Laurent Grisel est un homme d'attention. Aux êtres comme aux
faits. Il l'a prouvé aussi bien par son ouvrage Climats que nous avons sélectionné dans le cadre du Prix des Découvreurs 2016-17 que dans les
différents volumes de son Journal de la Crise. Il le prouve à travers
son engagement quotidien pour dénoncer les ravages de tous ordres de notre
capitalisme financier. Le dernier ouvrage auquel il a participé, suite à une
louable initiative du Centre Social et Culturel de Puisaye-Forterre, témoigne
de ce que nous perdons à ne plus considérer comme pourtant elle le mérite, la
part pas nécessairement la moins féconde et belle de notre humanité.
"Dix portraits d'anciens du pays : couples
d'éleveurs, de cultivateurs, potière, chauffeur routier, conteuse et poète
patoisante, ouvrier de campagne, herboriste et esthéticienne, archéologue
historienne, ouvrier des parcs et jardins de la ville de Paris réfugié ici en
photographe, pieuses femmes à tout faire." Voilà qui nous situe bien
loin des premiers de cordée si chers au cœur des élites qui nous gouvernent et repousse
les frontières de cette triste invisibilité sociale où se voient de plus en
plus rejetés les âgés, les ruraux, les modestes… Et j'aime dans les portraits
que dresse Laurent Grisel de ces figures d'anciens ayant consacré la plus
grande partie de leur existence au travail, en particulier celui de la terre où
ils sont nés ou se sont installés, comment sous une forme radicalement épurée
de toute volonté de séduire, se voient à travers le rappel des principaux
évènements d’une vie élevée par l’auteur à un certain degré d’universel, nous
soit rappelé la grandeur et pourquoi pas la noblesse, de chaque personne humaine.
Avec les qualités d’écoute et la probité stylistique, un
brin janséniste peut-être, qui sont les siennes, Laurent Grisel fait en effet ressortir
dans ces Portraits de Puisaye, qu'accompagnent de grands portraits
dessinés au fusain et ornés à la gouache de l'artiste plasticienne Marie-Pierre
Vagne-Laboulandine, le lien profond d'attachement aux autres, aux choses et aux
paysages qui aura constitué la vie d'hommes et de femmes dignes, quelle que
soit la modestie apparente de leur condition, de se voir représentés dans ce
livre catalogue, à la manière, dit-il, des rois et des ambassadeurs.
Alors que tend à se généraliser à l'égard de tous ceux qui
ne savent ou ne veulent pas profiter des bienfaits supposés des avancées
technologiques et technocratiques qui régissent notre monde, un sentiment plus
ou moins clairement affirmé de mépris, par quoi s'entame jour après jour la
solidité de notre lien social, Laurent Grisel et sa camarade artiste, réaffirment
ainsi toute l'importance des valeurs de reconnaissance, de considération ou
d'estime, dont le philosophe allemand Axel Honneth a montré à quel point elles
nous étaient nécessaires pour faire réellement société.
C’est pourquoi on est heureux aussi de voir que ce travail
aura été intelligemment partagé par les élèves de quatrième d'un collège local,
le collège Arsène Fié de Saint-Amand-en-Puisaye. Qui sûrement, maintenant,
porteront un autre regard sur les terribles injustices et les humiliations que
le monde autour d'eux s'ingénie à multiplier.
Répétons-le : à tout ce qui manque un peu partout de
parole, il est bon que la poésie prête, comme elle le peut, sa voix. Êtres,
choses, visibles, invisibles, c'est dans la manière que nous avons - ou pas -
de les considérer, que se joue notre plus ou moins large et accueillante
humanité.
Pour en savoir plus : https://www.imagine3tigres.net/spip.php?rubrique37
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