Non la Terre ne fut pas toujours
bleue. Ni toujours habitable. Vieille de plus de 4,5 milliards d’années, notre
planète perdue dans l’immensité proprement sidérante de l’univers visible,
change constamment de visage, souffle le chaud et le froid, fut orangée comme
Titan, blanche comme Encelade. Dépendant de facteurs essentiels tels
l’augmentation de la luminosité du Soleil, la tectonique des plaques, les
modifications orbitales, son climat possède une histoire complexe et la vie
qu’il a rendue pour nous possible résulte d’équilibres chimiques précaires que
notre espèce, par son nombre d’abord, par ses choix particuliers de
développement ensuite, est en train de menacer.
C’est à la demande de la MEL et
de sa Présidente, la romancière Cécile Wajsbrot, que Laurent Grisel a entrepris
de se saisir de la question climatique pour alerter à sa manière le public sur
les risques que notre insensibilité aux perturbations que nous infligeons à la
nature fait courir à l’ensemble de l’humanité. Et c’est la force actuelle de
notre poésie que de lui permettre de prendre aujourd’hui la parole pour
produire un texte singulier, engagé, surprenant, dont la précision de la
documentation, l’ouverture informée au réel ou plutôt à ses multiples
composantes, n’altèrent pas l’impact. Ni le retentissement.
Loin du sentimentalisme vaporeux et de l’hermétisme savant
Texte de commande et aussi de circonstances, l’ouvrage de Laurent Grisel fait le choix de l’engagement total. Et de l’efficacité discursive. On est loin avec un tel travail du sentimentalisme vaporeux que pratiquent encore bien des poètes du dimanche qui en vers calibrés et à grands coups de clichés croient dénoncer les tares les plus évidentes de notre société. On est loin aussi de l’hermétisme savant des grandes oeuvres de certains de nos grands poètes institutionnels qui ne semblent pas avoir d’autre objectif que de détourner de la poésie le rare public qui pourrait lui demeurer fidèle. Avec Climats la poésie cherche à dire le monde. Un monde que les puissances qui le régissent, celles de l’argent en particulier, ont entrepris de rendre à jamais inhabitable. Irrespirable qu’ils sont déjà parvenus à le rendre à beaucoup d’entre nous.
Qu’il nous parle de la spoliation
dont sont victimes les Mundurukus
d’Amazonie, des neiges disparues du Kilimandjaro,
des mensonges d’état qui ont accompagné les ravages du cyclone Katrina, de l’incurie du système de
distribution de l’eau en Bolivie au pied du Cerro
Chacaltaya, cet ancien glacier
qui abritait il y a peu de temps encore la piste de ski la plus haute du monde,
du feu de mines qui, depuis 1962, couve sous la ville désormais fantôme de Centralia Pennsylvanie et mettra encore
un siècle au moins à s’éteindre, du lac asséché d’Oroumiyeh en Azerbaïdjan iranien, Laurent Grisel prend le parti de
l’humain, des victimes, qui ne sont d’ailleurs pas tant celles du dérèglement
climatique que celles des dérèglements politiques, économiques et financiers
qui en sont principalement la cause.
La voie de l’intelligence à la fois ouverte et sensible
Didactique, si l’on veut, son
texte n’hésite pas à éclairer le lecteur sur certains des mécanismes qui
oeuvrent à rendre la situation de l’humanité actuelle particulièrement
dramatique. C’est ainsi que nous sont expliqués le cycle du méthane – ce
puissant gaz à effet de serre – qu’alimente le réchauffement de l’océan ;
les raisons pour lesquelles, durant la nuit du 21 août 1986, 1700 camerounais du
territoire de Nyos ont pu mourir de l’absorption du gaz carbonique relâché par
le lac de cratère voisin. Nous est aussi opportunément rappelé que l’équilibre
des températures auxquelles nous sommes parvenus n’est pas une constante à
l’échelle géologique. Il fut en effet des époques où, comme à la fin du
Permien, disparurent presque toutes les formes de vie, animales et végétales,
où la température monta de plusieurs degrés et où la terre redevint aride pour
des millions et des millions d’années !
Mais ce n’est pas essentiellement
à nous fournir ces précisions scientifiques que tend le livre de Grisel. Son
intention est nettement politique. Au sens large du terme. Dénonçant le règne
des puissances d’argent égoïstes autant qu’irresponsables, il prend largement à
partie le système financier international, les grandes compagnies qui font
main-basse sur les richesses collectives, brevètent sans vergogne le vivant
dont ils dépouillent les peuples, font fi des conséquences de leurs prédations
pour imposer au monde une philosophie du court terme où rien ne compte que la
jouissance du présent liée à la loi du plus fort. C’est parce que nous sommes
pris dans l’hystérie collective de la consommation irréfléchie que toute une
part de l’humanité, la plus riche, peut dissiper en un instant ce qui ne s’est
constitué qu’au prix de millions d’années. Détruisant du même coup le fragile
équilibre de notre survie. Quel monde alors, s’interroge Grisel, auront, à la
fin de leur vie, devant eux, les enfants qui aujourd’hui naissent ?
« Déposséder les possédants »
Pourtant des solutions existent.
Laurent Grisel y insiste à la fin de son réquisitoire. Mais pour cela « il faut déposséder les possédants de tout /
leur reprendre les ressources qu’ils dilapident / leur reprendre les décisions
qu’ils prennent à notre place ». Pas sûr qu’on y arrivera.
Reste que si l’espèce disparaît,
l’Univers continuera comme si de rien n’était. La Terre reprendra le dessus.
Trouvera d’autres équilibres avant que les océans finalement ne s’évaporent,
que la planète tout entière ne soit vaporisée puis que toute notre galaxie sans
compter le superamas dont nous faisons partie ne soit aspirée dans ce Grand
Attracteur vers lequel sans en avoir la moindre conscience nous fonçons depuis
des milliards d’années à plus de 600 kilomètres / seconde !
Climats est un
livre qu’il faut lire et méditer. Poème, donc
habité profondément de l’intérieur, il en déconcertera sans doute certains
par son aspect de prose coupée. Son indifférence aux effets prétendument
poétiques. Il me semble toutefois que c’est à partir de cette voie que l’auteur
a choisie, celle de l’intelligence à la fois ouverte et sensible, que la poésie
pourra retrouver aux yeux du public qui la fuit, un peu de sa généreuse et vitale
nécessité.
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