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Je commence à faire des poèmes quand la partie est perdue » affirmait Cesare Pavese. « J’écris parce que je vais disparaître » nous confie quant à elle Ariane Dreyfus dans le premier vers du poème liminaire de l’ouvrage qu’elle publie aujourd’hui aux éditions Flammarion. Au-delà des différences que l’avisé lecteur ne manquera pas d’établir entre ces 2 déclarations, à plus d’un titre antagonistes, c’est bien là reconnaître qu’un livre de poésie ne peut se réduire à proposer à ses lecteurs une simple promesse de plaisir ou de bonheur, mais qu’il doit également, et sans doute surtout, donner ou redonner, comme l’écrit de son côté le philosophe Paul Audi, « chance à la vie », « la chance pour ainsi dire de prendre de vitesse, à l’endroit même de sa chute, et avant tout effondrement possible, le destin de notre finitude. »
Se
refermant sur l’image d’un ruban noir dont le côté déchiré s’envole bien vivant
« sous le vide généreux du ciel »
l’ouvrage d’Ariane Dreyfus regroupe cinq sections dont les titres : CRÉPUSCULE,
NOCTURNES, PARCE QU’IL RESTE DES JOURS, AVANT LE SOIR, POÈMES POUR QUE L’AIR
PASSE, signalent assez bien le caractère d’urgence vitale que le voisinage de
la mort, donne aux textes qu’elle a rassemblés pour ce recueil qui, intitulé Le dernier jour des enfants, se penche aussi
sur les mystères terribles et enchantés des débuts ou des commencements.
«L’émotion ne dit pas "je"»
Ouvrant
très largement l’éventail des êtres et des temps, Ariane Dreyfus qui reprend en
épigraphe une formule de Deleuze, «L’émotion
ne dit pas "je"», continue donc de vouloir faire éclore à l’intérieur de sa poésie le
sentiment, rare, d’une vie, qui, refusant tout rétrécissement, tout repli
narcissique, s’enrichit de tous les liens que permet de tisser autour de soi,
une présence attentive aux autres, aux choses et aux lieux. Imposant avec de
plus en plus d’évidence une poésie poreuse
qui découvre pour nous cette multiplicité de points de contact, de passages,
qui devraient nous conduire, comme nous y incite le dernier livre de Marielle Macé dont j’ai récemment rendu compte, à considérer
toute existence, non comme un ensemble figé de qualités à définir pour mieux
pouvoir l’aliéner, mais comme une promesse toujours active et neuve de rayonnement.
Exemplaires
sont à cet égard les textes par lesquels Ariane Dreyfus s’empare d’une œuvre
d’art, d’un roman, d’un spectacle de danse, d’une promenade en forêt ou de la
simple contemplation d’un chat penché la nuit sur son bol, pour en faire à
chaque fois l’image d’un monde qui non plus se resserre mais au contraire se
soulève, vivifie ses espaces et nous approfondit.
Non
que sa manière vise à nous illusionner sur la dure réalité. Si la poésie ou
plutôt les poèmes d’Ariane Dreyfus nous touchent, c’est qu’ici, comme dans ses
livres précédents, le pouvoir qu’elle a de voir partout ce qui éclaire, ne
procède en rien d’une méconnaissance de tout ce qui meurtrit, violente et
assassine. Toujours est bien présent au-dessus de la vie le vieux couteau du
sacrifice. La douleur va bien partout. Et la brûlure passe entre les cuisses
aussi de celle qui aurait pu, née dans d’autres circonstances, vivre ce moment
où « deux mains appuient sur sa tête »
tandis que d’autres plus bas viennent « enfoncer des épines » et « coudre ».
et si les murs ne retiennent rien ...
« Les enfants bougent pour faire respirer leur
solitude. Alors il leur faut des histoires » écrit Ariane Dreyfus dans
la quatrième de couverture. Mais ces histoires, on l’aura bien compris, ne
seront pas dans ce livre les histoires un peu niaises, trop platement
merveilleuses ou simplistes par lesquelles l’industrie culturelle s’ingénie
aujourd’hui à formater et simplifier les imaginaires. Si histoires il y a, d’ailleurs, comme celle, au tout début du livre, atroce et belle, de
Salomé, racontée à travers l’évocation d’un bas-relief du XVème
conservé au Musée des Beaux-Arts de Lille, elles conservent toutes leurs
dimensions d’attente et de mystère, l’auteur n’hésitant pas à décentrer son
attention vers un certain nombre de détails qui disent ce qui demeure malgré
tout à préserver, d’innocence désirable, d’enfance découvreuse au cœur depuis
longtemps trop abîmé du monde.
Et
dans la chambre du poème, qu’importent alors toutes les danses mortelles.
Qu’importe aussi qu’un jour nous ne serons plus là pour l’habiter. Car même « si les murs ne retiennent rien »,
si la sueur qu’on y dépose, s’y écrasant à deux, n’y sera bientôt « que taches légères, errantes, faites d’eau
et de sel », grande sera toujours, attendant ceux qui viennent, « la patience de la porte entrouverte ».
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