vendredi 14 juin 2019

MASSACRES DE TYPHAINE GARNIER. CHEZ LURLURE ! MAIS QUE SALUBRE EST CE CHANT !


Les éditions Lurlure dont j’ai eu l’occasion de dire tout le bien que je pensais proposent aujourd’hui un ouvrage qui ne manquera pas de réjouir ceux qui dans la poésie voient avant tout sa matière, ses matières, son infini travail de langue et abordent la littérature avec suffisamment d’irrévérencieuse générosité pour demeurer des esprits libres et des natures créatives.




Les Massacres auxquels se livre Typhaine Garnier en s’amusant à reprendre une trentaine des grands poèmes ossifiés de notre vaste panthéon littéraire, pour en faire résonner comiquement le texte, constituent un exercice particulier de style qui consiste essentiellement, du point de vue de l’effet produit, en une sorte de catastrophe stylistique par laquelle ce que l’on connaissait et révérait sublime, se voit impitoyablement retourné vers un bas dont l’immédiate trivialité par contraste saisit. C’est de ce mouvement brutal, de cette grotesque et naturaliste plongée imposée à l’esprit dont certains de nos anciens poètes ont d’ailleurs expérimenté, en partie, l’action, je pense bien entendu aux célèbres contre-blasons de l’époque renaissante comme à l « ulcère à l’anus » de la Vénus Anadyomène de Rimbaud, que naît le plaisir de lectures du livre de Typhaine Garnier.



Car il y a plaisir et pas seulement carabin, à lire en regard d’Heureux qui comme Ulysse que chacun garde en tête depuis ses apprentissages, un poème démarrant par Beurrée du col aux cuisses, répondant au chant élégiaque de l’exilé romain par l’évocation des multiples expédients qu'emploie la science cosmétique pour remédier comme elle peut aux tristes délabrements de l’âge. Ou de découvrir la chute inspirée du non moins célèbre Demain dès l’aube, devenue

Moi, quand Jarry verrai, je mettrai sur la table

Un boulet de chou vert et du gruyère en sueur.



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Qui d’entre nous, vieux étudiants blasés, lassés de voir râbachés ces textes qu’on impose depuis si longtemps à nos admirations, ne s’est amusé à de tels sacrilèges. Qui, ainsi que le souligne l’alerte et amicale posface de Christian Prigent ont le mérite de dire « quelque chose de ce dont la langue a dû s’arracher pour fonder du civilisé, lier décemment la communauté des parlants et les arracher à leurs glapissements sauvages. » Du texte consacré au texte massacré c’est en fait, toute la labilité essentielle de la langue que la forme impeccable du poème travaillait à occulter, qui transparaît à claire-voie. Salubre est l’opération qui dans un ultime et matois prolongement, intitulé Notes et pistes d’étude, qu’on aurait grand tort de sous-estimer, s’en prend au caractère cette fois franchement fossilisé des remarques et questionnaires dont les manuels scolaires accompagnent les études dîtes littéraires. D’où ressort à l’évidence le fait qu’elles ne touchent à rien de ce qui fait la puissance intrinsèque de l’œuvre. Ramenée qu’elle est toujours à ses effets de surface. Escamotée. Détournée. Au profit de vieux moignons de savoir et de culture, qui explique sans doute pourquoi tant de nos chers et savants diplômés ne savent toujours pas reconnaître un vrai poème d’un mauvais.



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