Si je n'ai toujours
rien dit du livre d'Eric Pessan, Ce qui
sauterait aux trois yeux du Martien fraîchement débarqué, que les
éditions LansKine m'ont adressé il y a quelques mois déjà, ce n'est pas par
indifférence. Ou parce que je trouverais que "ce livre n'est pas de la poésie [et qu'il] manque de spiritualité et de
travail de la langue". Ceux qui comme moi reçoivent beaucoup des
éditeurs et des auteurs qui, comme c'est bien normal, tentent d'assurer à leurs
livres ce minimum de présence sociale qui légitime, dans le contexte déprimant
qu'on sait, les efforts nécessités par leur publication, me comprendront.
Impossible de répondre à tout. Impossible de se montrer à la hauteur de tout.
Impossible. Même en acceptant de faire fi de tout ce qui ne paraît pas
nécessaire. Sans compter bien sûr, le factice ou le dérisoire.
Le livre d'Eric
Pessan aurait pourtant mérité que je m'y attache davantage. Dans la perspective
d'une poésie qu'on pourrait appeler politique ou sociale, d'une poésie en tout
cas qui sait de quoi elle veut parler et pourquoi elle nous interpelle, Eric Pessan
nous convie à considérer - prendre en considération - toutes ces humanités que
nous côtoyons, jour après jour, sans jamais bien les regarder pour en imaginer
non seulement le mal-être, les difficultés mais ce qu'on pourrait appeler la
banale monstruosité. Qui est aussi la nôtre.
Lisant ces textes
qui désespèrent finalement de notre capacité à faire vraiment société, et
empêcher que par indifférence, veulerie, intérêt, que sais-je, nous ne nous trouvions tous "cannibalisés" par l'inhumanité ambiante, je ne peux m'empêcher d'aller relire ce
qu'écrivait l'éditeur François Maspéro, en accompagnement des photographies
d'Anaïk Frantz, dans un livre de 1992, intitulé Paris
Bout du monde.
"C’est toujours l’histoire du radeau de la Méduse.
Ceux qui y sont embarqués se mangent toujours entre eux. Mais ceux qui se font
des signaux - ceux qui n’ont pas été empoisonnés en bouffant la barbaque de
leur semblable, leur frère - savent bien, désormais, qu’il n’y a personne pour
leur répondre. Tandis que sur leur barque, les passagers de première classe
sont convaincus d’avoir pour toujours largué les amarres."
Ajoutant un peu plus
loin :
"Je me souviens de cette exposition de photos, dans
les années 50 : Family of Man. La grande famille de l’Homme. Dans l’esprit des
organisateurs américains, il s’agissait de mettre en scène le rêve d’ une
fraternité universelle grâce à des œuvres des plus grands photographes du
moment. C’est fou le succès qu’elle a pu avoir, cette exposition : son
catalogue en livre de poche a dû être tiré à des millions d’exemplaires dans le
monde entier. C’est fou ce que ça se vendait bien, la générosité. La générosité
ne fait plus recette. Une à une se sont effilochées les litanies des lendemains
qui chantent. On les apprend encore aujourd’hui mécaniquement aux enfants des
écoles, par Prévert interposé mais même eux n’y croient plus. C’est
préhistorique."
Terrible qu'il
faille désormais en passer par le regard d'un Martien pour réapprendre, c'est
urgent, à faire un peu famille ensemble.
Sur le livre d'Eric Pessan, lire la note de lecture plus précise de Grégoire Damon sur SITAUDIS.
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