Des livres comme ceux que
publient Hélène Sanguinetti sont justement de ces livres qui, poussant à la
limite leur propre affirmation d’être et de solitude peuvent nous aider à
comprendre l’impasse dans laquelle s’engage quiconque voudrait trouver le mot,
découvrir la formule, le magique abracadabra, qui ouvrirait pour chacun le sens
d’une œuvre à tort considérée comme un bloc de significations d’une densité
telle qu’il y faudrait une culture, une attention exceptionnelles pour en
pénétrer, ne serait-ce qu’un peu, les principaux arcanes.
Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
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mercredi 21 juin 2017
IL Y A ENCORE DE QUOI CHANTER ! DOMAINE DES ENGLUÉS D’HÉLÈNE SANGUINETTI.
lundi 5 juin 2017
SÉLECTION DÉCOUVREURS. GÉNÉROSITÉ DES MORTS. LAME DE FOND DE MARLÈNE TISSOT.
CLIQUER POUR DECOUVRIR LES EXTRAITS |
« Je voudrais écrire mieux » affirme
Marlène Tissot dans Lame de fond,
l’ouvrage que nous venons de sélectionner pour l’édition 2017-18 du Prix des
Découvreurs. Certes, malgré tout le talent dont un auteur peut disposer, il lui
est difficile de hausser sa parole au-dessus des clichés qui s’offrent
spontanément et de trouver les mots qui parviennent à répondre à l’appel que
nous adressent les êtres et les choses par lesquels nous faisons parfois
l’expérience de nous sentir traversés.
Alors, dire
ce qu’une jeune vie doit à une autre qui vient de disparaître et tenter de la
reconstituer vivante au cœur d’un petit livre d’une soixantaine de pages, est
une entreprise dont chacun comprend bien à quelles nécessités intérieures elle
correspond et à quelles impossibilités bien sûr elle se heurte. Mais là est le
combat depuis toujours de la littérature. D’affronter sa propre impuissance. Et
de la cendre des mots tout faire pour qu’en rougeoie à l’intérieur de nous les
braises.
Lame de fond de Marlène Tissot, comme l’indique clairement
son titre, est de ces livres portés par un désir et une maîtrise de parole qui parviennent
justement à retenir un peu de ses chaleurs et de son mouvement à la vie qui
déserte. Non à ressusciter bien sûr les temps ou les êtres pour toujours
en-allés mais à les constituer quand même en vibrants paysages. Dans la
perception juste et émotionnellement vérifiée de leurs distances. De leur
durable et émouvante interpellation.
À la lecture
de ce beau livre, un jeune lecteur comprendra peut-être alors comment la quête
de l’autre peut conduire à une redécouverte en profondeur de soi. Et quelles
forces vives se communiquent parfois du souvenir des morts qui ont su nous aimer.
Peut-être
aura-t-il ainsi la chance de comprendre que nous ne sommes jamais seuls et que
ceux qui sont condamnés à mourir vraiment sont ceux dont personne jamais plus
ne se souvient. D’où la nécessité de se poser et reposer sans cesse la même question
du sens que nous voulons donner à notre propre vie et de l’importance de ce que nous devons à ces morts généreux qui, n'ayant jamais de leur vivant tenté de nous soumettre aux tristes obligations de la réussite sociale continuent de nous encourager à « avancer dans la bonne direction ».
NOTE :
Les extraits que nous proposons
ici de lire seront repris dans le dossier final de l’édition 2017-18 du Prix
des Découvreurs qui devrait être disponible début juillet.
mardi 30 mai 2017
HOMMAGE AUX TRADUCTEURS. 4 POÈMES DE SUSAN WICKS.
Les Ménines Picasso-Velasquez |
Le hasard a voulu que je découvre
il y a quelques mois le travail de la poète et traductrice anglaise Susan Wicks. Cette dernière qui, après avoir introduit dans sa langue un certain
nombre d’ouvrages de Valérie Rouzeau, travaille actuellement sur l’œuvre
d’Ariane Dreyfus, m’est encore mal connue mais je souhaiterais lui rendre
aujourd’hui un rapide hommage. En proposant de découvrir sur ce blog 4 de ses poèmes où les choses du quotidien forment la matière émouvante d’une poésie toute
d’ouverture et de pénétrante sensibilité.
CLIQUER POUR LIRE |
Nous ne rendons jamais assez
hommage aux traducteurs. Et comme elle nous apparaît stupide cette idée que la
poésie est intraduisible et qu’une œuvre traduite ne saurait tenir lieu de
l’original. De fait, lecteurs, nous ne faisons que traduire. Tant il est
évident que le texte source que nous lisons, même s’il se trouve écrit dans la
langue que nous considérons nôtre, ne prend corps en nous, couleur et sens
qu’en se voyant reconfigurer par la mystérieuse et complexe machinerie de notre
intelligence mémorielle propre et se trouve forcé d’entrer en résonance et
dialogue avec l’ensemble des réseaux singuliers de connotations et de
significations que notre histoire, notre sensibilité et notre éducation ont
plus ou moins profondément tissés à l’intérieur de nous.
Est-ce à dire alors, comme le
fait le célèbre narrateur du Temps retrouvé, que chaque lecteur n’est jamais que le lecteur en miroir de lui-même ?
Et qu’ainsi nous tournerions en rond dans notre cercle particulier de
représentations ou de préoccupations ? Sans doute. Mais on aurait tort
d’en oublier que de l’un à l’autre, du texte de l’auteur à l’image qu’en
produit le traducteur/lecteur, tout un travail d’accommodation en direction des
choses, d’ouverture et de stimulation de nos propres puissances de création,
s’effectue. Par quoi nous éprouvons la réelle fraternité qui nous attache aux
autres et élargissons, approfondissons cet espace de particularités qu’est,
c’est vrai, notre monde. Tant heureusement nous sommes, à travers la parole,
des êtres étirables, modulables. Plastiques.
Oui. Si le texte est un peu miroir, c’est un miroir aimanté. Qui m’affecte et m’oblige
en partie à sortir de moi-même. Mieux : à redéfinir et reconstruire, à
chaque fois les limites et les conditions de ma propre altérité.
Alors, d’évidence, nous ne
pouvons que nous réjouir que l’inlassable travail des traducteurs ait fait
paraître devant nous ces d’œuvres dont le manque rendrait notre paysage
intérieur autrement plus étriqué et misérable qu’il n’est. Oui, et ce n’est pas
un cliché de le dire et le redire, que serais-je sans les traductions d’Homère
et de la Bible ? Et tout le travail de pensée et de sensibilité que ces
grandes œuvres traduites ont généré au cours des siècles dans toutes les
langues de la terre.
Hommage donc aujourd’hui aux
traducteurs, compatriotes de l’ailleurs, qui augmentent le monde. Font de
l’altérité leur propre et nous offrent la possibilité de nous inventer et de
nous réinventer sans cesse au contact de toutes les œuvres, les grandes comme
les plus modestes, qui composent le chant multiple, toujours recommencé, de la
plus belle part, vraiment, de notre humanité.
vendredi 12 mai 2017
NOTRE ENGAGEMENT VÉRITABLE. POUR UNE PÉDAGOGIE DU DÉSIR. NON DE LA CERTITUDE.
Moment de lecture animé par Justine Francioli au Lycée Wallon de Valenciennes. Photos de Maxime Delporte. |
« Il y a poème seulement si une forme de vie transforme une forme de
langage et si réciproquement une forme de langage transforme une forme de vie. »
C’est dans cette perspective dont j’emprunte ici la formulation au Manifeste de mon ancien professeur Henri
Meschonnic, que les Découvreurs conçoivent l’essentiel de leurs interventions.
Tant nous pensons que les jeunes ont besoin de parole. Non d’une parole qui
impose, subjugue mais d’une parole qui relie. Nourrisse et émancipe.
Accablé de messages, subliminaux
et autres, notre esprit n’a pas besoin qu’on cherche à l’embrigader davantage.
Il a besoin d’oxygène et d’échange. Et qu’on lui montre de quoi il est, sans
toujours le savoir, capable. Il lui faut pour cela l’impulsion qui l’amène à prendre
conscience et plus encore à s’émerveiller de ce pouvoir que nous avons, non
simplement de sentir, de nommer ou de décrire le monde mais de lui donner sens,
de le constituer en représentation, de lui donner poétiquement figure, pour
nous le rendre quand même un peu plus habitable.
Grâce aux libérateurs que sont,
pour l’esprit et la sensibilité, devenus aujourd’hui les poètes, multiples sont
les voies qui s’ouvrent à chacun pour inventer
sa parole, opération qui comme le rappelle bien l’étymologie suppose qu’elle puise
aussi bien en soi que hors de soi, dans le monde mais dans la
langue aussi, les éléments qui lui sont nécessaires.
Mais essentiel est d’abord le
désir capable d’entraîner à ne pas simplement reproduire. Pour dire à
l’unisson. Avec la voix toujours un peu étouffante des autres. Et c’est ce
désir avant tout d’une parole qui se cherche et doit apprendre à se trouver que
les rencontres que nous proposons tentent de susciter.
Travaux d'élèves autour des Découvreurs au CDI de Bruay la Buissière avec Delphine Cuvellier |
Nous ne cherchons pas justement dans
les classes à repérer ces futurs Andromède de sous-préfecture dont se moquait à juste titre le peu sympathique
Claudel. En encourageant ce dévoiement sentimental qui fait les fausses lyriques, ces emportements indignés, ces compassions comme ces célébrations affectées
qui passent encore trop souvent pour le propre de la sensibilité poétique, certains
trahissent leur mission qui n’est pas de favoriser les comportements de
connivence, les soumissions hypocrites à des valeurs de façade, mais
d’apprendre à chacun à s’envisager dans sa propre distance. Il y a une morale
de l’écriture. Qui est de soucieux nouages. Entre les mots et les choses. Entre
les autres et nous-mêmes. Entre l’expérience directement vécue et celle qui ne
passe que par l’imaginaire. Entre ce que je voudrais dire et ce que je suis
capable de dire. Entre ce que je croyais dire et ce que je dis vraiment. Entre
mensonge et sincérité, honnêteté et imposture, c’est à dire entre tous les
degrés de l’adhésion ou de la complicité à soi-même dont nous sommes capables
...
Un groupe d'élèves de Jean-Bart Dunkerque avec Eric Davenne |
Allez ! La tête encore toute
prise des belles réalisations des uns et de la chaleureuse et audacieuse
participation des autres, j’avais entrepris ce billet pour témoigner de ma
reconnaissance envers l’accueil que m’auront accordé les élèves et leurs
professeurs des lycées Wallon de Valenciennes, Carnot de Bruay la Buissière et
Jean-Bart de Dunkerque où je viens de me rendre ces jours derniers en compagnie
pour le premier nommé de Geneviève Peigné. Et voilà ce que fait finalement la
parole. Elle entraîne. Détourne. S’échappe. Heureusement aussi elle revient. Alors
oui revenons ! Que je puisse redire à quel point j’ai été heureux de partager
avec tous ces jeunes et je le dis encore avec leurs bien valeureux professeurs,
cette expérience de rencontres dont j’ai le bon espoir qu’elles soient
parvenues à nous faire oublier l’accessoire et l’anecdotique pour nous
maintenir bien au-dessus de toutes nos prétendues certitudes au niveau des plus
vivifiantes et joyeuses curiosités.
vendredi 10 mars 2017
MAIS CE DÉSIR JAMAIS REPU DE S’INVENTER POUR VIVRE... GÉRARD CARTIER. LES MÉTAMORPHOSES
Cliquer dans l'image pour lire des extraits |
Gérard Cartier qui conclut son recueil par une « table » replaçant chacun de ses textes
à l’intérieur d’un grand dîner aux services gourmands, appréciera sûrement que
j’entame cet hommage en révélant que ses poèmes, tout comme ceux d’un poète
comme Etienne Faure, dont je le sens personnellement proche, sont à chaque fois
pour moi l’occasion d’une lente et attentive dégustation qui presqu’à chaque
mot, chaque mouvement de pensée – mais de pensée sensible – fait que je me sens parcouru de tout un
tremblement d’ondes, qu’elles s’étendent sur toutes les surfaces de
signification qu’enferme aujourd’hui mon dictionnaire intérieur, ou viennent
émouvoir les multiples souvenirs d’une vie passée à lire, écrire et surtout habiter
et apprendre à aimer le monde.
On sait qu’une telle poésie, intelligente, cultivée, nuancée et sensible
n’est plus trop pour plaire à nos contemporains. Qui se fatiguent vite à suivre
ces manœuvres de formes naviguant entre l’intelligible clarté de l’idée
rassurante et la réalité toujours un peu fuyante du sentiment qui en constitue le
tissu profond et tout baigné d’humeurs. Qu’importe. Nous n’écrivons pas pour
les analphabètes. Qui au passage ne sont pas toujours ceux qu’on pense. Et
peuvent être parfois, plus que nous, cuirassés de diplômes.
Les
Métamorphoses de Gérard Cartier ne sont pas de ces livres que nourrit une réalité bien
précise. Qu’ils s’acharnent à épuiser. À circonscrire. C’est au contraire un
livre d’expérience par lequel l’auteur se livrant au langage, à l’aventure de
la parole, cherche en quelque sorte à illimiter
ses possibles, libérer ce qui peut toujours et encore en lui et par lui se
dire. La hantise d’être vivant. Et de
se réjouir de voir. Savoir. Approcher et toucher. Écouter et entendre. Goûter à. Tout ce qui,
bien entendu, se trouve à portée, ou pas, dans le monde.
Le titre des principales parties du livre fournit en quelque sorte le
programme de cette jouissive et dévorante entreprise : Épouser le monde (partie 1), Faire de soi sa discipline (partie 2), Cultiver ses vices (partie 3), Donner sens au chaos (partie 4), Hasarder tous les sentiments (partie 5),
Multiplier les formes (Partie
6).
Des verbes donc. Des verbes. Et des résolutions. Car il y a urgence encore
à vivre. Surtout pour « qui passe /
Sur un pied la frontière de l’âge et vacille / De son lourd vin d’aînesse ».
Et se découvre « si tardif à
célébrer le monde et courir après le temps ».
Peut-être qu’on l’aura compris sans que j’en dise maintenant davantage.
Le livre de Gérard Cartier est de ces livres éternellement jeunes que seuls
écrivent ceux qui en arrivent au point d’avoir à compter sur leurs doigts les
belles et courtes années qu’il leur reste à bien vivre.
Sans crainte d’avoir à quitter bientôt – c’est notre lot - la salle du banquet dont ils auront sur le
papier su recueillir les restes : Bénie
la table et les longs amis....
mercredi 1 mars 2017
OÙ SE TROUVE TOUJOURS LA POÉSIE. TÉMOIN DE SOPHIE G. LUCAS.
vendredi 24 février 2017
PARMI TOUT CE QUI RENVERSE. UN MONDE OUVERT PAR LA PAROLE.
CLIQUER POUR SE RENDRE SUR LE SITE DE L'EDITEUR |
Je me
permets d’annoncer la sortie de parmi
tout ce qui renverse aux éditions du Castor Astral.
Merci tout
d’abord à Jacques Darras et à Jean-Yves Reuzeau d’avoir sauvé ce livre que la
malencontreuse disparition, en janvier 2016, des éditions de l’Amandier - où il
devait, grâce au concours du CNL, primitivement paraître – risquait de condamner à ne voir le jour qu’après
de longues années encore de sommeil et d’attente.
Je n’accable
pas les revues, comme les maisons d’édition, de mes propositions. C’est
pourquoi, occupé le plus souvent à tenter de donner ce que je peux de
visibilité aux livres et aux auteurs que j’estime, je me sens autorisé
aujourd’hui à demander aux lecteurs de ce blog qu’ils prêtent un peu
d’attention à l’ouvrage que je propose et l’aident ainsi à échapper à la
cruelle indifférence qui frappe en général le travail des poètes.
Je le dois
tout d’abord à la maison qui m’accueille. Ensuite à toutes les ressources de
vie et de pensée que l’écriture de ce livre m’aura conduit sur tant d’années à
employer.
parmi tout ce qui renverse, sous-titré
Histoire d’Il, vient prolonger et terminer la phrase commencée avec Compris dans le paysage (Potentille,
2010), complétée par avec la terre au
bout (Atelier La Feugraie 2011) et emprunte un peu de sa forme générale à Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme
de Charles Augustin Sainte-Beuve ! Oui. C'est en effet à ce livre
injustement méprisé qu'on doit, au moment où naît ou va naître notre poésie
moderne, de voir pour la première fois le poète se dégager de la coûteuse
illusion de la transparence du sujet pour inventer et induire une lecture
"romanesque" de la poésie
lyrique.
mercredi 7 décembre 2016
OISEAUX RARES.
L'Albatros Louis Joos 2002 illustration pour les Fleurs du Mal de Baudelaire |
« Les oiseaux – entendez les poètes - sont de
piètres ornithologues » estime Michèle Métail en réponse à la question que,
pour marquer sa naissance, la revue marseillaise BÉBÉ vient de poser à une
quinzaine d’auteurs à propos de ce qu’est pour eux la poésie. Que savent-ils en
effet, « de l’échancrure d’une queue / des ailes spatulées / du vol sautillant
/ du bec aplati / du trait sourcilier ? ».
On est en droit de préférer cette frustrante
dérobade aux propos malheureusement trop apprêtés de certains dont on voit bien
que, modernes albatros, ils ne cherchent en rien à éclairer le lecteur, décidés
qu’ils sont avant tout à témoigner de toute la hauteur et de l’envergure de
leur vision créatrice. Et sans doute que la poésie crève aujourd’hui de cette
contradiction de moins en moins supportable qu’on voit entre la volonté qui
s’exprime légitimement chez les poètes de lui voir reconnaître une part plus
grande à l’intérieur de la cité et la façon qu’elle a encore chez certains de
se composer une langue, de se parer de formes - quand ce n’est pas simplement
d’emprunter des postures - accessibles seulement à de rares initiés.
mercredi 2 novembre 2016
MORT D’UN PERSONNAGE. SUR LAME DE FOND DE MARLÈNE TISSOT.
Mon pere est mort, Dieu en ayt
l’ame,
Quant est du
corps, il gyst soubz lame…
François VILLON
Le Testament
Je viens de
lire le petit livre de Marlène Tissot Lame
de fond, produit par La Boucherie littéraire de l'exigeant Antoine Gallardo que je remercie bien de me
l’avoir adressé et j’aimerais en dire ici quelques mots qui viendraient
rendre justice à l’émouvante et fragile sensibilité de son auteur. À la façon
juste aussi qu’elle a de rendre compte de ce que l’idiotie contemporaine
appelle le travail du deuil et qui n’est que le jeu millénaire des façons par
lesquelles les vivants, comme ils peuvent, s’accommodent de la disparition ou
de la perte d’autres qui comptaient, en profondeur, pour eux.
MOTHERWELL DANS LA CHAMBRE D'AMOUR |
Pas
nécessaire en fait de savoir si le disparu dont il s’agit dans le livre de
Marlène Tissot est son père, son grand-père, quel était son âge véritable ou la
place précise qu’il occupait dans la vaste configuration sociale hors de
laquelle il est de plus en plus difficile pour chacun de trouver à se
définir... Je ne retiens du livre que la possession d’une modeste habitation au
bord de la mer vers Cancale, une certaine qualité de lumière insaisissable au
bord des yeux, l’odeur tout à la fois âcre et douce d’un vieux pull marin... et
surtout cette capacité qui n’est pas seulement de paroles que possèdent
certains êtres de nous rendre le monde plus large à habiter (p. 48). «Cours, ma belle ! Nage dans le ciel »
[...] Avec toi tout est permis. Avec toi on chahute l’apparence des choses
ordinaires, on colorie le monde. Avec toi, je nage dans le ciel, je suis une
sirène qui ne craint pas la mer à boire. »
Certes, nous
ne manquons pas de livres commandés par les morts1. Et peut-être n’existe-t-il
d’ailleurs de vrais livres que ceux-là que nous inspirent la perte et la
nécessité encore, non d’en guérir ou d’oublier, mais comme le disait Char, d’en
faire l’aliment d’une plus grande capacité d’être. L’ouvrage de Marlène Tissot
avec justesse et discrétion en fournit à mes yeux une nouvelle preuve. Lui qui finit
par nous faire comprendre qu’on ne réinvente ceux qui manquent qu’en en
projetant devant nous la vivante couleur et qui se termine par ces lignes bien
belles : « Dans ta cage
thoracique, l’oiseau a cessé de chanter. Mais ses ailles palpitent encore en
moi. Comme s’il s’apprêtait à m’envoler. Tu m’avais prévenue : « Tout
n’est que commencement ». Et aujourd’hui je suis prête à te croire, prête
à laisser ta fin devenir un début . »
NOTE :
Parmi les œuvres
majeures auxquelles je pense, je ne saurais trop inciter le lecteur à se
tourner vers les livres de Frank Venaille et tout particulièrement Hourra les morts ! qui compte en
particulier un texte tout à fait extraordinaire évoquant la crémation de son
père (voir un commentaire que nous avons jadis réalisé pour des élèves de lycée).
Chacun se souviendra également du Pas
revoir de Valérie Rouzeau, prix des Découvreurs 2001. Sans oublier, pour
rester dans le champ des auteurs pour lesquels nous avons de l’amitié, le beau
livre d’Edith Azam Décembre m’a ciguë chez POL ou celui d'Olivier Barbarant,Élégies étranglées dont le commentaire que nous en avons donné il y a quelques années peut largement trouver à s'appliquer à l'ouvrage de Marlène Tissot.
vendredi 2 septembre 2016
EXOTEN RAUS !
Musée des Beaux-arts de Tours et son cèdre du Liban |
En cette
reprise d’année scolaire il m’a semblé utile de revenir sur un ancien billet paru
à l’origine dans POEZIBAO et dont le caractère d’actualité, je pense, n’échappera
à personne.
Forêts de combat ! (Kampfwälder). Combien de fois ne
s’est-on pas heurté, jusqu’au cœur des situations les plus douces, les plus
apparemment bienveillantes à cette «dureté
imprévue» qu’évoque dans Paysages
urbains, Walter Benjamin comprenant au spectacle de fleurs «serrées en pots contre les vitres des
maisons», de certaine petite ville du nord – pensées, résédas – qu’elles
représentaient moins « un salut de la nature », «qu’un mur contre l’extérieur».
Politique, idéologie, la vieille
fantasmatique de la défiance et des exaltations imbéciles du moi et de
l’identité ravage toujours l’ensemble de notre pitoyable et souvent effrayante
économie humaine. Sait-on suffisamment par exemple que les gros concepts de
supériorité de la race aryenne et de purification ethnique exposés dans Mein Kampf furent, à l’époque nazie,
appliqués rigoureusement aussi au paysage. Destruction des espèces dîtes
dégénérées, malades. Proscription des variétés insolites. Des feuillages
bigarrés. De toute la gamme des grimpantes, des pendantes, des spiralées !
Bordures composées uniquement d’espèces indigènes droites capables de faire
obstacle au virus étranger tout en procurant au peuple le milieu nécessaire à
son bien-être physique et spirituel. Autour de 1939, le conflit qui embrase
l’Europe n’épargne pas les plantes ! Un groupe d’illustres botanistes soutenu
par les plus hautes autorités réclamera «une
guerre d’extermination» (Ausrottungskrieg)
contre… la balsamine à petites fleurs, cette intruse mongole, venue menacer « la pureté du paysage allemand» !
mardi 31 mai 2016
POUR UN ÉLARGISSEMENT D’ÊTRE. DOSSIER DU PRIX DES DÉCOUVREURS 2016-2017.
Cliquer dans l'image pour ouvrir le dossier |
À travers eux se lira sans
difficulté la conception ouverte que nous avons de la poésie et tout ce qu’elle
peut aujourd’hui présenter de différent, de nouveau, de singulier par rapport
aux conceptions malheureusement trop étroites dans lesquelles on l’enferme
traditionnellement.
Apparaîtra aussi, du moins nous
l’espérons, outre la grande diversité rendue aujourd’hui possible des
écritures, la capacité que possède la poésie actuelle d’interroger le monde
sous tous les aspects que nous lui connaissons. Du plus intime au plus
collectif. Du plus lointain au plus proche.
Bien entendu, la poésie reste un
art du langage. À ce titre, on ne peut la réduire, comme un simple article de
journal, à ses significations. Il importera donc toujours de rester attentif à
ce qu’on appelait autrefois « la manière », c’est-à-dire ici les choix
particuliers d’écriture, plus ou moins singuliers, plus ou moins manifestes,
par lesquels chaque auteur se donne en principe, sa voix propre. Proposant du
même coup au lecteur d’inventer sa lecture elle aussi singulière.
Nous avons bien conscience encore
qu’il n’est pas toujours facile d’entrer dans des formes d’écriture auxquelles
on n’est pas préparé. C’est pour cela que plutôt que d’un appareil critique aux
explications forcément réductrices nous accompagnons ces extraits d’un certain
nombre d’illustrations dont l’objectif n’est pas seulement de rendre ce dossier
visuellement attractif. Sans en être le commentaire ou l’illustration l’image
peut ici établir une sorte de dialogue avec le texte, soit en en favorisant
l’entrée, soit en lui offrant un prolongement possible.
Nous aurons le sentiment d’avoir
réussi notre pari si, partant des extraits, chacun éprouvait la curiosité de
prolonger sa lecture en allant découvrir les livres en leur totalité. Et y
trouvait aussi, pourquoi pas, pour lui, des possibilités inédites d’écriture.
Lire / écrire, à la condition
d’accepter de sortir de ses circuits d’habitude, sont une seule et même
activité. D’elle nous tirons, c’est une certitude, le plus sûr élargissement
d’être. La promesse d’une existence adulte.
Libellés :
BOULOGNE-SUR-MER,
EDUCATION,
ENGAGEMENT,
IMAGE,
OUVERTURE,
PEINTURE,
POESIE CONTEMPORAINE,
SORTIR DU NOIR,
VOIX
jeudi 19 mai 2016
DES EXTRAITS DU LIVRE DE LAURENT GRISEL, CLIMATS.
Spirale des temps géologiques |
Dans le cadre de la sélection
2016-17 du Prix des Découvreurs nous proposons aujourd’hui de découvrir des
extraits du livre de Laurent Grisel, Climats,
paru aux éditions publie.net. Comme
pour la plupart des autres extraits que nous fournirons, ces textes s’accompagnent
de plusieurs documents afin de permettre à l’élève toutes sortes d’appropriations
et de prolongements.
jeudi 31 mars 2016
LE PRIX DES DÉCOUVREURS 2016 À LA POÈTE SYRIENNE FADWA SOULEIMANE !
Fadwa Souleimane au lycée Branly de Boulogne-sur-Mer |
Ainsi que l’annonçaient bien les
premiers résultats qui nous sont parvenus, c’est sur À la pleine lune, le livre de Fadwa Souleimane publié par les
toutes jeunes éditions du Soupirail, que se sont très largement portés les
suffrages des quelques 2000 lycéens et collégiens qui cette année ont participé
à l’édition 2016 du Prix des Découvreurs.
On ne s’en étonnera pas, tant la
nature de ce livre et la personnalité de son auteur avaient de quoi retenir l’attention
de ces jeunes pour qui la poésie n’a rien à voir avec un jeu gratuit d’esthète
ou d’intellectuel avant tout soucieux de distinction. Découvrant À la pleine lune et le parcours si
particulier de son auteur ils ont, je crois, compris le caractère profondément
vital pour ce dernier de ces poèmes marqués par la guerre et l’exil, par la
volonté de ne pas laisser le dernier mot au silence, celui de la défaite et de
la résignation.
Habitués à ce qu’on leur parle de
poésie engagée et plus familiers certainement du Melancholia de Victor Hugo ou du trop fameux Liberté d’Eluard, que des écrits des poètes d’aujourd’hui
qui sont – de par la force actuelle des choses – presque tous des textes de
résistance, ils ont ainsi pu comprendre à quelles nécessités répond toujours et
en profondeur la poésie de notre temps. Quand elle est animée d’un désir
authentique de parole. D’un besoin fondamental de dire.
Comme l'écrit quelque part Ariane Dreyfus, le poème « n’est pas une succession de mots, mais l’élan
d’une parole dans la relativité d’un corps ». Et en ce sens il ne peut
exister autrement qu’engagé. Surtout si ce corps, appréhendé dans l’exil, ayant
perdu son environnement familier, ses racines d’enfance, est condamné à se
vivre désormais dans une culture, un espace et une langue autres.
Ce n’est qu’une fois installée en
France pour fuir l’arrêt de mort promulgué par le tyran syrien Assad, que la
comédienne Fadwa Souleimane a éprouvé pour la première fois la nécessité de
retrouver sa langue en se mettant à écrire de la poésie. Tombeau des morts qu’elle
a laissés derrière elle, des innocences de la paix saccagée, ses textes tout en
désignant clairement les responsables, restent toutefois habités par la volonté
farouche de ne rien céder aux multiples formes de violences qui se
concurrencent aujourd’hui un peu partout dans le monde. Certaine que les
divisions, quelles qu’en soit la nature, ne font aller l’humanité qu’un peu
plus vite vers sa perte, Fadwa Souleimane, en dépit de tout, nous invite au
chant réconcilié de l’Un.
Libellés :
AGIR CONTRE LES BARBARIES,
BOULOGNE-SUR-MER,
ENGAGEMENT,
POESIE CONTEMPORAINE,
SORTIR DU NOIR
Pays/territoire :
Western Europe
mercredi 9 mars 2016
UNE SIMPLE JOURNÉE À PASSER SAINE ET SAUVE ! DOINA IOANID.
Dorothea Tanning Birthday |
Mais nous autres, jamais nous n'avons un seul jour
le pur espace devant nous, où les fleurs s'ouvrent
à l'infini. Toujours le monde, jamais le
Nulle part sans le Non, la pureté
insurveillée que l'on respire,
que l'on sait infinie et jamais ne désire.
RILKE
Huitième Elégie de Duino, 1922
« Que
veulent-elles de moi, toutes ces femmes avec leur ventre de kangourou à peine
dissimulé par des tabliers fleuris, leurs cheveux imprégnés d’odeurs moites,
pourquoi m’invitent-elles à venir à leur côté, m’attirant avec leurs vies mutilées
et pourquoi leurs histoires collent-elles à moi comme de l’huile brûlante,
alors que je veux seulement qu’elles me fichent la paix et me laissent aller
mon chemin ? » Dans
l’univers bien particulier de la poète roumaine Doina Ioanid, la relation qu’entretient
l’être avec le monde est toujours captivante. Je veux dire un peu possessive. Et
les frontières que dessinent les identités tout comme les moments successifs du
temps se montrent la plupart du temps dangereusement poreuses.
Un mouvement qui n’est pas sans
rappeler celui de la ruade du cheval entravé qui regimbe.
jeudi 3 mars 2016
MULTIPLIER LES RENCONTRES. UNE NÉCESSITÉ !
Oui. Je crois de plus en plus à l’importance des
rencontres. Notamment en milieu scolaire où il me semble nécessaire de faire
comprendre que l’engagement dans l’écriture – principalement poétique - n’a
rien d’un jeu factice ou intellectuel mais se trouve indissociablement lié à une
affirmation vitale, un besoin aussi de comprendre et de saisir le monde. D’élargir
ses horizons. De repousser les limites des représentations qui enferment. Et de
trouver la bonne distance par rapport au langage, instrument d’être et de
pensée.
Plutôt que de rendre compte de façon factuelle des
nombreuses interventions que je viens d’effectuer ou d’accompagner dans divers
établissements il m’a paru opportun de redonner ici le texte d’un long
entretien que m’a proposé il y a quelques temps Florence Trocmé pour POEZIBAO. Car
il importe de fournir à tous ceux qui comme nous s’y impliquent réellement,
des fondements réflexifs qui légitiment de plus en plus ces pratiques que
certains voudraient continuer à réduire à l’anecdotique, à enfermer dans de
simples séances d’animation ne nécessitant aucun investissement réel. Aucune
préparation.
Florence
Trocmé : Georges Guillain, vous
êtes à l’origine d’un prix centré sur la poésie qui a cette particularité
d’être décerné par un jury de lycéens. Pouvez-vous nous parler de ce Prix des
Découvreurs, nous en redire la genèse, l’idée qui a présidé à sa conception.
Georges
Guillain :
Chère Florence, oui. Le Prix des Découvreurs aura
bientôt 20 ans. Et touche désormais chaque année quelques milliers de lycéens
mais aussi de collégiens de troisième, de Dunkerque à Yaoundé ! Plutôt
d'ailleurs que d'idée, je préfère parler de sentiment. Tant au départ, ce qui
m'aura guidé et dont je n'ai maintenant qu'un souvenir assez vague, devait
sûrement être assez différent des raisons qui aujourd'hui m'encouragent à
désirer toujours prolonger et surtout élargir de plus en plus l'aventure. Le
Prix des Découvreurs a commencé, en 1996, par un courrier que m'aura adressé
l'adjoint à la Culture de la Ville de Boulogne-sur-Mer qui me sachant poète me
demandait de réfléchir avec lui à la façon de relancer un Prix de Poésie jadis
décerné par la ville et tombé, à juste titre, en désuétude.
"La littérature ne peut plus
être considérée que comme objet de culture, renvoyant nécessairement à des
vocabulaires datés. Des formes un peu figées. Coupées des ressources nouvelles
d'époque. "
samedi 27 février 2016
POUR UNE POÉSIE RÉELLEMENT ENGAGÉE ! CLIMATS DE LAURENT GRISEL.
Non la Terre ne fut pas toujours
bleue. Ni toujours habitable. Vieille de plus de 4,5 milliards d’années, notre
planète perdue dans l’immensité proprement sidérante de l’univers visible,
change constamment de visage, souffle le chaud et le froid, fut orangée comme
Titan, blanche comme Encelade. Dépendant de facteurs essentiels tels
l’augmentation de la luminosité du Soleil, la tectonique des plaques, les
modifications orbitales, son climat possède une histoire complexe et la vie
qu’il a rendue pour nous possible résulte d’équilibres chimiques précaires que
notre espèce, par son nombre d’abord, par ses choix particuliers de
développement ensuite, est en train de menacer.
C’est à la demande de la MEL et
de sa Présidente, la romancière Cécile Wajsbrot, que Laurent Grisel a entrepris
de se saisir de la question climatique pour alerter à sa manière le public sur
les risques que notre insensibilité aux perturbations que nous infligeons à la
nature fait courir à l’ensemble de l’humanité. Et c’est la force actuelle de
notre poésie que de lui permettre de prendre aujourd’hui la parole pour
produire un texte singulier, engagé, surprenant, dont la précision de la
documentation, l’ouverture informée au réel ou plutôt à ses multiples
composantes, n’altèrent pas l’impact. Ni le retentissement.
Loin du sentimentalisme vaporeux et de l’hermétisme savant
dimanche 21 février 2016
DEUX POÈTES TAÏWANAIS POUR DIRE AUSSI NOTRE HISTOIRE !
GRAVURE DE NELIDA MEDINA |
Sans doute qu’il y a quelques
années, j’aurais accordé aux deux ouvrages que vient de m’envoyer Neige d’août, une attention moins grande.
Moins accompagnatrice. C’est que les poèmes de ces deux auteurs taïwanais que
Camille Loivier, l’une des chevilles ouvrières de ces publications, a tenu à me
faire découvrir, ne relèvent pas de ces écritures savantes, retournées,
interrogeant inlassablement leur relation sensible et longue à la parole, déconstruisant,
reconstruisant dans une recherche sans fin de leur identité, une langue dont on
sait pourtant depuis bien longtemps qu’elle ne nous appartient pas en propre.
Je n’ai évidemment rien contre ces voix
intérieures qu’il est dans la nature même de la poésie de pouvoir faire
entendre mais à l’heure où l’univers dans lequel nous vivons vient si largement
à nous et avec lui son lot de négations sanglantes de la plupart des valeurs
sur lesquelles s’est bâti notre hypothétique humanité, j’attends désormais que
la voix du poète prenne davantage en charge l’Histoire, ses désastres, ses
drames, bref, l’infinité des situations le plus souvent peu enviables que le
monde tel qu’il est impose à ses populations.
samedi 23 janvier 2016
KATRINA. ISLE DE JEAN CHARLES, LOUISIANE. FRANK SMITH. CES LIEUX QUI SONT AUSSI DES FORCES !
Habitation Isle Jean Charles |
Il faut s’exercer au lexique de l’écart, de
l’éloignement, de la dispersion. Pointer du doigt les formes de l’effacement.
L’abandon et l’abolition s’ajoutent à la liste. On lutte contre
l’anéantissement, c’est toujours ce que l’on entend au sujet des Indiens. »
Je ne me lancerai pas ici dans
une analyse du beau livre que Frank Smith
a consacré au sort de cette terre de Louisiane aujourd’hui noyée dans l’éparpillement,
à laquelle, malgré ouragans et cyclones, malgré les féroces dégâts occasionnés
par l’exploitation pétrolière, continuent de s’accrocher quelques descendants
d’Indiens Biloxi-Chitazmacha-Choctaw qui semblent y avoir mené, dans le vieux temps, c’est-à-dire au
moins jusqu’au milieu du siècle dernier, une vie relativement protégée. Je ne
ferais assurément pas mieux que l’excellent compte-rendu de Jean-Philippe
Cazier, intitulé Poétique de la circulation, qu’on pourra lire en accès libre sur MEDIAPART.
Je ne suis pas familier de
l’œuvre de Frank Smith et suis même généralement sceptique sur l’intérêt, pour
moi, des livres que défendent a priori
quelques-uns de ces artistes intellectuels proclamés d’avant-garde qui semblent
lui vouer une certaine admiration. L’agacement que provoquent chez moi la
multiplication, dans la création contemporaine, des listes, son refus assez
systématique de l’élaboration rythmique et syntaxique, la platitude assez
générale de la langue et ses copiés-collés de la soi-disant réalité, aurait dû
même me détourner de m’intéresser à un ouvrage où ces choses, à première vue,
se découvrent.
Me retiennent pourtant et
fortement dans ce livre, non seulement le tableau déprimant de notre monde de
plus en plus abandonné aux puissances technologiques, matérielles et
financières qui le défigurent et en réduisent toujours davantage la belle et
giboyeuse diversité humaine et naturelle, non seulement encore le dispositif
ouvert choisi par Frank Smith pour rendre compte de son empathique relation
avec la micro-nation indienne par laquelle il est parvenu à se faire accueillir, mais tout particulièrement la disposition d’un authentique écrivain qui dans ce
livre semble presque totalement renoncer à cette position d’autorité que lui confère en principe sa
qualité d’auteur.
Un délestage de soi-même
mardi 12 janvier 2016
L’INDICIPLINE DE L’EAU. JACQUES DARRAS.
C’est avec le plus grand plaisir
que nous saluons aujourd’hui la sortie dans la collection Poésie / Gallimard de l’anthologie personnelle de Jacques Darras, L’indiscipline de l’eau.
Ce volume dont nous avons rédigé
la Préface, paraît à l’occasion du
cinquantième anniversaire de cette prestigieuse collection qui avec ses plus de
cinq cents titres publiés, pris à l’ensemble des littératures du monde,
s’attache à mettre en résonance les poèmes d’aujourd’hui avec ceux de tous les
siècles passés.
Nul doute que la poésie « illimitée » de Jacques Darras
n’ait sa place au sein d’une telle entreprise.
Comme nous le rappelons dans
notre préface, « le propre de la
poésie pour Jacques Darras, n'est pas de définir les contours de Vérités
arrêtées. Assénées. Le propre de la poésie pour lui est de lier. D'ouvrir.
D'embrayer les organes moteurs du vers à la façon, pourquoi pas, des
méta-mécaniques de Tinguely, pour nous mettre tout entier, corps et esprit, en
mouvement. La poésie, comme il le dit dans sa Transfiguration d'Anvers , est par excellence l'art de la proximité et
de l'inachèvement. Proximité avec la totalité toujours plus à explorer de
l'Univers. Et du spectacle des bulles s'élevant à l'intérieur d'un verre de
Champagne qui peut ramener aux profondeurs géologiques des temps où les plaines
de la Marne, de l'Aube et bien sûr de la Vesle étaient encore recouvertes par
la mer, jusqu'à celui des étoiles qui parlent de ces milliards et milliards de
galaxies qui composent aujourd'hui notre ciel, certes, elles ne manquent pas
les provocations qu'adresse la réalité, heureusement, à nos imaginaires. Car,
nous le redit à chaque ligne toute l'œuvre de Jacques Darras, le caractère
inachevé, dérisoire peut-être aussi, de notre propre construction humaine ne
doit pas nous désespérer. Mais être considéré avant tout comme une chance.
Puisque c'est de là que s'éprouve la vie. La possibilité pour elle de se nouer
amoureusement, dynamiquement à l'autre. De relancer incessamment les images1.
Par quoi "prennent forme les poèmes, les voyages, les
projets proportionnés aux dimensions […] de l'univers".
Note :
En
cela Jacques Darras se montre d’ailleurs très proche de ce que nous avons
évoqué dans l’un de nos tout derniers billets à propos du Noé de Giono
Voir aussi notre document à télécharger
mercredi 25 novembre 2015
BANDE DE GAZA. SYLVIE NÈVE.
André ROBILLARD, LAM, Villeneuve d'Asq |
L’Atelier de l’Agneau vient
de publier Bande de Gaza, un
intéressant texte de Sylvie Nève que certains peut-être se souviendront d’avoir entendu, il y a quelques années, sur les antennes de Radio-France sous la
forme d’un oratorio mis en musique par le compositeur Éric Daubresse. Le livret
de cet oratorio s’accompagne de textes plus récents dont l’un d’ailleurs réagit
au propos d’un journaliste trouvant apparemment surprenant que l’auteure ait écrit, sans «y avoir jamais
mis les pieds », sur cette terre qu’elle a décidé, non de chanter, mais
de prendre comme objet de pensée « pour
y comprendre quelque chose ».
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