Mon pere est mort, Dieu en ayt
l’ame,
Quant est du
corps, il gyst soubz lame…
François VILLON
Le Testament
Je viens de
lire le petit livre de Marlène Tissot Lame
de fond, produit par La Boucherie littéraire de l'exigeant Antoine Gallardo que je remercie bien de me
l’avoir adressé et j’aimerais en dire ici quelques mots qui viendraient
rendre justice à l’émouvante et fragile sensibilité de son auteur. À la façon
juste aussi qu’elle a de rendre compte de ce que l’idiotie contemporaine
appelle le travail du deuil et qui n’est que le jeu millénaire des façons par
lesquelles les vivants, comme ils peuvent, s’accommodent de la disparition ou
de la perte d’autres qui comptaient, en profondeur, pour eux.
MOTHERWELL DANS LA CHAMBRE D'AMOUR |
Pas
nécessaire en fait de savoir si le disparu dont il s’agit dans le livre de
Marlène Tissot est son père, son grand-père, quel était son âge véritable ou la
place précise qu’il occupait dans la vaste configuration sociale hors de
laquelle il est de plus en plus difficile pour chacun de trouver à se
définir... Je ne retiens du livre que la possession d’une modeste habitation au
bord de la mer vers Cancale, une certaine qualité de lumière insaisissable au
bord des yeux, l’odeur tout à la fois âcre et douce d’un vieux pull marin... et
surtout cette capacité qui n’est pas seulement de paroles que possèdent
certains êtres de nous rendre le monde plus large à habiter (p. 48). «Cours, ma belle ! Nage dans le ciel »
[...] Avec toi tout est permis. Avec toi on chahute l’apparence des choses
ordinaires, on colorie le monde. Avec toi, je nage dans le ciel, je suis une
sirène qui ne craint pas la mer à boire. »
Certes, nous
ne manquons pas de livres commandés par les morts1. Et peut-être n’existe-t-il
d’ailleurs de vrais livres que ceux-là que nous inspirent la perte et la
nécessité encore, non d’en guérir ou d’oublier, mais comme le disait Char, d’en
faire l’aliment d’une plus grande capacité d’être. L’ouvrage de Marlène Tissot
avec justesse et discrétion en fournit à mes yeux une nouvelle preuve. Lui qui finit
par nous faire comprendre qu’on ne réinvente ceux qui manquent qu’en en
projetant devant nous la vivante couleur et qui se termine par ces lignes bien
belles : « Dans ta cage
thoracique, l’oiseau a cessé de chanter. Mais ses ailles palpitent encore en
moi. Comme s’il s’apprêtait à m’envoler. Tu m’avais prévenue : « Tout
n’est que commencement ». Et aujourd’hui je suis prête à te croire, prête
à laisser ta fin devenir un début . »
NOTE :
Parmi les œuvres
majeures auxquelles je pense, je ne saurais trop inciter le lecteur à se
tourner vers les livres de Frank Venaille et tout particulièrement Hourra les morts ! qui compte en
particulier un texte tout à fait extraordinaire évoquant la crémation de son
père (voir un commentaire que nous avons jadis réalisé pour des élèves de lycée).
Chacun se souviendra également du Pas
revoir de Valérie Rouzeau, prix des Découvreurs 2001. Sans oublier, pour
rester dans le champ des auteurs pour lesquels nous avons de l’amitié, le beau
livre d’Edith Azam Décembre m’a ciguë chez POL ou celui d'Olivier Barbarant,Élégies étranglées dont le commentaire que nous en avons donné il y a quelques années peut largement trouver à s'appliquer à l'ouvrage de Marlène Tissot.
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