Difficile de
résister à l'appel d'un livre qui commencerait de la façon suivante :
PROLOGUE
Entendez-moi.
Nous sommes ici. Nous sommes vivants.
Mille et une choses nous attachent les uns aux autres
: paroles, voix, caresses, sang, textes, chansons, lignes, routes, messages
sans fil. Parfois ce lien s'exprime simplement parce que nous voyons le même
soleil monter dans le ciel, parce que nous écoutons la même chanson à la radio,
récitons le même texte en le murmurant, la tête ailleurs, tandis que nous
faisons la vaisselle après le dîner.
C'est ce qui s'appelle faire partie d'une société.
D'une nation, ou du genre humain. Tout dépend de l'endroit où on place la ligne
de partage.
Parfois, des événements se produisent, qui renforcent ces liens et nous rapprochent un peu plus encore. Les mariages, les naissances et les décès rassemblent les familles ; les catastrophes, les guerres et les compétitions sportives soudent les nations, elles amènent toutes sortes de gens à marcher à l'unisson.
Il arrive aussi que se produisent des choses qui
rassemblent l'humanité tout entière, unissent le destin de tous les êtres
humains, comme si un dérèglement subit de la gravité terrestre engendrait un
brusque rétrécissement du monde. En l'espace d'un instant, l'humanité devient
plus proche, et chaque être se rappelle l'endroit où il se trouvait quand il a
appris la nouvelle.
Parfois, le monde devient si petit qu'il se résume à
un seul être humain. Un homme minuscule dans un fjord abandonné.
Surtout s'il est
précédé de la même exergue que celle choisie par Hemingway pour son roman de la
guerre civile espagnole : Pour qui sonne le
glas ?
"Nul Homme n'est une Isle complète en soy-même ;
tout Homme est un morceau de Continent, une part du tout ; si une parcelle de
terrain est emportée par la Mer l'Europe en est lésée, tout de même que s'il
s'agissait du Manoir de tes amis ou du tien propre ; la mort de tout homme me
diminue, parce que je suis solidaire du Genre Humain. Ainsi donc, n'envoie
jamais demander : pour qui sonne le glas : il sonne pour toi."
John Donne (1579-1631)
Un tel ouvrage
existe. Il s'agit du premier roman, L'île,
de la
journaliste islandaise Sigríður Hagalín Björnsdóttir. Ce roman qui est ce
qu'on appelle une dystopie raconte ce qu'il arrive à une société (ici la
société islandaise) lorsqu'elle se trouve totalement coupée du reste du monde
et ne peut plus compter que sur ses propres, trop maigres ressources. On me dit
que cette histoire est terrible. Les hommes y révélant ce dont ils sont
capables dès lors que leur survie matérielle est en jeu. Et dieu sait - c'est
une façon de parler - combien cette perspective devient aujourd'hui de moins en
moins improbable. Mais les fabulations de fin du monde ne sont pas pour moi une
façon de m'immerger dans les trop fameuses passions tristes. Comme l'écrit le
chercheur Jean-Paul Engélibert, je pense plutôt qu'elles constituent, comme
beaucoup plus confidentiellement s'efforce de le faire une certaine poésie,
l'un des moyens pour nous de nous ressaisir et de "nous mettre en position
d’imaginer comment prévenir la fin des temps" et plus probablement sans
doute, nous rappelant à quelques valeurs essentielles, l'avènement de nouvelles
barbaries.
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