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Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
mercredi 18 décembre 2019
jeudi 12 décembre 2019
mardi 10 décembre 2019
vendredi 6 décembre 2019
BONNES FEUILLES. TCHERNOBYL, RÉCITS, D’INGRID STORHOLMEN AUX ÉDITIONS LANSKINE.
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Ainsi que je l’écris dans mon précédent
article de blog, dans la ligne ouverte par l’auteur biélorusse Svetlana Alexievitch,
le livre d’Ingrid Storholmen n’en finit pas d’énumérer les retombées effroyables
de la catastrophe de Tchernobyl. Osant plus que son modèle d’ailleurs
s’aventurer, appuyée qu’elle se veut sur une écriture plus ouvertement
poétique, jusque dans l’intimité de ses personnages.
C’est ce que montrent les 2 longs extraits
que nous vous proposons de découvrir dans notre nouveau PDF. Illustré de
diverses photographies montrant le Tchernobyl d’aujourd’hui devenu une des
grandes étapes du tourisme de la catastrophe qui se répand aujourd’hui à la
surface de notre planète : Voir
lundi 2 décembre 2019
Á PROPOS DE TCHERNOBYL, RÉCITS, D’INGRID STORHOLMEN. CE PASSÉ TERRIFIANT QUI RESTE DEVANT NOUS.
« Un évènement raconté par une seule personne
est son destin. Raconté par plusieurs, il devient l’Histoire. »
Svetlana Alexievitch
La Supplication, Tchernobyl, chronique du monde après
l’apocalypse, 1997
La mort le fait frémir, pâlir
Le nez courber, les veines tendre
Le col enfler, la chair mollir,
Jointes et nerfs croître et étendre
François Villon
Le Testament,
1461
Nous vivons dans un monde de solitude et d’abstraction. Où
les chiffres masquent de plus en plus la matérialité des choses. Les
transforment en idées dont le choc sur la conscience passe comme un éclair sans
que nous entendions au plus profond de nous à quelles réalités permanentes,
sensibles, ils correspondent. Plus de 9 millions de personnes meurent chaque
année de faim dans le monde. Un enfant meurt tous les 5 jours, en France, tué
par sa famille. Deux tiers des enfants entre 2 et 14 ans, ce qui fait plus d’un
milliard, font l’objet dans le monde de violences physiques régulières. Chiffres,
chiffres. Abstractions…
Heureusement, des livres, des films, prennent le temps de
nous faire éprouver d’au plus près ce qui se cache de difficultés, de
souffrances, de rêves avortés, d’aspirations sacrifiées, d’existences mutilées,
derrière la connaissance désincarnée que nous avons des choses. Comme la
Supplication qui lui a servi largement de modèle, Tchernobyl, Récits
d’Ingrid Storholmen est de ceux-là. Certes, ces « hommes, femmes,
enfants, babouchkas, adolescents fringants, futures épouses, chiens, esprits »
qui prennent ici la parole le font à travers la voix de cette norvégienne d’une
quarantaine d’années dont les deux sœurs ont dû se faire enlever la thyroïde
pour avoir subi les effets des pluies chargées de césium 137 qui se sont
abattues dans leur propre pays. Mais toute littérature est traduction. Le mot
n’est jamais la chose. Heureusement qu’il est des mots parfois qui aident à
mieux sentir et partager, pour les interroger vraiment, les choses.
Catastrophe, tragédie et certainement pas
comme les dirigeants de l’époque s’essayèrent à en persuader le monde, simple
« accident », ce qui se passa dans la nuit du 25 au 26 avril
1986 marque en profondeur notre histoire. Comme de façon plus terrifiante
encore, brosse peut-être le tableau de ce que nous réserve l’avenir. Nous
interdisant à tout jamais cette aveugle confiance qu’à certains moments nous
aurons pu entretenir envers les technologies. Envers le témoignage de nos
propres sens. Comme envers les gouvernements auxquels nous faisons naïvement
crédit de vouloir avant tout assurer à leur peuple, attention et sécurité [i].
Car au-delà du caractère proprement incommensurable des
victimes qu’elle aura entrainées et continue toujours aujourd’hui à produire,
selon des modalités que personne ne peut se targuer de connaître vraiment, la
catastrophe de Tchernobyl inaugure pour l’homme une relation au monde bien plus
terrible que celle imposée par la guerre. Étant une guerre au-dessus de la guerre[ii]
où l’homme aura porté la main sur tout, sur tout ce qui existe : air, eau,
plantes, animaux, et bien entendu ses semblables, ses proches, faisant de tout
un potentiel ennemi, abritant en son sein les radiations. Á la fois invisibles et
mortelles.
Ils avaient cru se doucher de printemps ceux qui sous les
pluies
brillantes d’une fin d’avril 1986 ont laissé la maladie rouler dans
leurs oreilles, laissé les racines de leurs cheveux s’abreuver de césium. Il
croyait vivre un grand instant[iii],
prélude à toute une vie de bonheur, ce jeune couple faisant pour la première
fois l’amour sous le ciel plein d’étoiles juste avant qu’au-dessus de la centrale
ne s’élève un nuage rouge et gris en forme de champignon et que la vie,
brutalement bascule. Comme dans la Supplication, le livre d’Ingrid
Storholmen n’en finit pas d’énumérer les retombées effroyables de la
catastrophe. Osant plus que son modèle d’ailleurs s’aventurer, appuyée qu’elle
se veut sur une écriture plus ouvertement poétique, jusque dans l’intimité de
ses personnages [iv]. Elle
le fait en soulignant bien la dimension temporelle de l’évènement. Un évènement
dont on connaît la date initiale mais dont nul ne peut prétendre indiquer la
fin.
« Tchernobyl est un évènement encore en cours, les
gens tombent malades non seulement en Ukraine et en Biélorussie, mais aussi en
Norvège. La terre y est toujours condamnée, brebis et rennes doivent encore
être nourris de la main de l’homme. Le temps de désintégration de certaines
matières radioactives est extrêmement long. Tchernobyl est une catastrophe qui
vient à peine de commencer » écrit-elle à la fin de son livre.
Rejoignant la terrible conclusion de Svetlana Alexievitch déclarant à propos
des différents témoignages récoltés par elle entre 1986 et 1996 : « plus
d’une fois j’ai eu l’impression de noter le futur » [v].
[i] « Tous
nos instruments intérieurs sont accordés pour voir, entendre ou toucher. Rien
de cela n’est possible. Pour comprendre, l’homme doit dépasser ses propres
limites. Une nouvelle histoire des sens vient de commencer… » écrit S.
Alexievitch. Dans un monde où les menaces les plus graves sont devenues
largement invisibles : une eau claire dissimulant des poisons toxiques, un
fruit merveilleusement rouge et calibré enfermant les pesticides qui peu à peu
altèreront notre santé, le beau nuage s’avançant dans le ciel bleu porteur de
radiations, les images futiles que nous transférons sur les réseaux sociaux
précipitant sans que nous puissions rien en voir la future catastrophe
climatique… notre esprit rechigne toujours à douter des apparences. Comme il ne
se montre pas toujours assez prompt ni suffisamment éclairé pour se défier
vraiment des discours rassurants qui l’abreuvent. Ce n’est pas seulement du
fait que de nouvelles catastrophes nucléaires sont possibles que des livres
comme ceux de S. Alexievitch ou de I. Storholmen, comme j’y insiste en
conclusion, ne nous parlent pas que d’un passé dont les conséquences ne sont
toujours pas épuisées mais aussi d’un avenir qui nous laissera sans doute aussi
désarmés que ceux et celles dont ils auront porté haut et fort la tragique
parole.
[ii] Et
pourtant la guerre, les guerres, qui sont aussi évoquées dans ce livre sont l’occasion
de bien des horreurs. Telles celle que raconte Anna à une journaliste. L’histoire
de son tout jeune enfant mangé par un voisin à l’occasion de la famine
entraînée par le siège de Stalingrad.
[iii] C’est
en hommage au beau livre d’Olivier Barbarant, Un grand instant que le
hasard de mes lectures et de mes relectures a fait cotoyer sur mon bureau les
ouvrages consacrés à Tchernobyl, que j’utilise cette expression. Qui m’a paru
entrer en profonde résonance non seulement par l’esprit mais aussi à travers une
partie de ses motifs déployés avec ce qui fait le fond pathétique du chœur des
voix montant des victimes de la catastrophe nucléaire. Ces victimes avaient une
vie. Des amours. Des habitudes, des rêves. Ils vivaient dans les saisons.
Possédaient un jardin. Des animaux. Se baignaient dans le long courant des
rivières. Si leur vie n’était pas destinée à être une vie tout-à-fait
facile, ils pouvaient toutefois espérer au soir de leur existence, l’unifier
autour de quelques heureux souvenirs : « des gouttes d’eau, un peu
de perle ». C’est aussi cela qu’a détruit Tchernobyl. Tchernobyl qui
au passage signifie « absinthe ». Qu’on retrouve – hasard
objectif ? – dans le titre de la première section du livre de Barbarant.
[iv] Je
remarque en outre que la Supplication qui insiste bien pourtant sur la
déconstruction, chez la plupart des personnes interrogées par l’auteur, du
système ancien de valeurs, est encadrée par 2 récits bouleversants témoignant de
la toute puissance d’un amour absolu. Le livre de Storholmen n’hésite pas à
montrer comment aux yeux d’une femme amoureuse la maladie de son époux a fini
par le transformer à ses yeux en « une chose, rien qu’une chose. Pas
son homme ». Rien qu’« un trou où déverser la soupe, un autre
pour la recracher ». Les rayons ne font pas que dévorer des chairs. Ils
finissent par détruire les plus beaux sentiments.
[v] Il faut
opposer la tragique lucidité de nos deux auteurs à l’hallucinante superficialité
de ces touristes de la catastrophe qui viennent aujourd’hui dans la zone d’exclusion,
se faire photographier au pied du nouveau sarcophage, profitant ainsi des
offres de peu scrupuleux opérateurs leur proposant de « vivre à leur
tour et de partager l’expérience de Tchernobyl ». Etrangement, par
ailleurs, la littérature autour de Tchernobyl, notent nos deux auteurs, est
relativement pauvre. On ne peut que se réjouir donc de la sortie de ce nouveau
livre de I. Storholsen comme du succès mérité de la très efficace et
passionante série diffusée récemment sur NETFLIX, sobrement intitulée Tchernobyl.
mercredi 27 novembre 2019
DES EFFETS MONSTRUEUX DE LA GLOBISHISATION. POURQUOI IL NOUS FAUT IMPÉRATIVEMENT LIRE LE DERNIER LIVRE DE GÉRARD CARTIER !
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Poètes, écrivains, enseignants nous sommes
attachés à cette langue que nous travaillons et tentons de transmettre. Car
nous savons que la langue comme l’écrit Barbara Cassin, prolongeant une belle
image du grand linguiste allemand Humboldt, « n'est pas seulement un
instrument de communication, un service ; ce n'est pas non plus seulement un
patrimoine, une identité à préserver. C’est un filet jeté sur le monde »
qui ramène à notre conscience une part de réalité. Nous permettant de la
penser. Plus une langue est forte, riche, plus la part de réalité qu’elle nous
permet d’entrevoir est précise et profonde. Plus la langue s’appauvrit, plus le
filet de son vocabulaire, les mailles de sa structure se distendent, plus large
devient la part de monde qui fuit hors de notre conscience. Échappe à notre sensibilité.
« Quand
on dit « bonjour » ou « good morning », on souhaite que la journée soit bonne.
Quand les Grecs se saluaient, ils disaient « Khaire », « jouis », réjouis-toi
de la beauté du monde dont tu fais partie. Les Latins disaient plutôt « vale »,
« sois en bonne santé ». En arabe, en hébreu, on fait שלום que « la paix soit avec toi ». En
mandarin, paraît-il, on demande : « As-tu mangé ? » C'est toujours bonjour,
mais on n'ouvre pas le monde de la même manière. » écrit Barbara Cassin dans une chronique
de l’Humanité reprise en ligne par le collectif national l’Appel des
appels, qui s’est donné pour mission de « résister à la destruction
volontaire et systématique de tout ce qui tisse le lien social ».
En l’occurrence ici notre heureuse et féconde diversité.
Dès lors comment ne pas réagir face à la
mise en place de cette pseudo-langue universelle, le « globish »
dont il faudrait être aveugle pour ne pas voir comment – sous des apparences légères
et le plus souvent ludiques – le terrible travail d’uniformisation des sensibilités
et des consciences qu’il entreprend, nous soumet chaque jour davantage au règne
de l’argent et de la marchandise.
Sous le régime nazi, un philologue allemand
Viktor Klemperer a tenu un compte quasi journalier de la façon dont la langue
du 3ème Reich, - c’est le titre de son ouvrage [1]
– est, à force de simplisme et de matraquage, parvenu à faire nager "dans la même sauce brune " la plupart des esprits d’un des pays comptant pourtant
parmi les plus cultivés d’Europe.[2]

[1]
Victor KLEMPERER, LTI, la langue du 3e
Reich. Carnets d'un philologue, Paris, Albin Michel (coll. Bibliothèque Idées),
1996, 375 p. Traduit de l'allemand et annoté par Elisabeth Guillot. Présenté
par Sonia Combe et Alain Brossat.
[2]
Qui fabrique la LTI ? V. Klemperer voit en Gœbbels son forgeron principal, et
en Hitler, Göring et Rosenberg ses acolytes. Qui parle la LTI ? « Tous,
littéralement tous, parlaient […] une seule et même LTI» (p. 330). Le nazisme a
fait de la langue du parti la langue de tous. Il a fait d'un bien particulier
un bien général. Il a accompli son dessein totalitaire. Partout, même « dans
les maisons de Juifs, on avait adopté la langue du vainqueur » (p. 258). Les
mots circulent, du parti à l'armée, du parti à l'économie, du parti au sport,
du parti aux jardins d'enfants. Le mot Weltanschauung (vision du monde),
à son départ « terme clanique », se met à circuler sur toutes les lèvres : «
Chaque petit-bourgeois et chaque épicier des plus incultes parle à tout propos
de sa Weltanschauung et de son attitude fondée sur sa Weltanschauung »
(p. 191). Extrait du CR de l’ouvrage de V. Klemperer par Alice Krieg, dans la
revue Mots, n°50, mars 1997. Israël - Palestine. Mots d'accord et de
désaccord. Voir en ligne : https://www.persee.fr/issue/mots_0243-6450_1997_num_50_1?sectionId=mots_0243-6450_1997_num_50_1_2319
samedi 23 novembre 2019
FUREURS COMIQUES OU PERCEVAL CHEZ LE MARQUIS DE SADE. UNE ŒUVRE DU XIIIème SIÈCLE Á DÉCOUVRIR : TRUBERT, DE DOUIN DE LAVESNE AUX ÉDITIONS LURLURE.
Est-il sot, est-il fou, est-il diable ? Ce Trubert
en tout cas est un sacré, satané, personnage. Issu de l’imagination d’un auteur,
Douin de Lavesne, dont nous ne savons rien, sinon qu’il vécut au XIIIème siècle,
il revit aujourd’hui grâce à la hardiesse des éditions Lurlure qui redonnent de
ce texte - dont l’histoire n’aura conservé durant plus de cinq siècles qu’une unique
copie - une version en français moderne, heureusement mise en regard de son singulier
et bien troublant original.
Le lecteur à qui la matière de Bretagne n’est pas totalement
étrangère et qui aura conservé souvenir de ses lectures de Chrétien de Troyes,
en particulier de son Perceval, ne manquera pas de remarquer combien ce
jeune « nice », sorti de sa forêt, qui n’a jamais vu un
crucifix, confond sol et denier et se sentira condamné au plus grand inconfort
quand on lui offrira de dormir sous les draps d’une couche moelleuse, s’affranchit
du chemin suivi par « li filz a la veve dame»[1]
qui en constitue le modèle initial. Notre Trubert n’a rien de la pureté
foncière d’un quêteur de Graal, ni de la délicatesse d’un amant, rêvant à sa bien-aimée
devant trois simples gouttes de sang tombées au matin sur la neige. Tout au
contraire. C’est un violent. Un qui frappe. Et qui cogne. Se moque. Et
obstinément viole.
mardi 19 novembre 2019
NOTRE INVISIBLE CAGE D’ACIER. SUR UN PLACET DE GÉRARD CARTIER : DU FRANGLAIS AU VOLAPÜK, CHEZ OBSIDIANE.
« Jamais notre langue n’a
été aussi malmenée et jamais à ce point mal aimée ». C’est vrai que de
découvrir, par exemple, dans la bouche d’un Président de la République, se
piquant d’avoir été proche d’un philosophe comme Paul Ricoeur, qu’il croit
« dans l’autonomie et la souveraineté » car « la démocratie est
le système le plus bottom up [sic] de la terre », a de quoi faire bouillir
jusqu’aux natures les plus tièdes. Faire se cabrer jusqu’aux plus flegmatiques et
accommodants esprits [1].
We are, us, moderns, the new France
mercredi 13 novembre 2019
LAURENT GRISEL. RÉVÉLER LA GRANDEUR DE TOUTE EXISTENCE HUMAINE.
Laurent Grisel est un homme d'attention. Aux êtres comme aux
faits. Il l'a prouvé aussi bien par son ouvrage Climats que nous avons sélectionné dans le cadre du Prix des Découvreurs 2016-17 que dans les
différents volumes de son Journal de la Crise. Il le prouve à travers
son engagement quotidien pour dénoncer les ravages de tous ordres de notre
capitalisme financier. Le dernier ouvrage auquel il a participé, suite à une
louable initiative du Centre Social et Culturel de Puisaye-Forterre, témoigne
de ce que nous perdons à ne plus considérer comme pourtant elle le mérite, la
part pas nécessairement la moins féconde et belle de notre humanité.
vendredi 8 novembre 2019
PRÉVENIR L'AVÈNEMENT DE NOUVELLES BARBARIES.
Difficile de
résister à l'appel d'un livre qui commencerait de la façon suivante :
PROLOGUE
Entendez-moi.
Nous sommes ici. Nous sommes vivants.
Mille et une choses nous attachent les uns aux autres
: paroles, voix, caresses, sang, textes, chansons, lignes, routes, messages
sans fil. Parfois ce lien s'exprime simplement parce que nous voyons le même
soleil monter dans le ciel, parce que nous écoutons la même chanson à la radio,
récitons le même texte en le murmurant, la tête ailleurs, tandis que nous
faisons la vaisselle après le dîner.
C'est ce qui s'appelle faire partie d'une société.
D'une nation, ou du genre humain. Tout dépend de l'endroit où on place la ligne
de partage.
mercredi 6 novembre 2019
INDIFFÉRENCES CANNIBALES !

mardi 5 novembre 2019
BEAU LIVRE. OURSON LES NEIGES D’ANTAN ? DE LUCIEN SUEL & WILLIAM BROWN. AUX EDITIONS PIERRE MAINARD.
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Un bien beau livre
du toujours intéressant Lucien Suel qui bénéficie ici des pittoresques images
issues des oeuvres graphiques diverses de l’artiste canadien William Brown,
récemment disparu et à qui est dédié cet ouvrage.
En vers pour la
plupart justifiés - sa marque de fabrique - Lucien Suel nous accueille à
nouveau dans l’univers richement matériel et intérieurement habité qui est le
sien. Où j’ai plaisir à retrouver ce rude, rêche et vigoureux monde du Nord que
comme lui je hante avec, comme dans ces scènes de marché de nos anciens maîtres
flamands, Aertsen ou Joachim Beuckelaer, abondance de victuailles. Riches et
pauvres. Aux présences puissantes : porcs cuits, boudin noir, andouilles ...
sans oublier le kipper et le pain perdu
de nos communes enfances.
À cela s’ajoutent
les brises et les braises, les vents et les saisons qui ravivent, secouent les
paysages de blé en herbe, de perches dans les houblonnières ; tout un bestiaire
aussi où le chat de Guarbecque - le village de Lucien - fait ménage avec le
castor, l’orignal et le macareux des terres cousines du Canada.
On trouvera aussi
dans les quatre langues française, anglaise, galloise et pour finir dans une
version d’Ivar Ch’Vavar, en picard, une évocation des quatre évangélistes.
On aurait tort de
se priver des plaisirs et des célébrations d’un tel livre !
POUR DÉCOUVRIR CONRAD AIKEN ! UN ARTICLE APPROFONDI DE CÉCILE VIBAREL.
CLIQUER POUR LIRE L'ARTICLE |
Heureux de pouvoir aujourd'hui publier sur ce blog la bien nourrissante étude de Cécile Vibarel sur cet auteur américain que je ne connaissais pas. Et qui mérite notre attention. Il fut proche de William Carlos Williams et joua un rôle déterminant dans la reconnaissance d'Emily Dickinson dont il publia en 1924 les Selected Poems.
lundi 4 novembre 2019
POÉSIE PRISE DE TÊTE. COMPRENDRE POURQUOI IL FAUT ACCEPTER QUE CERTAINES FORMES DE LA POÉSIE CONTEMPORAINE SOIENT PAR NATURE ILLISIBLES !
Prise de vers que les éditions la rumeur libre viennent de publier est un
livre qui intéressera principalement les poètes. Du moins ceux qui, comme je le
pense depuis longtemps moi-même,
considèrent que le poème, reconfigurant par ses rythmes, ses
modulations, ses figures, notre "pays de
langue", remet à sa place centrale le lecteur, l'obligeant à
l'investir en "paysage",
c'est-à-dire en Sujet.
Nulle ambition ici
de rendre compte de la totalité de ce livre sérieux, documenté, fruit nous dit
l'éditeur "d'une dizaine d'années de
pratique du poème et de réflexion sur la poésie depuis Mallarmé".
Le projet de Vinclair est ambitieux mais clair. Il s'agit d'interroger et de
comprendre l'illisibilité de toute une
partie de notre poésie contemporaine qui fait qu'elle s'est coupée de la
quasi-totalité de ses lecteurs potentiels et ne survit plus, globalement, qu'au
sein d'une sorte de secte ou de confrérie, celle des "poètes s'entrelisant". Et encore !
Pour
Pierre Vinclair, cette situation ne présente rien d'étonnant. Elle est
constitutive de la nature même de l'expérience poétique qu'il décrit. Qui n'est
pas celle de toute la poésie ou des poésies qui existent de nos jours et que
nous connaissons. Mais celle de la poésie fondée sur des pratiques de langage
qui la différencient totalement des œuvres qu'il appelle classiques et qu'il dit rassemblées, ordonnées, construites, autour d'un sens qui leur serait extérieur et préalable. Emportant sans s'en laisser conter toutes les résistances que lui opposent les forces et formes propres des codes
esthétiques, grammaticaux et sémantiques dans lesquels il lui faut se couler.
La poésie dont nous parle Vinclair est en effet celle qui travaille la matière
de la langue non pas à partir d'une pensée première dont elle opérerait pour se communiquer, la traduction, mais d'une pensée non encore
vraiment pensée. À venir. Et dont le propre serait de n'être jamais
close. Se montrant in
fine toujours merveilleusement ou
redoutablement, ouverte.
Si, je le confesse,
j'éprouve toujours un peu de mal avec l'idée de souffrance, de corps souffrant
de la langue que Pierre Vinclair privilégie dans ses analyses,
préférant, de façon moins christique, ne parler à propos de la dite langue que
de son irréductible et féconde résistance, je partage largement l'idée que
l'auteur de Sans adresse, se fait de la
relation que le poème contemporain dont il parle, entretient avec son lecteur.
"Publier un poème, écrit-il, […] ce n'est
plus écrire à quelqu'un de particulier. […] Les destinataires du poème (publié)
ne sont pas (ou ne sont plus) ses lecteurs empiriques. Bien plutôt, ils doivent
se rendre dignes de ce corps qui ne leur était pas destiné : c'est-à-dire
qu'ils doivent faire l'effort (non pas d'interpréter mais) de se hisser
jusqu'au "vrai lieu" (pour reprendre un terme cher à Yves Bonnefoy)
où se donne le corps de la langue. Bref, tenter de recevoir le poème, c'est
d'abord le chercher, et tâcher de se hisser jusqu'à lui. De l'étreindre dans un
corps à corps (plutôt que dans une lecture). Recevoir le poème revient donc à
[…] faire l'épreuve de sa propre puissance, en s'élevant peu à peu, à la
dignité du corps de la langue."
C'est en cela, nous
dit Vinclair, que le poème - du moins le poème qui n'aura pas renoncé à son
intransitivité qu'elle soit radicale ou partielle, c'est-à-dire à son refus
premier de s'abolir dans un discours
préalable - fabrique plus qu'aucune autre forme de parole, ce qu'il appelle un
"cercle des égaux". Tout
lecteur devant se montrer à son tour poète pour faire l'expérience de sa propre
puissance herméneutique. Qui consiste non pas à force d'intelligence et
d'observations précises à reconstituer le sens caché, premier du texte. Qui n'a
jamais existé. Mais à tenter de traduire, pour lui, l'énergie, la forme
particulière de vitalité que la nature particulière de de ses opérations de
langage est venue exposer devant lui. En paysage. Qu'il lui appartient à son tour d'écrire.
Rien d'étonnant dès lors à ce que le plus grand nombre préfère, comme le dirait Bonnefoy, « la séduction des structures closes » dans laquelle notre société et la plus grande part de notre éducation malheureusement nous enferment, à cette prise de tête ;
l'auteur qui aime les jeux de mots, renvoyant dans son titre à cette
expression, en référence bien sûr à la
fameuse Crise de vers de Mallarmé qui
par ailleurs lui fournit de solides bases théoriques.
On ajoutera qu'en
conclusion Pierre Vinclair reconnaît et c'est une évidence que le champ
poétique actuel se positionne de plus en plus aujourd'hui sur des conceptions
bien différentes. Revendiquant de nouvelles formes de lisibilité donnant toutes
leur chance aux discours théoriquement libérateurs. Qu'ils soient identitaires,
centrés sur la question des minorités, ou écologiques. Toute une jeune poésie
française, on le voit, largement inspirée par la lecture des américains, s'est
engouffrée dans cette voie qui bien sûr reçoit un accueil bien plus favorable
des publics comme des institutions culturelles préoccupées trop souvent de
suivre la plupart des postures, ou des impostures, à la mode.
J'hésite, pensant à
tous ceux qui aujourd'hui proclament à longueur de livres et d'articles que la
poésie est la clé de notre survie, à
reproduire pour finir les dernières paroles de ce livre stimulant : "On ne sauve pas le monde avec un livre de poèmes, et
les ambitions du poète trop hautes, se fracasseront au contact de la dure
réalité.
Mais dans ce fracas lui-même, réside la beauté."
dimanche 3 novembre 2019
PARTAGE. JEAN BRUSSELMANS PEINTRE BELGE, 1884 - 1953.
On connaît
mal en France l'œuvre du peintre belge Brusselmans, né au sein d'une famille du
quartier populaire des Marolles à Bruxelles ! Et mort à Dilbeek, petite commune
du Brabant situé à quelques dizaines de kilomètres de la capitale.
D'une grande pauvreté lui-même, toute sa
vie, il partagea l'existence difficile des pauvres. Sans faire de concessions à
l'air du temps. Ni au goût désastreux du public. Tout au plus accepta-t-il de
peindre pour trouver de quoi vivre, quelques panneaux publicitaires.
vendredi 18 octobre 2019
RECOMMANDATION. HABITER. UN LIVRE DE SEREINE BERLOTTIER ET JÉRÉMY LIRON AUX ÉDITIONS LES INAPERÇUS.
Comme on aimerait pouvoir rassembler en une seule et belle
phrase, voire en un seul et beau livre profond, brillant, définitif, cette indécidable
part d’intime réalité autour de laquelle de textes en textes, de tableaux en
tableaux, de tentatives en tentatives, nous tournons en fragments, en images.
Dans la sourde mélancolie de ne jamais pouvoir pleinement l’habiter.
Habiter. Oui c’est cela : habiter. Mais que faut-il
encore entendre par ce mot ? Tant nos formes et
mardi 8 octobre 2019
RECOMMANDATION. LA POÉSIE INTIME ET POLITIQUE DE CHRISTINE CHIA. SINGAPOUR.
Nous n’avons pas besoin de vérité, mais de parole. C’est,
à mes yeux, la suprême raison de l’existence de la poésie. Répondre, à travers
le système commun d’une langue que nous partageons avec l’ensemble de nos
semblables, aux diverses pressions que nous éprouvons de la vie, est en soi,
comme un moyen d’échapper à l’angoisse de notre condition séparée. Tout en
affirmant, par le travail d’art plus ou moins important que cela suppose, sa
propre singularité.
Du commun et du singulier, la jeune poète singapourienne
de langue anglaise, Christine Chia, dont Le
corridor bleu propose aujourd’hui, réunis dans le même volume, la
traduction par l’excellent Pierre Vinclair, des deux premiers recueils, La Loi des remariages et Séparation : une histoire, s’en
réclame quant à elle de bien intéressante manière. En faisant, dans ce livre, se
correspondre, en miroir, sa douloureuse histoire familiale et celle de la
République de Singapour en la personne principalement de son ancien leader, Lee
Kuan Yew, l’homme qui aura présidé à son rattachement à la Malaisie en 1963,
avant d’être contraint, en 1965, de s’en séparer.
mardi 1 octobre 2019
FRUSTRATION DU POÈTE MODERNE. CE QUE GAGNERAIENT CERTAINS TALENTS À FUIR LES PASSIONS TRISTES.
« J’hésite toujours à applaudir les artistes
et les poètes car ce n’est pas les aider que de les conforter dans leurs
mauvais penchants hystériques et narcissiques »
Julien BOUTREUX
Le
métier de poète engendre bien des frustrations. Aspirant comme chacun et
peut-être un peu plus que les autres, à la reconnaissance, le poète, qu’il soit
non édité, mal édité, bien édité mais toujours trop peu lu, jamais invité, ou
si peu, sur les grands tréteaux culturels du temps – c’est son lot – ne
s’estime jamais à la place, éminente, centrale, à laquelle en son for
intérieur, il aspire. C’est que, même si ce qu’il lui arrive de produire se
révèle au regard objectif d’un intérêt modeste, il est de ceux qui éprouvent
au-dedans d’eux cette fameuse « puissance
d’art » dont parle Nietzsche, qui l’amène à se persuader, peut-être
pas d’ailleurs totalement à tort, qu’il est plus amplement ou profondément
vivant que l’immense majorité de ses pauvres semblables.
mercredi 25 septembre 2019
VIVRE DE SA PASSION ? OUI. MAIS À QUEL PRIX. À PROPOS DE FAUT BIEN MANGER D’EMANUEL CAMPO.
Les
ouvrages nous permettant de nous faire une idée de la façon dont, au jour le
jour, je veux dire dans sa réalité triviale et quotidienne, est vécu le métier de poète, sont à mon avis trop
rares pour ne pas devoir être signalés. Entre idéalisation romantique et caricature
pseudo-naturaliste, il n’est pas toujours facile de se représenter l’existence
par exemple d’un jeune homme d’aujourd’hui entré dans les arts, comme aurait
dit Murger « sans autre moyen
d’existence que l’art lui-même » et « sans autre fortune […] que le courage qui est la vertu des jeunes, et
que l’espérance qui est le million des pauvres ».
C’est
pourquoi le petit livre d’Emanuel Campo, Faut
bien manger, publié l’an dernier par La Boucherie littéraire, ne doit pas
être négligé. Certes, on ne saurait affirmer sans se montrer un brin complaisant,
qu’au strict plan littéraire, l’ouvrage apporte quoi que ce soit à l’histoire
de la poésie. Écrit avec une certaine désinvolture, recourant à bien des facilités
du moment, peu ambitieux donc sur la forme, le travail d’Emmanuel Campo
intéresse par autre chose. Une sorte de sincérité ou d’honnêteté retorses par
lesquelles il parvient, nous dévoilant l’envers du décor, à faire de ses
propres faiblesses, une force et à nous sensibiliser de cette manière aux
principales contradictions que la condition d’artiste qui est la sienne, oblige
à affronter.
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