèdent la présence particulière des lieux qu’on sait douloureusement travaillés par le temps. La paix et la puissance de vie irrésistible de la nature en ont recouvert, effacé en grande partie les blessures. Et c’est à partir de cette lumière nouvelle venue cacher ou du moins recouvrir, ordonner, esthétiser la terrible vérité de l’histoire, et des strates successives d’affrontements auxquels elle a ici donné lieu, que nous éprouvons la vie qui toujours, nous est offerte à vivre. Dans un présent plus ou moins affecté par ce qu’il comprend de temps. Dans un corps singulier éprouvant avec plus ou moins d’intensité ses liens avec l’humanité entière.
C'est à partir de cela que les trois textes que je partage aujourd'hui sur ce blog furent écrits. Non pour faire entendre ce qu’il est impossible de faire entendre et pour quoi la littérature nous fournit largement en figures : la voix des disparus, mais déposer à leur pied un bouquet de paroles. Simplement un bouquet.
(Extrait de l'adresse au lecteur de Un Bouquet pour les morts.)

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