Les éditions Lurlure dont j’ai eu l’occasion de dire tout le
bien que je pensais proposent aujourd’hui un ouvrage qui ne manquera pas de
réjouir ceux qui dans la poésie voient avant tout sa matière, ses matières, son
infini travail de langue et abordent la littérature avec suffisamment
d’irrévérencieuse générosité pour demeurer des esprits libres et des natures
créatives.
Les Massacres auxquels se livre Typhaine Garnier en s’amusant à reprendre une trentaine des grands poèmes ossifiés de notre vaste panthéon littéraire, pour en faire résonner comiquement le texte, constituent un exercice particulier de style qui consiste essentiellement, du point de vue de l’effet produit, en une sorte de catastrophe stylistique par laquelle ce que l’on connaissait et révérait sublime, se voit impitoyablement retourné vers un bas dont l’immédiate trivialité par contraste saisit. C’est de ce mouvement brutal, de cette grotesque et naturaliste plongée imposée à l’esprit dont certains de nos anciens poètes ont d’ailleurs expérimenté, en partie, l’action, je pense bien entendu aux célèbres contre-blasons de l’époque renaissante comme à l « ulcère à l’anus » de la Vénus Anadyomène de Rimbaud, que naît le plaisir de lectures du livre de Typhaine Garnier.
Car il y a plaisir et pas seulement carabin, à lire en
regard d’Heureux qui comme Ulysse que
chacun garde en tête depuis ses apprentissages, un poème démarrant par Beurrée du col aux cuisses, répondant au
chant élégiaque de l’exilé romain par l’évocation des multiples expédients qu'emploie
la science cosmétique pour remédier comme elle peut aux tristes délabrements
de l’âge. Ou de découvrir la chute inspirée du non moins célèbre Demain dès l’aube, devenue
Moi, quand Jarry verrai, je mettrai sur la table
Un boulet de chou vert et du gruyère en sueur.
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Qui d’entre nous, vieux étudiants blasés, lassés de voir
râbachés ces textes qu’on impose depuis si longtemps à nos admirations, ne
s’est amusé à de tels sacrilèges. Qui, ainsi que le souligne l’alerte et
amicale posface de Christian Prigent ont le mérite de dire « quelque chose de ce dont la langue a dû s’arracher
pour fonder du civilisé, lier décemment la communauté des parlants et les
arracher à leurs glapissements sauvages. » Du texte consacré au texte
massacré c’est en fait, toute la labilité essentielle de la langue que la forme
impeccable du poème travaillait à occulter, qui transparaît à claire-voie. Salubre
est l’opération qui dans un ultime et matois prolongement, intitulé Notes et pistes d’étude, qu’on aurait
grand tort de sous-estimer, s’en prend au caractère cette fois franchement
fossilisé des remarques et questionnaires dont les manuels scolaires
accompagnent les études dîtes littéraires. D’où ressort à l’évidence le fait qu’elles
ne touchent à rien de ce qui fait la puissance intrinsèque de l’œuvre. Ramenée
qu’elle est toujours à ses effets de surface. Escamotée. Détournée. Au profit de
vieux moignons de savoir et de culture, qui explique sans doute pourquoi tant de
nos chers et savants diplômés ne savent toujours pas reconnaître un vrai poème
d’un mauvais.
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