« J’hésite toujours à applaudir les artistes
et les poètes car ce n’est pas les aider que de les conforter dans leurs
mauvais penchants hystériques et narcissiques »
Julien BOUTREUX
Le
métier de poète engendre bien des frustrations. Aspirant comme chacun et
peut-être un peu plus que les autres, à la reconnaissance, le poète, qu’il soit
non édité, mal édité, bien édité mais toujours trop peu lu, jamais invité, ou
si peu, sur les grands tréteaux culturels du temps – c’est son lot – ne
s’estime jamais à la place, éminente, centrale, à laquelle en son for
intérieur, il aspire. C’est que, même si ce qu’il lui arrive de produire se
révèle au regard objectif d’un intérêt modeste, il est de ceux qui éprouvent
au-dedans d’eux cette fameuse « puissance
d’art » dont parle Nietzsche, qui l’amène à se persuader, peut-être
pas d’ailleurs totalement à tort, qu’il est plus amplement ou profondément
vivant que l’immense majorité de ses pauvres semblables.
Certains,
comme on le voit de plus en plus, en appellent à la puissance supposée des terrifiants
réseaux sociaux pour, de like en like, se donner l’illusion d’être. D’autres,
moins naïfs ou moins patients peut-être, se consolent du sentiment de mépris
dans lequel ils étouffent, en vitupérant les éditeurs, les lecteurs, le
bourgeois, le système, la vie même, quand ce n’est pas tout simplement leurs
confrères, consoeurs, supposés n’être, par rapport à eux que de maigres faiseurs.
Des imposteurs.
Le
petit ouvrage de Julien Boutreux, Le
rasoir d’Ockham appliqué au poète, que ses éditeurs ont eu l’attention de
m’adresser, relève un peu de cette dernière attitude qui, à mon humble avis,
intéresse la sociologie de l’art ou la psychologie de l’artiste plus qu’elle
n’ouvre de voies au besoin que nous avons de sans cesse recomposer et
approfondir, à partir du langage, notre relation, à la fois singulière et
commune, aux choses auxquelles nous nous trouvons tissés comme au monde sans
cesse à redéfinir, qu’obscurs, nous habitons.
Certes,
je n’ignore pas la vague toujours recommencée de cette « poésie bavardage » dont ceux qui
« n’ont rien à dire » lèche
les plages heureusement le plus souvent indifférentes de notre lointaine attention.
Et ne suis pas sans savoir la puissance de bouleversement qu’inversement
possèdent certaines des grandes œuvres les plus apparemment dépressives,
ravageuses ou simplement pessimistes et sombres de notre temps. Mais justement,
n’est pas Cioran, Thomas Bernhard, voire Ch’Vavar, qui veut. Et il ne suffit
pas de proférer, même avec ironie, de
vastes et lugubres vérités ou de promener son dégoût, ses répugnances ou son
simple mal-être sur la digue de Berk ou d’ailleurs pour devenir en vrai le
grand poète qu’on voudrait.
Julien
Boutreux ne manque pas de personnalité. Ni de talent. Mais ce talent gagnerait,
me semble-t-il, à se libérer du poids de ces passions tristes qui l’enferment
finalement dans une espèce de romantisme à la sauce moderne, c’est-à-dire non
dépourvu de toutes les trivialités et renoncements en vogue, où compte
davantage la posture, la caricature, finalement le moi, que la dynamique d’une
sensibilité élargie, avide de se rendre avant tout, dans le travail des mots, l’existence
possible.
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