Si je n'ai toujours
rien dit du livre d'Eric Pessan, Ce qui
sauterait aux trois yeux du Martien fraîchement débarqué, que les
éditions LansKine m'ont adressé il y a quelques mois déjà, ce n'est pas par
indifférence. Ou parce que je trouverais que "ce livre n'est pas de la poésie [et qu'il] manque de spiritualité et de
travail de la langue". Ceux qui comme moi reçoivent beaucoup des
éditeurs et des auteurs qui, comme c'est bien normal, tentent d'assurer à leurs
livres ce minimum de présence sociale qui légitime, dans le contexte déprimant
qu'on sait, les efforts nécessités par leur publication, me comprendront.
Impossible de répondre à tout. Impossible de se montrer à la hauteur de tout.
Impossible. Même en acceptant de faire fi de tout ce qui ne paraît pas
nécessaire. Sans compter bien sûr, le factice ou le dérisoire.
Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
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mercredi 6 novembre 2019
mardi 5 novembre 2019
BEAU LIVRE. OURSON LES NEIGES D’ANTAN ? DE LUCIEN SUEL & WILLIAM BROWN. AUX EDITIONS PIERRE MAINARD.
CLIQUER POUR LIRE LE DOCUMENT |
Un bien beau livre
du toujours intéressant Lucien Suel qui bénéficie ici des pittoresques images
issues des oeuvres graphiques diverses de l’artiste canadien William Brown,
récemment disparu et à qui est dédié cet ouvrage.
En vers pour la
plupart justifiés - sa marque de fabrique - Lucien Suel nous accueille à
nouveau dans l’univers richement matériel et intérieurement habité qui est le
sien. Où j’ai plaisir à retrouver ce rude, rêche et vigoureux monde du Nord que
comme lui je hante avec, comme dans ces scènes de marché de nos anciens maîtres
flamands, Aertsen ou Joachim Beuckelaer, abondance de victuailles. Riches et
pauvres. Aux présences puissantes : porcs cuits, boudin noir, andouilles ...
sans oublier le kipper et le pain perdu
de nos communes enfances.
À cela s’ajoutent
les brises et les braises, les vents et les saisons qui ravivent, secouent les
paysages de blé en herbe, de perches dans les houblonnières ; tout un bestiaire
aussi où le chat de Guarbecque - le village de Lucien - fait ménage avec le
castor, l’orignal et le macareux des terres cousines du Canada.
On trouvera aussi
dans les quatre langues française, anglaise, galloise et pour finir dans une
version d’Ivar Ch’Vavar, en picard, une évocation des quatre évangélistes.
On aurait tort de
se priver des plaisirs et des célébrations d’un tel livre !
lundi 4 novembre 2019
POÉSIE PRISE DE TÊTE. COMPRENDRE POURQUOI IL FAUT ACCEPTER QUE CERTAINES FORMES DE LA POÉSIE CONTEMPORAINE SOIENT PAR NATURE ILLISIBLES !
Prise de vers que les éditions la rumeur libre viennent de publier est un
livre qui intéressera principalement les poètes. Du moins ceux qui, comme je le
pense depuis longtemps moi-même,
considèrent que le poème, reconfigurant par ses rythmes, ses
modulations, ses figures, notre "pays de
langue", remet à sa place centrale le lecteur, l'obligeant à
l'investir en "paysage",
c'est-à-dire en Sujet.
Nulle ambition ici
de rendre compte de la totalité de ce livre sérieux, documenté, fruit nous dit
l'éditeur "d'une dizaine d'années de
pratique du poème et de réflexion sur la poésie depuis Mallarmé".
Le projet de Vinclair est ambitieux mais clair. Il s'agit d'interroger et de
comprendre l'illisibilité de toute une
partie de notre poésie contemporaine qui fait qu'elle s'est coupée de la
quasi-totalité de ses lecteurs potentiels et ne survit plus, globalement, qu'au
sein d'une sorte de secte ou de confrérie, celle des "poètes s'entrelisant". Et encore !
Pour
Pierre Vinclair, cette situation ne présente rien d'étonnant. Elle est
constitutive de la nature même de l'expérience poétique qu'il décrit. Qui n'est
pas celle de toute la poésie ou des poésies qui existent de nos jours et que
nous connaissons. Mais celle de la poésie fondée sur des pratiques de langage
qui la différencient totalement des œuvres qu'il appelle classiques et qu'il dit rassemblées, ordonnées, construites, autour d'un sens qui leur serait extérieur et préalable. Emportant sans s'en laisser conter toutes les résistances que lui opposent les forces et formes propres des codes
esthétiques, grammaticaux et sémantiques dans lesquels il lui faut se couler.
La poésie dont nous parle Vinclair est en effet celle qui travaille la matière
de la langue non pas à partir d'une pensée première dont elle opérerait pour se communiquer, la traduction, mais d'une pensée non encore
vraiment pensée. À venir. Et dont le propre serait de n'être jamais
close. Se montrant in
fine toujours merveilleusement ou
redoutablement, ouverte.
Si, je le confesse,
j'éprouve toujours un peu de mal avec l'idée de souffrance, de corps souffrant
de la langue que Pierre Vinclair privilégie dans ses analyses,
préférant, de façon moins christique, ne parler à propos de la dite langue que
de son irréductible et féconde résistance, je partage largement l'idée que
l'auteur de Sans adresse, se fait de la
relation que le poème contemporain dont il parle, entretient avec son lecteur.
"Publier un poème, écrit-il, […] ce n'est
plus écrire à quelqu'un de particulier. […] Les destinataires du poème (publié)
ne sont pas (ou ne sont plus) ses lecteurs empiriques. Bien plutôt, ils doivent
se rendre dignes de ce corps qui ne leur était pas destiné : c'est-à-dire
qu'ils doivent faire l'effort (non pas d'interpréter mais) de se hisser
jusqu'au "vrai lieu" (pour reprendre un terme cher à Yves Bonnefoy)
où se donne le corps de la langue. Bref, tenter de recevoir le poème, c'est
d'abord le chercher, et tâcher de se hisser jusqu'à lui. De l'étreindre dans un
corps à corps (plutôt que dans une lecture). Recevoir le poème revient donc à
[…] faire l'épreuve de sa propre puissance, en s'élevant peu à peu, à la
dignité du corps de la langue."
C'est en cela, nous
dit Vinclair, que le poème - du moins le poème qui n'aura pas renoncé à son
intransitivité qu'elle soit radicale ou partielle, c'est-à-dire à son refus
premier de s'abolir dans un discours
préalable - fabrique plus qu'aucune autre forme de parole, ce qu'il appelle un
"cercle des égaux". Tout
lecteur devant se montrer à son tour poète pour faire l'expérience de sa propre
puissance herméneutique. Qui consiste non pas à force d'intelligence et
d'observations précises à reconstituer le sens caché, premier du texte. Qui n'a
jamais existé. Mais à tenter de traduire, pour lui, l'énergie, la forme
particulière de vitalité que la nature particulière de de ses opérations de
langage est venue exposer devant lui. En paysage. Qu'il lui appartient à son tour d'écrire.
Rien d'étonnant dès lors à ce que le plus grand nombre préfère, comme le dirait Bonnefoy, « la séduction des structures closes » dans laquelle notre société et la plus grande part de notre éducation malheureusement nous enferment, à cette prise de tête ;
l'auteur qui aime les jeux de mots, renvoyant dans son titre à cette
expression, en référence bien sûr à la
fameuse Crise de vers de Mallarmé qui
par ailleurs lui fournit de solides bases théoriques.
On ajoutera qu'en
conclusion Pierre Vinclair reconnaît et c'est une évidence que le champ
poétique actuel se positionne de plus en plus aujourd'hui sur des conceptions
bien différentes. Revendiquant de nouvelles formes de lisibilité donnant toutes
leur chance aux discours théoriquement libérateurs. Qu'ils soient identitaires,
centrés sur la question des minorités, ou écologiques. Toute une jeune poésie
française, on le voit, largement inspirée par la lecture des américains, s'est
engouffrée dans cette voie qui bien sûr reçoit un accueil bien plus favorable
des publics comme des institutions culturelles préoccupées trop souvent de
suivre la plupart des postures, ou des impostures, à la mode.
J'hésite, pensant à
tous ceux qui aujourd'hui proclament à longueur de livres et d'articles que la
poésie est la clé de notre survie, à
reproduire pour finir les dernières paroles de ce livre stimulant : "On ne sauve pas le monde avec un livre de poèmes, et
les ambitions du poète trop hautes, se fracasseront au contact de la dure
réalité.
Mais dans ce fracas lui-même, réside la beauté."
vendredi 18 octobre 2019
RECOMMANDATION. HABITER. UN LIVRE DE SEREINE BERLOTTIER ET JÉRÉMY LIRON AUX ÉDITIONS LES INAPERÇUS.
Comme on aimerait pouvoir rassembler en une seule et belle
phrase, voire en un seul et beau livre profond, brillant, définitif, cette indécidable
part d’intime réalité autour de laquelle de textes en textes, de tableaux en
tableaux, de tentatives en tentatives, nous tournons en fragments, en images.
Dans la sourde mélancolie de ne jamais pouvoir pleinement l’habiter.
Habiter. Oui c’est cela : habiter. Mais que faut-il
encore entendre par ce mot ? Tant nos formes et
mardi 8 octobre 2019
RECOMMANDATION. LA POÉSIE INTIME ET POLITIQUE DE CHRISTINE CHIA. SINGAPOUR.
Nous n’avons pas besoin de vérité, mais de parole. C’est,
à mes yeux, la suprême raison de l’existence de la poésie. Répondre, à travers
le système commun d’une langue que nous partageons avec l’ensemble de nos
semblables, aux diverses pressions que nous éprouvons de la vie, est en soi,
comme un moyen d’échapper à l’angoisse de notre condition séparée. Tout en
affirmant, par le travail d’art plus ou moins important que cela suppose, sa
propre singularité.
Du commun et du singulier, la jeune poète singapourienne
de langue anglaise, Christine Chia, dont Le
corridor bleu propose aujourd’hui, réunis dans le même volume, la
traduction par l’excellent Pierre Vinclair, des deux premiers recueils, La Loi des remariages et Séparation : une histoire, s’en
réclame quant à elle de bien intéressante manière. En faisant, dans ce livre, se
correspondre, en miroir, sa douloureuse histoire familiale et celle de la
République de Singapour en la personne principalement de son ancien leader, Lee
Kuan Yew, l’homme qui aura présidé à son rattachement à la Malaisie en 1963,
avant d’être contraint, en 1965, de s’en séparer.
mardi 1 octobre 2019
FRUSTRATION DU POÈTE MODERNE. CE QUE GAGNERAIENT CERTAINS TALENTS À FUIR LES PASSIONS TRISTES.
« J’hésite toujours à applaudir les artistes
et les poètes car ce n’est pas les aider que de les conforter dans leurs
mauvais penchants hystériques et narcissiques »
Julien BOUTREUX
Le
métier de poète engendre bien des frustrations. Aspirant comme chacun et
peut-être un peu plus que les autres, à la reconnaissance, le poète, qu’il soit
non édité, mal édité, bien édité mais toujours trop peu lu, jamais invité, ou
si peu, sur les grands tréteaux culturels du temps – c’est son lot – ne
s’estime jamais à la place, éminente, centrale, à laquelle en son for
intérieur, il aspire. C’est que, même si ce qu’il lui arrive de produire se
révèle au regard objectif d’un intérêt modeste, il est de ceux qui éprouvent
au-dedans d’eux cette fameuse « puissance
d’art » dont parle Nietzsche, qui l’amène à se persuader, peut-être
pas d’ailleurs totalement à tort, qu’il est plus amplement ou profondément
vivant que l’immense majorité de ses pauvres semblables.
mercredi 25 septembre 2019
VIVRE DE SA PASSION ? OUI. MAIS À QUEL PRIX. À PROPOS DE FAUT BIEN MANGER D’EMANUEL CAMPO.
Les
ouvrages nous permettant de nous faire une idée de la façon dont, au jour le
jour, je veux dire dans sa réalité triviale et quotidienne, est vécu le métier de poète, sont à mon avis trop
rares pour ne pas devoir être signalés. Entre idéalisation romantique et caricature
pseudo-naturaliste, il n’est pas toujours facile de se représenter l’existence
par exemple d’un jeune homme d’aujourd’hui entré dans les arts, comme aurait
dit Murger « sans autre moyen
d’existence que l’art lui-même » et « sans autre fortune […] que le courage qui est la vertu des jeunes, et
que l’espérance qui est le million des pauvres ».
C’est
pourquoi le petit livre d’Emanuel Campo, Faut
bien manger, publié l’an dernier par La Boucherie littéraire, ne doit pas
être négligé. Certes, on ne saurait affirmer sans se montrer un brin complaisant,
qu’au strict plan littéraire, l’ouvrage apporte quoi que ce soit à l’histoire
de la poésie. Écrit avec une certaine désinvolture, recourant à bien des facilités
du moment, peu ambitieux donc sur la forme, le travail d’Emmanuel Campo
intéresse par autre chose. Une sorte de sincérité ou d’honnêteté retorses par
lesquelles il parvient, nous dévoilant l’envers du décor, à faire de ses
propres faiblesses, une force et à nous sensibiliser de cette manière aux
principales contradictions que la condition d’artiste qui est la sienne, oblige
à affronter.
mardi 17 septembre 2019
RECOMMANDATION. LE LIVRE JAUNE DE L’AUTRICHIEN ANDREAS UNTERWEGER CHEZ LANSKINE.
C’est un livre vraiment qui m’aura
enchanté, en cette période où, plongé dans la lecture de divers essais qui je l'espère me
feront mieux comprendre certains des grands problèmes que soulèvent la marche et
l’organisation du monde, j’ai laissé s’accumuler sans trouver le temps d’en
parler et parfois même de les lire – et je m’en excuse bien sincèrement - la plupart des ouvrages de poésie que leurs
auteurs m’ont adressés.
Ouvrage inaugural d’une nouvelle
collection dirigée chez LansKine par Paul de Brancion, Le Livre jaune d’Andréas Unterweger est un livre dont j’aimerais pouvoir rendre
compte de façon attentive et détaillée. Tant chez lui intelligence et
sensibilité, simplicité et profondeur, imaginaire et réalité, rigueur et
émotion s’y retrouvent intimement liés. Dans une évocation du bonheur et de l’enfance
qui sous ses dehors de conte poétique, ne se montre jamais niaise et touche
même aux plus philosophiques questions. Qu’on en juge à travers l’un de ses
chapitres qui nous montre les 7 jeunes garçons de la maison jaune, tout au
milieu des champs jaunes, éprouver la pluie qui tombe sur leur territoire d’été.
On appréciera tout particulièrement, outre
la belle traduction à laquelle est parvenue Laurent Cassagnau, le jeu singulier
et particulièrement subtil des italiques et du passage à la ligne.
samedi 6 juillet 2019
ACTUALITÉ DU SONNET ? SANS ADRESSE : LE CHANT D’EXIL DE PIERRE VINCLAIR.
Le Fuxing Park Shanghai, Source Wikipedia |
Tenter de rendre compte dans son détail et ses mille et une
subtilités de l’ouvrage de Pierre Vinclair que les éditions LURLURE, viennent
de m’envoyer en compagnie d’un autre bien intéressant ouvrage d’Ivar Ch'Vavar
que je compte avoir le temps de lire plus attentivement dans les semaines qui
viennent, est une tâche à laquelle je préfère ne pas me risquer, conscient de ne
pouvoir rivaliser avec l’acuité du regard critique et l’ampleur réflexive de l’auteur
de Terre inculte, ouvrage consacré
par Vinclair à donner tout en la commentant pas à pas, sa propre traduction du Waste land de T.S. Eliot.
mercredi 3 juillet 2019
UN CONTE POUR SAUVER LES FILLES ET LES MÈRES ? LOUISE D’ISABELLE ALENTOUR CHEZ LANSKINE !
Non, Louise, cet
ouvrage de poésie qui raconte l’histoire d’une femme violée de façon répétée au
cours de son adolescence, par un beau-père, n’est pas un livre tragique.
Terrible si l’on veut, comme l’est à coup sûr, l’histoire de ces femmes
syriennes évoquées dans cet autre beau livre d’Isabelle Alentour composé d’après
le documentaire réalisé par Manon Loizeau1 sur la façon dont le
régime de Bachar Al Assad utilise le viol comme instrument de répression. Mais
de même qu’Ainsi ne tombe pas la nuit loin
de se terminer sur le constat de l’anéantissement de ces femmes doublement
martyres, du régime inhumain du Boucher de Damas et du caractère impitoyable de
la coutume, montre au final toute la beauté de leur dignité puissamment réaffirmée,
Louise témoigne d’une forme de
reconquête de soi-même et se conclut sur l’espérance revenue de « la belle clarté [et de] la belle sérénité du
matin. »
jeudi 27 juin 2019
SUR LES RONCES DE CÉCILE COULON. AUX ÉDITIONS DU CASTOR ASTRAL.
Le succès de Cécile Coulon, je veux dire de la poésie de
Cécile Coulon, tient un peu du phénomène. Que penser en effet de la fortune de
l’unique recueil de cet auteur de 27 ans qui déjà peut se flatter de réunir des
milliers de lecteurs puis de s’être vu décerner, quelques mois après sa
parution, le-prestigieux-prix-Apollinaire,
habituellement décerné à des auteurs confirmés, d’un autre âge ?
Sans doute que si, parallèlement, Cécile Coulon n’avait pas,
depuis une dizaine d’années, donc à partir de 17 ans, déjà publié chez Viviane
Hamy une bonne poignée de romans ayant assez largement rencontré leur public,
elle serait toujours de ces poètes dont personne ne parle puisque personne ne
les lit.
Ce qui ne signifie pas a
priori qu’il ne faut pas la lire.
vendredi 14 juin 2019
MASSACRES DE TYPHAINE GARNIER. CHEZ LURLURE ! MAIS QUE SALUBRE EST CE CHANT !
Les éditions Lurlure dont j’ai eu l’occasion de dire tout le
bien que je pensais proposent aujourd’hui un ouvrage qui ne manquera pas de
réjouir ceux qui dans la poésie voient avant tout sa matière, ses matières, son
infini travail de langue et abordent la littérature avec suffisamment
d’irrévérencieuse générosité pour demeurer des esprits libres et des natures
créatives.
mercredi 12 juin 2019
LA SECONDE AUGMENTÉE. LA POÉSIE FRICATIVE DE DENISE LE DANTEC. CHEZ TARABUSTE.
De ces égarements singuliers dont sont faits les poèmes,
nous aimons les merveilles. Non celles qui mystifient. Explosant en plein ciel,
pour disparaître aussitôt, loin de vous. Mais celles qui, avec notre vie font
contact. Réaniment. Ne font pas que glisser. Laissent au contraire leur grain,
rude parfois, sur notre peau.
Car il n’est pas vrai que la merveille soit contre toute
réalité. Indifférente à elle. Ne relevant que de la pure fantaisie. D’un jeu
gratuit de l’esprit déréglé s’abandonnant à ses chimères. Cette merveille, que l’auteur
des Illuminations aura d’un geste
souverain, me semble-t-il, imposé pour longtemps à nos imaginaires, procède de
la plus essentielle réalité. De cette réalité incisive. Extensive. Que chacun
peut reconnaître et sentir résonner. Quand il écoute. En soi.
mercredi 24 avril 2019
LE PRIX DES DÉCOUVREURS 2019 À ALEXANDRE BILLON POUR LETTRES D’UNE ÎLE CHEZ P.I. SAGE INTÉRIEUR.
Une fois n’est pas coutume. Il nous aura fallu, cette année,
attendre jusqu’au tout dernier moment pour pouvoir attribuer le prix des
Découvreurs, éditions 2019, aux Lettres d’une île d’Alexandre Billon. Mais si l’ouvrage du jeune poète irakien Ali Thareb, Un homme avec une mouche dans la bouche, a bien failli remporter la mise, porté qu’il était par la naturelle
empathie qui pousse encore les jeunes d’aujourd’hui vers ceux qui subissent
injustement les violences absurdes qui défigurent le monde, c’est une poésie habitée
par un sentiment plus large et plus universel, ouverte non seulement à
l’inquiétude mais aussi à la joie, au plaisir et au bonheur de vivre que la
plus grande partie de nos jeunes ont finalement élue. Et sans doute faut-il se
réjouir de ce choix qui témoigne de l’ouverture de sensibilité d’une jeunesse
qui sans vouloir ignorer les aspects les plus noirs de notre réalité
contemporaine reste attachée à ce qui continue de chercher à dire, sans
miévrerie, sans pathos inutile, la fragile et inquiète beauté de notre
condition.
jeudi 4 avril 2019
POUR WISLAWA SZYMBORSKA. NOUS SOUCIER AVANT TOUT DES PAROLES VIVANTES !
Bien envie de faire découvrir à l’occasion du prochain prix
des Découvreurs dont nous devons très prochainement délivrer la sélection, la
poète polonaise Wisława Szymborska, dont la collection Poésie/Gallimard a récemment
fait paraître une anthologie dont le titre, De
la mort sans exagérer rien que lui déjà interpelle fortement.
EXTRAIT :
Wisława Szymborska – De la mort sans exagérer
Elle n’entend rien aux blagues,
aux étoiles, ni aux ponts,
au tissage, ni aux mines, ni au labourage,
ni aux chantiers navals, ni à la pâtisserie.
Quand elle se mêle de nos projets d’avenir,
elle a toujours le dernier mot
hors sujet.
Elle ne sait même pas faire
ce qui directement se rapporte à son art :
ni creuser une tombe,
ni bâcler un cercueil,
ni nettoyer après.
lundi 18 mars 2019
À LIRE ! DU TRAVAIL DE JEAN-PASCAL DUBOST. APOLOGIE DU POÈTE EN LIBRE TRAVAILLEUR.
Ceux que l’activité littéraire, de nature plus spécialement
poétique, intéressent encore, trouveront j’imagine matières à réflexion et autres
nourritures délectables à la lecture du bel ouvrage de Jean-Pascal Dubost, Du travail, paru récemment à l’Atelier
Contemporain. Ouvrage comme on dit de résidence, le livre de J.P. Dubost
s’écarte toutefois de ce genre souvent un peu léger de production par
l’importance de l’investissement personnel dont il fait montre. Du travail est un travail solide.
Sérieux. D’un sérieux n’excluant heureusement pas l’humour et la fantaisie. Dont
l’intérêt pour moi réside aussi dans le fait qu’il se présente sous la forme
d’une aventure de pensée, menée « en
état de crise poétique et morale », crise dont l’auteur nous conte et compte aussi les
péripéties, sans les abstraire du pittoresque des circonstances où elles sont
nées.
lundi 25 février 2019
LES DÉCOUVREURS AU LYCÉE KERNANEC DE MARCQ-EN-BAROEUL. ENTRE LA PAROLE ET LA VIE.
CLIQUER DANS L'IMAGE POUR DECOUVRIR LE PADLET |
Et puis parce qu’il faut surtout
penser à la vie et ne pas toujours regarder la face la plus sombre des choses,
je suis heureux à la suite de mes deux dernieres interventions sur ce blog d’y
partager aujourd’hui le travail réalisé par les élèves de 1 S du lycée Kernanec
de Marcq-en-Barœul, près de Lille, sous la direction de Marie-Juliette Robine,
une professeur admirable que j’ai la chance de connaître depuis plus d’une
dizaine d’années.
J’espère de tout cœur que ces
lectures contemporaines si diverses accomplies par les jeunes gens dont s’occupe
Marie-Juliette, auront permis à beaucoup d’entre eux, de libérer, comme c’est l’objectif
des Découvreurs, cet élan qui va de la
parole à la vie et de la vie à la parole.
Découvrir le padlet : https://padlet.com/MRobine/prixdesdecouvreurs
jeudi 21 février 2019
À LIRE ! DESTINATION DE LA POÉSIE DE FRANÇOIS LEPERLIER AUX ÉDITIONS LURLURE.
François Leperlier
nous livre dans cet ouvrage qui ne devrait pas manquer de faire réagir, les réflexions
que lui inspire « la situation actuelle de la poésie ». Si la
critique qu’il fait des multiples tentatives de médiatisation dont fait aujourd’hui
l’objet la poésie et dont par ailleurs il affirme qu’elles restent pour l’essentiel
sans effet réel, apparaîtra à certains excessivement radicale, il y aura
profit, je pense, pour chacun, à profiter de la vision qu’il donne de la
nécessité profonde de l’expérience poétique pour approfondir sa réflexion sur la
« destination » de son propre engagement.
Oui. C’est aussi pour moi une évidence. Le poème, cet
accompli dispositif de figures, cet assemblage singulier de rythmes et de mots
par lesquels il se donne à lire ou entendre, ne peut être dissocié de ce qui
vitalement l’anime, le traverse : élan, poussée ; de ce soulèvement
profond et comme rassemblé de ce qu’on peut appeler l’être ou l’âme ou l’imagination,
l’intelligence peut-être aussi… qu’importe. Et c’est pourquoi, je comprends que
certains voient dans ce qu’on appelle poésie,
une dimension, une aspiration fondamentales de l’humanité qui bien au-delà des
mots s’expriment dans la totalité des activités créatrices par lesquelles, sans
cesse, nous ajoutons concrètement comme idéalement, de la réalité à la réalité.
De l’imaginaire aux imaginaires. Dont nous sommes tissés.
Sans doute y-a-t-il quelque risque à trop diluer les
concepts et continuer à n’évoquer par le mot poésie que le genre littéraire qu’il désigne, tout en restant bien
conscient du flou et de la grandissante perméabilité de ses limites, permettra
peut-être de nous éviter bien des dialogues de sourds. Toujours est-il que je
reconnais bien volontiers à l’ouvrage de François Leperlier, Destination de la poésie, qui y voit,
lui, le principe générateur, non seulement de tout art mais de toute expérience
de conscience sinon de présence véritables au monde, le mérite de mettre ainsi
mieux en lumière le type d’exigence que sa pratique personnelle comme son mode
d’existence à l’intérieur de la société, réclament.
mardi 22 janvier 2019
PÉQUENOT DU COSMOS. PIERRE IVART. UN GRAND ARTISTE DE NOTRE TEMPS
« Je parlerai dans ce poème/ D’un monde qui a
déjà bien avancé dans son recul… Dans sa/ Dévastation. » Ce monde dont
entreprend de nous parler Ivar Ch’Vavar, dans La vache d’entropie que viennent de publier les éditions Lurlure,
s’il est bien celui d’abord de son enfance, ce petit territoire rural du
Pas-de-Calais sis entre Montreuil-sur-Mer et Berk, est en réalité bien plus
vaste. Plus vaste aussi sans doute que celui qu’il appelle sa Grande Picardie Mentale, à ne pas
confondre avec ce qui se fait aujourd’hui frauduleusement appeler Hauts-de-France et qu’il ne peut
s’empêcher d’appeler Hauts-de-Merde.
Il me semble être tout simplement, le monde, notre monde à tous, non seulement
celui que le grand troupeau des « politiciens,
journalistes, communicants, et même "intellectuels", philosophes
déclarés, psychanalystes pour le prime time des télés » passé aux
ordres du capitalisme, a fini par imposer à chacun d’entre nous et que l’auteur
figure, à sa manière, sous les traits de l’automobiliste pressé, « vague forme, en buste, massif et obtus,
raidi derrière les vitres de sa bagnole sinistre» mais celui qui en
profondeur se confond avec notre destinée d’être, jeté un jour dans la Grande
Pâture des existences, pour s’en aller, plus ou moins droit, vers la mort.
vendredi 11 janvier 2019
D’ÂME & DE CHAIR. EXERCICE DE L’ADIEU DE JEAN-PIERRE VIDAL.
LE TINTORET SUZANNE ET LES VIEILLARDS VIENNE |
Il est des livres
dans lesquels j’ai plus de difficulté à entrer que d’autres. Ainsi les ouvrages
à caractère moral reposant sur des successions d’aphorismes. Je crois que
l’évolution de ma propre pensée m’a progressivement éloigné de tout ce qui,
formule générale, concept ou autre, tend à emprisonner la réalité dans l’obscure
abstraction des structures closes.
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